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  • Présentation du projet Eneide de CAP DIGITAL au PRIT le 30 novembre prochain

    Eneide consiste à définir, concevoir, développer et mettre en place les espaces numériques éducatifs interactifs pour demain.
    Ces espaces numériques s’adresseront à un public vaste, intègreront de nouvelles fonctionnalités ainsi que des innovations technologiques, à la fois dans le domaine du nomadisme et au plan pédagogique (ex. apport d’outils avancés de suivi des élèves).

    Ce sujet est d’autant plus crucial que l’ensemble de ces projets annonce et prépare les us et coutumes qui caractériseront la société numérique du XXIème siècle : nouveaux usages liés à l’abondance numérique, nouveaux modes de production et de représentation, nouvelles chaînes de valeur, nouvelles pratiques de lien social, etc.

    La présentation de ce projet se déroulera à l’espace exposition du PRIT 2009, baptisé l’ « Usine à projets européens ».
    Organisé en quatre thématiques (Santé, Ville et Environnement, Mobilité et Transports, TIC et Vie Numérique), l’espace a pour but de mettre en avant la capacité d’innovation des pôles de compétitivité franciliens, avec la présentation d’une cinquantaine de projets spécifique.

    Plus d’informations sur www.capdigital.com/eneide/

  • Les jeux vidéo, des objets d’apprentissage dans les bases de connaissance de l’école ?

    L’aspect «  ludique » des jeux  peut rentrer « en conflit » ou en contradiction » pour leur l’utilisation à l’école. D’une façon hâtive, beaucoup pensent que l’école n’est pas faite pour jouer, qu’il n’est pas question de perdre du temps en jouant et qu’il faut  construire avant tout des notions de bases à travers l’apprentissage de  contenus.  Faut-il faire abstraction des jeux à l’école ? Pour dépasser les clichés caricaturaux, il est intéressant de voir dans quelles mesures, les jeux peuvent être considérés comme des « objets d’apprentissage ». Parmi la multitude de jeux accessibles en ligne, ou présents sur le marché, si l’on veut pouvoir les utiliser facilement, il reste à les trouver, les repérer, les décrire ? Comment les intégrer dans les bases de connaissances de l’école ? Peut-on définir une « ontologie » des jeux pour l’école permettant de dégager des critères, des concepts incontournables liés aux jeux ?

    1.    Une étude européenne autour des  jeux dans les écoles.
    Cette étude aborde le place du jeu vidéo, des jeux informatiques et des jeux en ligne sur console à l’école.
    Des enseignants utilisent les jeux électroniques dans leur pratique pédagogique en classe. Pourquoi font-ils ce choix ? Quels types de jeux utilisent-ils ? Qu’en font-ils ? Comment les intègrent-ils dans le programme d’enseignement ? Quels objectifs pédagogiques visent-ils et quels résultats obtiennent-ils auprès de leurs élèves? En d’autres termes, quel peut être l’intérêt de cette démarche pour un système éducatif ? Pour répondre à ces questions, European Schoolnet a réalisé un premier état des lieux au niveau européen. L’étude a duré plusieurs mois du printemps 2008 au printemps 2009. L’investigation s’est articulée autour de plusieurs composantes : une revue de la recherche, une enquête auprès d’enseignants, des études de cas, des interviews de responsables éducatifs et une communauté de pratique sur Internet.

    « L’enquête auprès des enseignants révèle que des enseignants et des enseignantes, de tous âges, quel que soit leur niveau d’ancienneté, leur connaissance des jeux, l’âge de leurs élèves ou la matière enseignée, utilisent des jeux électroniques en classe. Certains d’entre eux éprouvent des difficultés à les intégrer au programme d’enseignement, mais se heurtent aussi au problème du manque d’équipement et à l’opinion mitigée des parents et des collègues sur les jeux électroniques. Des enseignants utilisent des jeux éducatifs en classe, mais également des jeux commerciaux et de loisir peut-être plus souvent qu’on ne pourrait le penser. Quel que soit le type de jeu utilisé, les enseignants espèrent un regain de motivation et une amélioration des compétences de leurs élèves (sociales, intellectuelles, spatio-temporelles, etc.), qu’ils constatent dans la pratique. »

    2.    Que dit la recherche à ce propos ?
    Les défenseurs de l’intégration de jeux électroniques dans l’enseignement (Game Based Learning) avancent des arguments constructivistes: « Ces jeux soutiennent et améliorent l’apprentissage et favorisent autant l’autonomie que les compétences sociales tout en étant  extrêmement motivants pour les apprenants. »

    En revanche, les détracteurs des jeux n’y voient souvent que perte de temps, isolement des individus, appauvrissement de l’esprit et même incitation à  la violence…  Au cours de l’intervention, nous serons amenés à identifier et analyser ce qui peut faire du jeu vidéo une ressource non négligeable pour la conception d’environnements d’apprentissage ludiques et efficaces.  A ce propos, il sera intéressant de dégager quels rapports que l’on peut établir entre « jeu vidéo et cognition » et sur quelles théories de l’apprentissage  sur  lesquelles on pourrait-on se baser.

    Des chercheurs  comme Gee, 2003; 2005; Chiu et al., 2005; Shaffer, 2005; Squire, 2005) et de praticiens de  les secteurs commerciaux (par exemple, Quinn, 2005; Prensky, 2006) ont exploré différentes  potentialités éducatives  des jeux sur ordinateur, et les possibilités d’adoption de jeu à base de l’apprentissage dans le système éducatif contemporain.
    Les chercheurs de l’Université de Hong-Kong, Morris S.Y. Jong, Junjie Shang, Fong-Lok Lee, Jimmy H.M., Lee (2008) distinguent deux approches du jeu dans les systèmes scolaires. La première est «l’éducation en jeux » qui est une approche pour une adoption de jeux commerciaux existant pour un usage éducatif. La  deuxième est  l’intégration des «jeux dans l’éducation ». Dans ces cas, les jeux sont conçus spécifiquement d’une façon sous-jacente au contenu pédagogique des programmes scolaires.  Ces auteurs insistent sur la motivation liée aux potentialités du jeu. Ces auteurs font une approche cognitive, socio-culturelle du jeu et qui est décrite dans les paragraphes qui suivent. Nous exposons leurs différentes approches du jeu que nous avons traduites.

    La motivation
    Les recherches de  Bisson & Lunckner, 1996; Cordova & Lepper, 1996 ont démontré que le plaisir et la jouissance sont importants dans le processus de l’apprentissage via les jeux. Les apprenants peuvent être plus détendus, motivés et prêts à apprendre. Sur la base empirique d’une série de enquêtes, observations et des entretiens avec  un jeu des acteurs, Malone (1980) a développé la théorie de la « motivation intrinsèque », qui insiste sur ce défi. Pour lui,  la fantaisie, la possibilité de contrôle,  la coopération, la reconnaissance sont les éléments les plus significatifs qui font  qu’un jeu est amusant, intéressant,  et  qu’il soutient la motivation des joueurs.  Malone a  préconisé que les écoles intègrent les jeux dans les programmes scolaires de manière à susciter  des motivations intrinsèques pour l’apprentissage des élèves. Bowman (1982) a fait une étude sur le jeu et l’apprentissage en faisant apparaître  un état de  expérience optimale, par lequel une personne qui est tellement engagée dans une activité que l’auto-conscience disparaît, et le temps se déforme (Csikzentmihalyi & Larson, 1980). L’objectif dirigé de la tâche  n’est pas dû à des récompenses externes, mais pour la joie de faire.  Bowman estime que l’apprentissage avec des jeux  est un moyen efficace d’inciter les élèves à  se mettre dans un  état de « flux de l’apprentissage ».

    Approche cognitive
    Les travaux de recherche en sciences cognitives et de l’éducation (Gee, 2003; Prensky, 2001; Shaffer, 2006), les travaux plus anciens de Seymour Papert (1998), les recherches de psychologie cognitive d’Alain Lieury, Sonia Lorant, les travaux de Bryan Alexander (2008), de Richard Van Eck (2006), James Paul Gee (2003) nous donnent des éléments en faveur du jeu comme un « espace de médiatisation cognitive ». L’intention première est de rendre l’apprentissage plus facile. L’apprentissage doit être un processus actif basé sur des expériences concrètes (Piaget, 1964). Un jeu bien conçu peut simuler, présenter des contextes de la vie réelle pour les individus leur permettant d’acquérir des connaissances et des compétences involontairement plutôt que délibérément (Gee, 2003). C’est un apprentissage « en situation », un  paradigme d’apprentissage défendu par Lave et Wenger (1991).
    Prensky distingue (2006) les « mini-jeux », et les jeux complexes. Les  mini-jeux durent  plusieurs  minutes à une heure. Habituellement, ces jeux contiennent de simples défis. Les jeux complexes nécessitent des parties de jeux de  dizaines d’heures (voire plus)  qui supposent de la concentration, de l’attention.

    Dans ces cas  il est question d’acquérir de nouvelles et multiples compétences, et de communiquer (ou de collaborer)  avec d’autres joueurs (Gee, 2003; Quinn, 2006).  La plupart des tâches  y sont génératives et « ouvertes ». Les joueurs ont à analyser la perception de l’information et des jeux complexes dans des contextes  de manière proactive. Ils doivent également appliquer leurs connaissances et des compétences nécessaires pour formuler leurs stratégies, prendre des décisions, et  ensuite analyser les résultats. Les jeux complexes offrent la perspective de développer des environnements d’apprentissage (Halverson, 2005) dans lesquels les individus peuvent faire des essais, et avoir des retours sur les hypothèses et les stratégies. Autant de façons d’acquérir des connaissances et des compétences d’une façon constructive. (Bisson & Lunckner, 1996; Shaffer, Squire, alverson, & Gee, 2005).

    Approche socio-culturelle
    La connaissance elle-même découle de besoins sociaux et remplit des fonctions sociales,
    (Cole, 1996). L’apprentissage n’est pas seulement un processus de maîtrise des faits,  ou même de faire des tâches complexes, mais participent  à des pratiques socio-culturelles.  Cela exige des apprenants qu’ils puissent développer leur  propre  identité par rapport aux autres. Les joueurs doivent par exemple répondre en ligne et il se forme souvent des équipes pour discuter des défis, des quêtes, et  résoudre des puzzles. On peut penser que le jeu prend une dimension systémique. (Prensky, 2006). Les utilisateurs sont invités à  partager, discuter, évaluer et appliquer les connaissances de la communauté. Il y a co-construction de connaissances par les membres de la communauté. Par rapport aux approches traditionnelles,  le jeu basé sur l’apprentissage peut créer un monde social et culturel  qui aide les  utilisateurs à apprendre par l’intégration de réflexions et  d’interactions sociales (Shaffer et al., 2005).

    3.    Jeux : des objets dans des bases de connaissances de l’école ? Quelle méthode ?
    Il est important de pouvoir dresser une typologie des jeux vidéos en ligne accessibles aux élèves, de pouvoir les cataloguer et en faire une cartographie avec une utilisation possible,  dans le contexte scolaire.  Quels critères utiliser ? Julian Alvarez et Olivier Rampnou ont défini 5 grandes catégories selon la finalité. Ces universitaires proposent la classification suivante  :Advergaming, Edutainment,  Edumarket game,  Jeux engagés, Jeux d’entraînement et simulation.  D’autres ont prévu une autre classification.  Julian Alvarez et Damien Djaouti, en collaboration avec les chercheurs des laboratoires I.R.I.T. et L.A.R.A., ont  lancé un projet de recherche visant à établir une classification résultant d’une analyse scientifique, non basée sur des critères uniquement empiriques. Cf  la classification du Jeu par le Gameplay  .  Ce site  propose une « classification collaborative adaptée au jeu vidéo, qui s’appuie sur plusieurs critères simultanés. Les jeux sont classifiés par leur « gameplay », leurs intentions, leurs domaines d’application et publics ciblés, ainsi que par un système de mots-clés libre ».

    GAMEPLAY
    Classification du Jeu par  Gameplay

     

     GAMEPLAY
    Des verbes d’action pour « cataloguer » les jeux en fonction d’objectifs stratégiques

     

    Une requête pour trouver des jeux vidés pour les 3-7ans
    REQUETE

    Le socialbookmarking, une solution pour partager des ressources sur les jeux et pour les jeux ?
    Les jeux vidéos peuvent être pris en compte comme « objets d’apprentissage » et être un élément à intégrer dans une base de ressources collective éducative intégrant l’indexation sociale, le socialbookmarking. A partir de travaux menés dans une communauté de pratiques d’enseignants autour des jeux vidéos pour l’éducation nous présenterons la structure d’une base de ressources collectives autour des jeux vidéos intégrant le socialbookmarking.

    SOCIALBOOMARKING
    Groupe Ludologie et Education
    http://groups.diigo.com/groups/ludologie-jeux-et-education

    Limites :
    Les verbes d’action permettant de définir les finalités des jeux n’apparaissent pas. Cela suppose que les utilisateurs de socialbookmarking se mettent d’accord pour les tags. Il faudrait prévoir la création de tags en fonction de ces verbes.
    Il est difficile de dissocier les ressources « objets d’apprentissage » et les ressources « sur les jeux ». Les travaux spécifiques menés par Julian Alvarez et Damien Djaouti ont l’avantage de concilier une dimension collaborative avec une structuration et une description plus fine des ressources, facilitant la recherche, la visualisation des potentialités didactiques du jeu.

    5.    Une éducation cognitive à l’école autour des jeux.
    Une éducation cognitive s’impose à l’école autour des jeux vidéos. Nous analyserons comment cette dernière peut s’inscrire dans le curriculum des élèves.

    •    Concevoir des jeux, une activité de création, riche en enseignement.
    Il existe de nombreuses plate-formes permettant de générer des jeux. Exemple d’espaces pour créer des jeux en Flash.  Ou la plate-forme de Louise-Sauvé. Le projet ENJEUX-S a pour but de développer un Environnement multimédia évolué de jeux éducatifs et de simulations en ligne. Il offrira une zone de travail sous forme de service Web qui comprendra notamment des jeux et des simulations inédites en ligne, des jeux développés à l’aide des coquilles génériques du Carrefour virtuel de jeux éducatifs et des jeux et simulations conçus par SAGE.  Le logiciel Scratch est également un logiciel permettant de développer des jeux en ligne.

    •    Utiliser des  jeux en ligne
    Il est intéressant par exemple de se pencher sur les travaux de  Foster Aroutis qui  aborde les jeux vidéos pour aborder les sciences à l’école. Les recherches menées par Mark Griffith et  Sara de Freitas du Serious Game Institut (Université de Coventry)  posent néanmoins la question du développement d’outils d’évaluation et de validation de l’usage des Seriousgame, des  jeux vidéos  au service des apprentissages. C’était l’un des objectifs du projet de European Schoolnet. Un réseau d’utilisateurs et de concepteurs de jeux se mettent en place.

    •    Développer la compétence des enseignants pour définir un design pédagogique autour du jeu.
    Il est important de faire le point sur la théorie du design pédagogique élément fondamental dans la médiatisation de contenus et des objets pédagogiques en ligne. (Henri et Lundgren-Cayrol, Doré et Henri, 2000).

    •    Prévoir des formations autour des jeux vidéos à l’école, des jeux en général.

    Conclusion
    Les jeux  ont des  potentialités indéniables  au service des apprentissages. Afin de faciliter son usage et d’en tirer  un maximum de  bénéfices, il est important de co-construire une base de connaissances autour de ces objets d’apprentissage avec toutes leurs spécificités, avec les praticiens, les chercheurs et développeurs. Les jeux ne seraient-ils pas des objets à découvrir en faisant émerger leurs potentialités dans un contexte de formation et en étant soi-même joueur. Au même titre que les vidéos, l’indexation de jeux vidéos pose le problème de la structure de la ressource qui se déroule dans le temps, en différent « actes ».  Un schéma de découpage, des narrations,  des verbes d’action  sont des outils à penser et construire avec des regards croisés.  Tout un  programme à développer avec les utilisateurs, chercheurs, développeurs pour une éducation sachant tirer partie les bénéfices du numérique, dans les interstices des jeux.

    Par Michèle DRECHSLER, Université  Paul Verlaine de Metz, laboratoire CREM

  • Des jeux vidéo pour l’apprentissage ?

    Qu’entend-on par jeux vidéo éducatifs?
    On peut définir les jeux vidéo éducatifs comme toute application informatique intégrant des aspects à la fois ludiques et éducatifs. Certains jeux sont présentés sous forme de cartes thématiques ou temporelles à explorer, d’autres permettent de manipuler, créer ou simuler des environnements complexes où le joueur tient un rôle actif dans une quête à accomplir, un problème à résoudre ou un apprentissage à effectuer. En fait, la problématique que soulèvent les questions posées plus haut n’est pas nouvelle, particulièrement dans le champ des études en sciences de l’éducation. Squire (2002) cite Wentworth et Lewis (1973), deux chercheurs ayant synthétisé près d’une cinquantaine d’études concernant l’apprentissage par le jeu. Leur conclusion démontrait que dans la majorité des études recensées, les apprenants qu’on avait soumis à des expériences d’apprentissage par le jeu n’avaient pas mieux ou moins bien réussi que ceux soumis à des scénarios d’apprentissage plus classiques, mais qu’ils avaient néanmoins bénéficié d’un sentiment d’engagement lié à l’activité ludique.

    Quant aux critères déterminant la qualité de l’expérience ludique (jouabilité), j’ai énoncé, dans ma thèse doctorale portant sur la conception de jeux vidéo éducatifs (St-Pierre, 2007), certains éléments pouvant servir de repères. Le présent article fournit une série d’exemples catégorisés selon les domaines d’étude de l’éducation supérieure, plus particulièrement la formation collégiale. Ces exemples ont été sélectionnés en fonction de plusieurs critères qualitatifs : pertinence par rapport aux compétences à atteindre, à la facilité d’usage et d’appropriation, au caractère ludique ainsi qu’aux applications orientées vers la collaboration. En conclusion, vous trouverez quelques pistes de réflexion qui suggèrent des éléments d’exploration pour le développement de la recherche dans le domaine.

    
Qu’est-ce qui nous motive à nous livrer à des jeux vidéo?
    Pour développer un environnement de jeu permettant l’apprentissage et motivant, il faut respecter un certain nombre de critères qualitatifs. Dans une importante étude d’une quarantaine de jeux vidéo éducatifs (Dempsey et autres, 1997), on a réussi à les formuler. De façon générale, l’étude stipule que pour être engageants et favoriser l’apprentissage, les jeux doivent fournir des instructions claires, un niveau de motivation et de défi suffisant, et enfin, la possibilité d’avoir le contrôle sur certaines options comme la vitesse, le degré de difficulté, les effets visuels et sonores, le type de rétroaction. Certains éléments d’ordre esthétique, comme le design de l’interface graphique et sonore, les couleurs, le texte, les animations et la qualité graphique, étaient aussi au nombre des considérations importantes. Les fonctions de positionnement, d’aide, de trucs et astuces étaient aussi appréciées. Dans la majorité des cas, les répondants ont dit aimer les jeux intégrant des scénarios ou des récits déjà connus.

    Dans une autre étude conduite en 2001 par la British Educational Communications and Technology Agency (BECTA) concernant l’usage des jeux vidéo en éducation, une série de recommandations ont été soumises :
    •    les applications devraient inclure un objectif pédagogique clair;
    •    les équipes de développement devraient comprendre des enseignants et des élèves durant tout le cycle de développement des projets;
    •    les projets devraient intégrer un large éventail d’objectifs d’apprentissage;
    •    le rôle de l’enseignant ou de l’enseignante «in situ» devrait être pris en compte;
    •    des scénarios pédagogiques devraient permettre que des discussions et des échanges entre élèves et enseignants puissent effectivement avoir lieu.

    
Facteurs de motivation : le concept de flux de Csikszentmihalyi
    L’impact des jeux vidéo sur l’aspect motivationnel de l’apprentissage est étudié depuis une trentaine d’années. Malone (1980) a développé une théorie selon laquelle les éléments clés permettant d’augmenter la motivation par le jeu étaient les notions de défi, de fantaisie et de curiosité. Faisant suite à ce premier jalon théorique, Jones (1998) et Prensky (2001) ont proposé un ensemble de critères favorisant la notion d’engagement dans un jeu. Ces théories puisent largement dans le concept de flux (flow) de Csikszentmihalyi (1975). Malone (1980), puis Prensky (2001) interprètent la théorie du flux de la façon suivante : dans l’état de flux, le problème proposé et notre habileté à le résoudre sont en équilibre. Cette notion se retrouve dans une multitude d’activités comme le travail, le sport et l’apprentissage. Le flux représenterait un état d’immersion physique et mental dans lequel une personne serait tellement engagée que plus rien d’autre autour n’aurait d’importance.

    Quelques caractéristiques permettent de mieux définir l’état de flux :
    •    L’activité doit être structurée de manière que la personne puisse augmenter ou réduire le niveau de difficulté du défi proposé, afin d’être en phase avec les exigences du projet et son niveau de compétence;
    •    L’activité doit être isolée d’autres stimuli, externes ou internes, du moins sur le plan perceptuel;
    •    Les critères de performance doivent être clairs et permettre de savoir à tout moment comment on progresse face à un objectif;
    •    L’activité doit donner une rétroaction concrète à la personne de manière qu’elle puisse percevoir comment elle réussit à satisfaire les critères de performance;
    •    L’activité doit proposer un éventail de défis ou d’objectifs à atteindre, et possiblement plusieurs niveaux de difficulté pour chacun de ces défis, permettant ainsi de construire une compréhension de plus en plus complexe d’un problème.

    […]

    Contraintes à l’implantation des jeux vidéo dans l’apprentissage

    L’usage de jeux vidéo dans le contexte de l’enseignement semble encore un phénomène relativement isolé. Néanmoins, dans trois études provenant du Royaume-Uni, on a tenté de comprendre comment certains types de jeu vidéo pourraient être utilisés en classe (Becta, 2001; McFarlane et autres, 2002; Kirriemuir, 2002). Ces études ont par ailleurs révélé des contraintes relativement à l’implantation de ces jeux dans l’apprentissage :

    Difficulté pour les enseignants non formés à identifier ce qui serait pertinent d’un point de vue pédagogique dans tel ou tel jeu et quelles sont les relations possibles pouvant être établies entre le jeu et le curriculum;

    Difficulté à promouvoir le potentiel éducatif et pédagogique des jeux vidéo au sein du corps professoral;

    Manque de temps et de ressources pour se familiariser avec les environnements de jeu et développer des scénarios pédagogiques efficaces intégrant des jeux vidéo dans le curriculum;

    Difficulté à se concentrer exclusivement sur les éléments pertinents d’un jeu, trop de fonctionnalités venant distraire l’utilisateur.

    Dans le même ordre d’idées, une étude menée par Squire (2003) démontrait que le principal obstacle à l’usage de jeux vidéo en classe était le temps imparti simplement pour que les étudiants et le professeur puissent s’orienter efficacement dans un jeu. Squire décrivait dans son étude l’usage d’un jeu de simulation historique en classe pendant plusieurs sessions; il faisait remarquer qu’un effort considérable devait être déployé par le personnel enseignant afin de s’assurer que les étudiants soient en phase avec les consignes de jeu. Parallèlement, les problématiques techniques d’accès et d’usage des équipements matériels étaient aussi considérées dans cette étude.

    Plus d’informations et article complet de René Saint-Pierre sur : http://clic.ntic.org/cgi-bin/aff.pl?page=article&id=2142

  • Ductilité des espaces créatifs dans le domaine des jeux vidéo

    L’ACTEUR ET LA MISE EN PLACE DE PROJETS CREATIFS

    1.1    L’acteur et ses projets de création dans le domaine du jeu vidéo

    Donner des compétences à l’acteur, lui faciliter l’accès et l’usage dans l’accomplissement d’actes créatifs au sein des dispositifs numériques, s’avèrent deux projets en phase avec le futur du développement et de la production ludique. Toutefois cet angle de vue informatique ne permet pas de partir de la projection de l’usager. En tant que chercheurs en communication, nous allons tenter de partir de l’acteur afin de voir comment il met en place des projets créatifs, par rapport aux outils existants. Nous nous demanderons :
    Comment l’acteur choisit-il des logiciels, pour quel usage, pour quel projet, pour quelle intention créative ?

    1.2    Un corpus composé d’usagers de forums de création amateur et d’étudiants.
    Notre corpus d’acteurs interviewés est essentiellement constitué d’usagers de forums de création amateur et d’étudiants suivant un cursus en formation « jeu vidéo » et utilisant ces outils de création de jeu.
    Nous analyserons les données recueillies à deux niveaux :
    – Au niveau de l’acteur, afin de trianguler  ses projets, ses logiques d’actions créatives et les potentialités proposées par les logiciels.
    – Au niveau de la créativité afin d’identifier, le domaine qui constitue un ensemble de règles et de procédures symboliques, le milieu constitué de personnes décidant d’inclure, ou non, une nouvelle idée dans le domaine et les différents processus de créativité.

    Au final, en comprenant les acteurs, leurs projets et dans quels contextes ils peuvent développer des actes créatifs numériques, on arrivera à mieux cerner ce que nous appelons un « champ propice »  soit: l’ensemble des états du monde qui autorise le passage et l’émergence de sens. Notre positionnement théorique présuppose que l’on doit sortir d’une représentation qui revendique que dès qu’il y a conception d’un dispositif, il y a réception des informations et actualisation par l’utilisateur. En effet, une émission peut rester vide de transmission de sens s’il n’y a pas de public apte à saisir le sens, à cause d’une carence de code commun (langue, terminologie…) ou d’une carence de capacité cognitive adaptée (niveau d’expertise exigé trop fort, dispositif trop complexe…). Ce champ dit propice  représente une complémentarité et une pertinence optimales entre le champ de l’expérience (champ des possibles projeté par l’acteur) et le champ de l’inter-action (champ de l’action créative numérique).

    2.    IDENTIFICATION DES PROFILS ET DES PROJETS D’ACTEURS DANS LE CHAMP DES POSSIBLES.

    2.1    Présentation des techniques de recueil de récits d’usagers
    Nous avons visité nombre de forums dédiés à cette activité, certains libres et brouillons d’autres organisés en association, fédérant autour d’un type de jeu, d’une technologie, d’outils. Nous avons organisé, comme dit précédemment, le recueil de données à partir de questions larges afin de laisser l’usager nous exposer sa vision des choses. Parfois nous y avons partagé intérêts et préoccupations pour mieux appréhender la posture. Enfin, intervenants dans le cadre d’une formation au design de jeux vidéo, l’observation du groupe étudiant au cours de l’année aura enrichi l’expérience. De ces investigations, de ces expériences vécues, nous présentons un constat que nous tenterons d’analyser un peu plus loin.

    2.2    Deux profils pour deux champs des possibles : la place de l’outil

    Qui sont ces candidats à la création vidéo ludique amateur et quelles sont leurs motivations ? Qu’espèrent-ils des outils qu’ils sollicitent et quelles potentialités ceux-ci leur proposent-ils ?
    Le profil du candidat créateur de jeu vidéo amateur n’est pas aisé à définir, mais deux types d’aspirations semblent présentes : Le joueur et l’inventeur.
    Le joueur : Il a pour ambition de faire mieux, plus, autrement, en prenant pour référence les jeux qu’il affectionne qui sont à la fois le terreau et l’horizon de ses projets.
    L’inventeur : Il se positionne en innovateur, constructeur de structures, de systèmes qui feront la démonstration de son talent créatif ou de sa maîtrise technologique et de son savoir faire à la manière d’un compagnon avec son chef d’œuvre.

    Alors bien sûr, ces types sont des caricatures à nuancer et en particulier par la nature et la biographie des acteurs. Sans grande surprise, l’âge du public correspond assez aux deux types d’acteurs,  décrivant des joueurs plus jeunes et des inventeurs plus âgés. La maîtrise d’un registre de compétences et souvent d’une expérience liée module, elle aussi, le type et l’orientation.
    Les artistes s’affichent peu sur les forums dédiés aux jeux vidéo, peut-être parce que leurs compétences peuvent s’épanouir dans d’autres champs artistiques, l’art numérique, le film d’animation, la B.D. Aussi quand on peut observer leur savoir faire c’est souvent parce qu’ils sont venu rejoindre un projet conséquent, organisé et déjà avancé. Les programmeurs, dont les réalisations sont avant tout fonctionnelles quand ils veulent s’émanciper, trouvent dans les jeux vidéo un support idéal d’évasion.

    En matière d’offre logicielle, si nous reprenons nos deux aspirations du départ, le créateur du type joueur et le créateur du type inventeur, les approches sont différentes.
    Les créateurs joueurs, rencontrent deux propositions, le « modding »  de jeux phares et l’utilisation des « factory’s »
    Le « modding », est un fantastique outil pour mobiliser des communautés en prolongeant le terme des jeux d’une durée impensable sans ce processus. Le moteur de jeu est fourni avec une version identique ou quasi identique de l’outil de level design  qui a été utilisé pour réaliser le jeu. L’utilisateur va ainsi pouvoir modifier, voire remplacer l’ensemble des graphismes du jeu, dessiner de nouvelles maps . Il pourra également intervenir sur les scripts de haut niveau pour modifier les comportements des entités entre elles ou avec le joueur. La pratique du mod attire beaucoup de monde, valorisante puisque permettant une sortie de qualité professionnelle, elle séduit graphistes musiciens et architectes de niveaux de jeux. Elle n’en est pas moins exigeante et ,quand un mod est remarqué et remarquable, c’est le résultat d’un investissement en temps et en compétence important.

    Les « factory’s », sont un peu le contre point du modding. Ici pas de jeu support, mais une usine à jeu, où à partir d’éléments préfabriqués, il devient possible de donner naissance à un jeu en quelques jours voire quelques heures pour une première version jouable. Une banque de ressources, des comportements types, une gestion d’événements et quelques idées de gameplay et le tour est joué. C’est l’outil type du hobbyiste, facile à prendre en main, mais limité. Limité par les contraintes du modèle, le type de jeu cible, les formats acceptés. L’essentiel des réalisations mime les productions 2D des années 80/90.
    La démarche est assez semblable pour les deux types. Une architecture 3D orientée FPS , une interface plus simple, qui invite à la création de jeux typés casual, arcade ou RPG.
    Deux constantes, pas ou peu de programmation, et la possibilité de réutiliser des ressources graphiques ou sonores existantes.
    Les créateurs inventeurs, selon qu’ils sont compétents en matière de programmation ou pas, se voient également offrir deux propositions. La première consiste à utiliser une palette d’outils, spécifiques ou packagés en AGL, organisés autour d’un langage de programmation.

    La seconde consistant à s’approprier à minima les compétences suffisantes pour trouver la première proposition satisfaisante. Pas d’espoir pour les « sans codes », et si l’on parle de « développement » de jeux vidéo, ce n’est pas anodin. Un jeu vidéo c’est avant tout un programme, un arrangement de bit, une affaire d’informaticien et l’essentiel de l’offre est pensé par et pour des informaticiens. Alors, pas d’espoir pour les créatifs ?

    Pour être objectif, le pur créatif n’y trouvera pas son compte sans changer un peu, sans oser s’aventurer hors de son espace. S’il campe sur ces positions, ses compétences resteront utiles voire indispensables dans un projet participatif, mais il ne peut envisager y aller tout seul. Le pur programmeur sera à son aise devant cet établi ou tous les outils lui seront familiers. Langages, compilateurs, API, bibliothèques, moteurs, et des potentialités presque sans freins. Encore faut-il voir pour quel projet.

    3.    COMPREHENSION DES ACTIONS D’ACTEURS DANS LE CHAMP DE L’INTER-ACTION 

    3.1    Le faire soi-même et l’usine à jeux
    Le bricoleur en matière de jeu vidéo n’est pas à rapprocher du vannier ou de l’amateur de macramé, du maçon du dimanche ou de l’apprenti électricien, ni même de l’architecte en herbe présentant fièrement à sa famille médusée la visite interactive de la demeure fantasmée. Il tiendrait plutôt de l’homme orchestre, celui, pour qui, construire intégralement une maison comme une voiture paraît somme toute envisageable. Enfin, c’est en tout cas le profil que l’on peut attendre de ceux qui  ambitionnent de se lancer dans une telle aventure. Ambitieux donc, le projet de celui qui veut faire soi-même un jeu vidéo ? Certainement et à plusieurs titres.

    Tout d’abord techniquement, parce qu’il ne s’agit pas d’approcher le geste, la connaissance ou la compétence de l’artisan, du seul spécialiste, mais bien de s’approprier un processus industriel en terme d’organisation, de méthodologie et de maîtrise des multiples compétences spécifiques dans toute leur complexité. Un jeu vidéo est une production numérique, donc bien évidemment du code et en ce sens, une affaire d’informaticien. Ensuite, un jeu vidéo c’est également une atmosphère, que soutient un graphisme, une ambiance sonore, une histoire, une interactivité. Autant d’axes de création et de compétences associées. Mais un jeu vidéo, c’est aussi et avant tout une invitation faite à l’usager d’évoluer dans un univers qui lui est dédié, univers dont les règles sont le fait de celui qui fait la proposition, le créateur, le concepteur.

    Ce jeu vidéo dont on parle, finalement qu’est-ce que c’est ? Quelle est la genèse d’un tel projet ? Et que veut dire pour un acteur, soit il amateur, créer un jeu vidéo ?
    Un jeu vidéo est une œuvre (d’art ou pas, le débat reste ouvert) multimédia numérique qui propose à son usager une interaction à visée de divertissement ludique par l’intermédiaire d’un écran et d’une interface. Qu’implique cette définition ? D’abord, qu’il est question de technologie et que cette technologie avant de servir de véhicule de médiation au joueur doit être maîtrisée par le concepteur. Ensuite, que cette technologie doit être au service du concepteur pour véhiculer les contenus et les constructions qui feront sens pour l’utilisateur à qui s’adresse l’œuvre.

    Dans l’industrie des jeux vidéo, une sectorisation s’est opérée et, bien que comme ailleurs coexistent des modes organisationnels différents, la spécialisation voire l’hyper spécialisation est la norme. Pour reprendre les termes de Rolling et Morris, l’organisation en « usine de développement » suivrait la division suivante :

    3     Conception et management
    4     Programmation
    5     Artistique graphique
    6     Musique et divers
    7     Support et assurance qualité.

    Ces secteurs recouvrent des rôles divers qui seront endossés par une ou plusieurs personnes selon les objectifs et l’ambition du projet. Un studio moyen de jeux vidéo mobilise sur un projet, selon les phases du développement, de dix personnes en phase de conception à cent personnes en phase de production. Pourtant, construire un jeu vidéo, c’est toujours le même schéma créatif, celui qu’utilisaient également les pionniers du genre. C’est cette image, celle de l’inventeur, qui attire encore dans ce processus créatif au risque de l’utopie.

    3.2    Un monde cruel
    Les projets sont innombrables, mais rares sont ceux qui dépassent le temps d’une présentation, de quelques messages échangés sur un fil de discussion ouvert à grand fracas de superlatifs. Le discours et l’effervescence démontrent la vivacité sans cesse renouvelée du public vers son sujet.

    Numéro un des messages écrits sur ces forums, l’invitation à participer au projet du siècle.
    Elle émane de l’un des deux profils cités, qui conscients de la complexité de leurs projets cherche le plus souvent sans succès à s’entourer. Mais régulièrement, ce sont des autoproclamés game designer qui sans complexes et sans compétences aucunes non plus, viennent rabattre les troupes propres à constituer la main d’œuvre de leur génial projet. Flop là aussi à l’arrivée, et malheureusement, consommateur de motivation pour ceux qui s’y seront laissés prendre.

    C’est aussi dans ce registre des projets collectifs, que l’on assiste heureusement à la naissance de belles aventures, technologiques, artistiques et humaines, structurés et ouverts à la fois ils sont moteurs et formateurs.

    Si aussi peu de projets aboutissent, les outils sont-ils responsables ?
    Les logiciels, promettent souvent tout, à la fois des possibilités informatiques ductiles et une prise en main directive pour ceux qui le désirent. Nous pouvons prendre la métaphore de la palette de peinture pour illustrer notre propos : Une palette de peinture permet de faire de l’abstrait, du représentatif, du monochrome ou du polychrome. On peut donc annoncer qu’elle a les potentialités pour faire tout cela. Mais c’est ensuite le peintre qui va, par son expérience, ses attentes et ses projections dans l’outil, créer et concevoir, voire inventer un style. Il en est de même avec les logiciels de création en jeux vidéo. Souvent, la palette des potentialités des logiciels s’avère supérieure aux compétences de l’acteur. Pourtant ce dernier va mettre en doute la performance de l’outil, puisque ce dernier n’arrive pas à réaliser ce qu’il a dans la tête. L’acteur projette ses attentes dans l’outil. Alors que c’est dans ses propres potentialités créatrices que se trouve la clé, comme illustré par l’exemple de la palette de peinture.
    Quels sont ces processus de la créativité et que peut-on appeler  « acte de création » en matière de jeux vidéo ?

    4.    PENSER UN CHAMP PROPICE POUR LE DO IT YOURSELF DANS LES JEUX VIDEO. 

    4.1    Sortir de la technique et entrer dans les compétences interactionnelles. 
    Finalement, nous pouvons considérer, eu égard à tout ce que nous venons de mettre en évidence, que l’avancée du Do it yourself se fera davantage dans le domaine de la créativité que véritablement dans le domaine informatique. La plupart des projets n’aboutissent pas car les auteurs manquent d’inspiration et d’esprit innovant quant aux scénarii et à la mise en scène des idées. L’image virtuelle se réapproprie et potentialise l’objet communicant, à la fois dans les registres ludique, imaginaire et complexifiant. Cette complexité ne se révèle pas dans la performance technique, mais, nous semble-t-il, davantage dans la performance communicationnelle. Nous constatons que les outils qui sont proposés omettent le travail de conception en amont qui servirait à construire une véritable matrice interactionnelle. C’est dans et à travers ladite matrice interactionnelle que les acteurs pourront s’identifier, s’exprimer, que ce soit par la performance, l’originalité ou le détournement.

    « Le jeu vidéo est basé en grande partie sur la notion d’interaction qui peut être perçue à plusieurs niveaux. Du point de vue du concepteur, l’interaction est avant tout régie par l’ensemble des règles du système à travers lequel il va pouvoir s’exprimer. (…) Aujourd’hui, force est de constater que les jeux sont rarement exclusivement basés sur un nombre élevé, cohérent et autosuffisant de règles interactives, alors que la puissance des machines disponibles pourrait théoriquement le permettre. En effet, la définition d’un tel système de règles pose deux problèmes. Tout d’abord, la complexité pour modéliser un monde cohérent croît avec le nombre de règles le décrivant, il en résulte alors une vraie difficulté d’interprétation et de prévision de l’interaction dans ce monde. Ensuite, le concepteur a pour rôle de régler un ensemble de « méta-paramètres » influant globalement sur l’intérêt du jeu, le rythme, la gestion du conflit et la création d’enjeux.»

    4.2    Passer à une modularité des possibilités

    4.2.1    Les processus de l’acte créatif comme modularité.
    D. Cage  souligne l’intérêt de laisser de la liberté aux joueurs, tout en gardant « un pilote à la voiture»: «l’histoire est comme un élastique que l’utilisateur peut déformer à sa guise, plus ou moins long, court, ou déformé. » Ce n’est pas différent pour l’usager créateur.

    Nous considérons que pour qu’il y ait acte créatif, il faut que soit rassemblé un ensemble de capacités intellectuelles que T. Lubart  a défini en sept grandes catégories. Nous allons nous baser sur cette grille pour penser des modularités. L’idée est de partir des capacités inhérentes à l’acte créatif pour proposer à l’usager, quelque soit son profil, de trouver dans un module une solution à son problème ou, du moins, une aide concernant une lacune ou une carence. Ainsi nous devrions pouvoir être au plus près de notre recherche d’un champ propice, chaque usager (quel que soit son projet, son expérience et ses compétences), pouvant aller puiser dans l’éventail des modules proposés. Les capacités répertoriées par T. Lubart seront, dès lors, pour notre propos, des processus à mettre en œuvre pour produire l’acte créatif. Ces processus sont à projeter comme structure constituante d’un outil 2.0 d’aide à la création comme nous le sollicitons.

    Nous reformulerons ces capacités de la manière suivante :
    Capacité de l’acte créatif (Lubart)    Processus à intégrer sous forme de module
    Identification, définition et redéfinition le problème    Recadrage
    Encodage sélectif : sélectionner les informations pertinentes    Sélection facilitante
    Comparaison sélective : capacité à observer des analogies entre des domaines différents qui éclairent un problème    Corrélation analogique
    Combinaison sélective : capacité à regrouper des éléments divers d’information, qui réunis, vont former une nouvelle idée (combinaison sélective)    Combinatoire constructive
    Pensée divergente : capacité à générer plusieurs possibilités, de manière pluridirectionnelle.    Kaléidoscopique
    Evaluation des idées : auto-évaluer sa progression vers la solution    Discernement
    Flexibilité : capacité à se dégager d’une idée initiale pour explorer de nouvelles pistes. Aptitude à appréhender une seule idée sous des angles différents.    Ductilité

    4.2.2    Processus de recadrage.
    Le module devra montrer comment pour un même problème, un changement d’angle peut permettre de trouver d’autres solutions plus abordables. Ainsi, il faudra transmettre le fait qu’il n’est, par exemple, pas obligatoire de se jeter à corps perdu dans la technique pour réaliser un effet, la même idée pouvant être communiquée d’une autre manière. La 3D par exemple devrait pouvoir être recherchée en réponse et non en principe.

    4.2.3    Processus de sélection facilitante 
    Chacun doit pouvoir trouver, suivant sa sensibilité créatrice et son niveau d’expertise, des informations qui lui correspondent et à travers desquelles il peut se projeter. Le but sera ici de trouver les bibliothèques et/ou les outils lui permettant d’accéder à une version « réalisable » de son projet. Ce qui implique deux choses, une adaptativité du dispositif et une ontologie large.

    4.2.4    Processus de corrélation analogique

    La métaphore est au cœur de la pensée créative. Il est donc important que l’acteur puisse s’inspirer de métaphores, d’analogies, surfer au cœur du symbolique, pour trouver le sens et l’esprit qu’il veut laisser transparaître dans son jeu vidéo. Banques de données, mind mapping, dictionnaires. Chaque idée doit pouvoir ouvrir sur un champ référentiel multiple.

    4.2.5    Processus de combinatoire constructive 
    L’idée est ici celle que nous retrouvons plus généralement dans l’idée d’intelligence collective : Soit la mise en commun de plusieurs idées construit une nouvelle idée. L’originalité de l’idée ne peut venir que de la richesse de la combinatoire. La co-construction de jeux grâce à des dispositifs collaboratifs (en réseau ou non) offre un gisement intéressant permettant de dépasser l’imagination individuelle des acteurs. Le brainstorming 2.0.

    4.2.6    Processus kaléidoscopique
    A partir d’un point de départ, ce processus va créer un grand nombre de possibilités, d’ouvertures différentes. Effets transformants et divergents d’une vision permettant d’avoir des pistes pluridirectionnelles. Une possibilité de déconstruction-reconstruction élémentaire qui permet à de nouveaux arrangements d’émerger.

    4.2.7    Processus de discernement
    Dans la continuité du processus kaléidoscopique, le processus de discernement va tenter de choisir, de trier les possibilités, pour n’en garder que les meilleures ; meilleures en terme de faisabilité et d’harmonie. Du chaos des éléments doivent émerger les formes d’arrangements qui répondent au choix de l’acteur.

    4.2.8    Processus de ductilité
    Ce concept de ductilité renvoie à l’idée de quelque chose de malléable. Le processus créatif ,pour véritablement émerger, doit pouvoir être flexible, adaptatif au point de créer des espaces novateurs, il doit ouvrir à la remise en question sans rompre. Le bouton d’annulation doit être multi directionnel, dimensionnel, contextuel, temporel. L’erreur n’existe pas : elle ne doit être que déformation ponctuelle.

    4.2.9    Inciter l’acte créatif, l’émergence du champ propice
    En référence à CSIKSYZENTMIHALYI, l’émergence d’un champ propice trouve écho dans la théorie du flow. Entre le défi que se lance l’acteur et les compétences qui feront réellement sens dans sa communication avec l’outil, un espace du plaisir de faire peut naître, un espace fixant les limites du champ propice.
    Ces limites sont étroites et l’acte créatif rare, l’exercice est difficile, il s’agit d’inciter sans guider pour qu’émerge le champ propice.

    4.3    L’acte de création dans le jeu vidéo

    Qu’est-ce que c’est, avoir une idée ? Qu’est-ce que c’est avoir une idée au cinéma ?
    C’est ainsi que Gilles Deleuze ouvrait sa conférence à la FEMIS en 1987.
    Nous pourrions reprendre mot par mot ses réflexions et les appliquer au cas du jeu vidéo. « Avoir une idée, ce n’est pas courant, c’est un événement (…) avoir une idée, ce n’est pas quelque chose de général, on n’a pas une idée en général, une idée est déjà voué, comme celui qui a une idée est déjà voué à un domaine (…) avoir une idée c’est tantôt une idée en roman, une idée en philosophie, une idée en science, une idée en art, et ce n’est pas le même qui a toutes ces idées. »

    Avoir une idée en jeu vidéo, ce n’est donc pas avoir une idée en général, je ne peux avoir une idée que sur ce que je connais, et pour avoir une idée en jeu vidéo, il me faut le connaître, le pratiquer, le réaliser, ou peut-être même simplement l’aimer, mais le connaître.

    « Le philosophe invente des concepts, le cinéma des blocs de mouvement / durée, et chacun raconte des histoire avec (…) le peintre invente des blocs de ligne / couleur, la musique des blocs d’un autre type, la science n’est pas moins créatrice elle invente des fonctions (…)  pas d’opposition entre art, science et philosophie »

    Qu’invente le créateur de jeux vidéo ? Nous proposerons, des blocs de situation / action. L’observation du contenu de jeux vidéo fait apparaître comme l’ont montré de nombreuses études qu’au-delà des typologies habituelles, existent à un niveau plus fin ce que l’on peut qualifier d’arrangements ludiques. Une situation et une proposition d’action. L’auteur et le joueur partagent une culture de ces arrangements, et conservatisme et tentative d’innovation s’y confrontent aussi fréquemment que dans les autres champs de créativité.

    Une mise en situation du joueur dans un univers pensé et réglé par le concepteur. 
    L’exercice implique le travail sur l’idée, qui ne jaillit pas toujours d’un éclair de génie, puis sur l’écriture, parce qu’un jeu vidéo c’est parfois une histoire qui est raconté,  mais toujours celle que le joueur va écrire. L’auteur, nous pouvons l’appeler ainsi, va habiller ensuite son univers de ces blocs de situation /action qu’il va puiser dans sa culture vidéoludique, comme le philosophe puise dans les concepts et le savant dans ses fonctions. Parfois, parce qu’il a besoin d’autre chose ou  parce qu’il n’arrive pas à exprimer, peut être parce qu,e comme disait Deleuze, «le créateur ne crée que par nécessité », alors il invente un nouveau bloc situation / action. L’acte est rare et précieux. Quand on veut avoir des idées en jeu vidéo, c’est l’ambition qui doit nous nourrir. Pour que ces blocs de situation / action arrivent jusqu’à l’usage, les fonctions du savant, l’informaticien dans notre cas,  seront indispensables, et si percepts et affects se manifestent c’est que l’art n’est pas très loin. Dans l’acte de création il y invention, mais celle-ci ne se fera innovation que si le succès la légitime.

    «  La personne créative devient ainsi : celui ou celle dont la pensée ou les actions font évoluer un domaine ou en créent un nouveau. Il convient toutefois de ne pas oublier qu’un domaine ne peut-être modifié sans le consentement implicite ou explicite du milieu concerné. »

    Conclusion
    En conclusion, le créateur joueur semble y trouver son compte et la production amateur témoigne qu’outils techniques et créativité semblent ne pas trop mal s’associer au service de ce profil d’usager. Le créateur inventeur, par contre, s’il veut se lancer seul, se devra d’être ou de devenir multicompétent pour envisager de donner forme à sa créativité. Le wysiwyg  du jeu vidéo n’est pas encore là, est-ce nécessaire dirons les uns, la masse de candidats pour le peu d’élus répond en écho que la question vaut d’être examinée.

    Dans la majorité des cas, entre les projections de l’acteur et sa confrontation à l’acte de création l’espace à combler ressemble à un abîme. L’offre logicielle tout autant que l’acteur négligent les phases de conception et les réalisations avortent faute de consistance. L’appropriation du modèle fonctionnel de l’industrie est difficile pour l’acteur seul et la fierté de faire son propre jeu est au prix d’un investissement sans failles.
    Il faut penser les outils du créateur en prenant du recul, élargir le champ pour que de la palette on passe à l’établi et qu’apparaissent marteau burin ou glaise. Il faut aussi laisser du champ, faire apparaître les tiroirs cachés quand ils sont nécessaires. L’idée doit pouvoir faire son chemin, se construire, pendant qu’outils et mode d’emploi ne lui seraient, que contextuellement proposés.
    Le do it yourself 2.0 en matière d’outil créatif multimédia, comme son éponyme web ne peut se suffire de cette dimension dynamique, il doit engager l’étape sémantique pour rejoindre les projets de l’acteur.
    « Rien de ce qui est construit, s’il fait sens, ne peut être entièrement pré-spécifié ; car anticiper ce n’est pas seulement déterminer le futur à partir du présent, c’est aussi relancer l’ouverture constitutive, ajuster indéfiniment dans l’expérience ce qui doit rester vague, à raison même de l’ouverture constitutive de cette expérience. Construire est toujours en même temps reconstruire en réinventant. »

    Communication Scientifique Colloque Ludovia 2008 (Extraits)
    Claire NOY
    Université Paul Valéry
    Montpellier III
    n° 71
    claire.noy@univ-montp3.fr
    Thierry SERDANE
    Université Paul Valéry
    Montpellier III
    n° 71
    thierry.serdane@serendiconcept.fr

  • Colloque Scientifique International Ludovia 2009 « Espace(s) et mémoire(s) » : Appel à communications

    Dans l’antiquité, les orateurs avaient coutume de mémoriser les différentes parties de leur discours en faisant appel à la « méthode des lieux ». Répétant leur discours, ils visitaient et revisitaient des édifices dont ils se souvenaient, en ayant associé une partie à chaque pièce. Ainsi, l’espace et la mémoire entretiennent des relations étroites dans le traitement de l’information, relations observables dans les parcours scénarisés ludiques et pédagogiques.

    Le monde numérique nous confronte à de nouvelles représentations de l’espace (modélisations 3D, simulation, virtualité…) qui dématérialisent le monde physique, le ré-agencent et conduisent à établir de nouvelles relations au réel et à l’imaginaire. La modélisation 3D des monuments historiques, des villes, des musées, invitent à de nouveaux usages, donnant à voir ce qui était jusqu’alors inaccessible au regard pour des raisons d’échelles, d’éloignement ou de mode de représentation.

    De l’espace réel numérisé aux mondes imaginés, le numérique donne forme à des projets et des phénomènes qui ne sont plus soumis aux lois de la physique. En mettant à disposition des lieux inaccessibles, passés ou imaginaires, en construisant des espaces de savoir, de dialogue, de travail à distance, en permettant de concrétiser des expériences de pensée, les dispositifs interactifs ourlent le réel d’une mémoire numérique.

    Dans le même temps, alors que les espaces traditionnels de représentation tentaient d’inscrire leurs productions dans une quête d’éternité, les nouveaux espaces valorisent l’éphémère avec l’obsolescence des technologies, l’instabilité de l’image écranique, le déclin des supports physiques, les logiques de flux, le « temps réel », la surabondance informationnelle, les problèmes d’archivage… Peut-on redouter de nouveaux risques d’amnésie ?

    Pourtant les espaces numériques semblent receler des capacités mémorielles incommensurables. Les systèmes informatisés autorisent une traçabilité inédite avec ses risques (avènement d’une « société du contrôle » ?) et ses opportunités (adaptation des systèmes aux stratégies des utilisateurs, mise en commun des expériences).

    La confrontation espace(s) / mémoire(s) soulève donc des enjeux multiples et nouveaux que notre colloque souhaite éclairer. A titre indicatif on pourra notamment aborder les questions suivantes :
    – Comment vivre et s’orienter dans ces nouveaux espaces ?
    – En quoi le rapport au réel s’en trouve-t-il changé ?
    – Assiste t-on à un déplacement des frontières virtuel/réel ?
    – Sur quels modèles de connaissance (métaphores) se construisent les espaces numériques ?
    – Quelle est la part de l’individuel et du collectif ?
    – Quels usages engendrent les traces laissées par les utilisateurs ?
    – Les rapports au temps et à l’histoire sont-ils modifiés ?
    – Quelle est la relation entre la mise en espace et sa perception par l’utilisateur ? En quoi cette
    spatialisation joue-t-elle un rôle dans le processus de mémorisation ?
    – La mémorisation s’en trouve-t-elle renforcée ou affaiblie ? Est-ce une aide, un support, une délégation ?
    – Qu’en ressort-il concernant les oppositions fondatrices communautés/société, homme/individu, mémoire orale/écrite, etc. ?

    Ces problématiques pourront être déclinées utilement dans divers domaines et appliquées à différents types de logiciels, notamment dans ceux :  
    – de la mobilité (géolocalisation, tracking GPS, modélisation topologique 3D) : Ces dispositifs aident-t- ls les sujets à trouver leur chemin ? Améliorent-ils la mémorisation des trajectoires ? Génèrent-ils de nouvelles perceptions de l’espace ?
    – de la communication (visioconférence, chat, networking) : Comment l’espace numérique permet-t-il de franchir la distance ? Comment les relations intersubjectives, collectives, l’identité, sont-elles spatialisées ? Quelles conséquences sur la communication ?  Comment les modalités de communication, à la fois interpersonnelles et médiatiques évoluent-elles dans ces nouveaux espaces, dont la mémoire en apparence éphémère est finalement tenace ?
    – du jeu vidéo (univers tridimensionnels, spatialisation des fonctionnalités, dimension exploratoire) : quels percepts la pratique vidéoludique stimule-t-elle ? Quelles représentations de l’espace et des fonctionnalités dans le jeu vidéo ?
    – de l’éducatif et du management (cartes cognitives, outils de gestion des tâches, espace de jeu et espace d’apprentissage, espaces numériques de travail, apprentissage de l’espace…)
    – du patrimoine : numérisation 3D de sites archéologiques, de musées, de monuments historiques, patrimonialisation du numérique (notamment du jeu vidéo)
    – de l’histoire : Comment se construit la « mémoire collective » à l’ère Internet, quel est l’impact des évolutions rapides et incessantes de la technologie sur la « culture numérique » ?
    – du web design : Comment concrètement se manifestent les métaphores spatiales sur le web ?
    Comment la mémoire est-elle sollicitée par l’organisation des pages et pour quelle expérience ?
    – de la création : Quel est l’espace de l’œuvre, quelle est sa temporalité ? Quelle mobilisation en font les artistes pour faire sens ?
    – …et dans tous les usages susceptibles d’éclairer la thématique.

    Conformément à la logique du dialogue interdisciplinaire qui prévaut dans les colloques Ludovia, nous invitons les chercheurs en Sciences Humaines et Sociales de toutes disciplines ainsi que les chercheurs en Sciences de l’Ingénieur, à soumettre leurs propositions de communications. 

    LUDOVIA 2009 – ORGANISATION SCIENTIFIQUE 

    Modalités de soumission 
    Les propositions doivent être transmises par courrier électronique avant le lundi 16 mars 2009 à : michel_lavigne50@hotmail.com
    La réception de chaque proposition donnera lieu à un accusé de réception par mail

    La proposition se présentera sous forme d’un résumé de 4000 signes maximum, espaces non compris, en fichier attaché (titré proposition_ludovia_2009) au format rtf, doc ou odt, et ne contiendra que le titre de la communication, sans mention de son ou ses auteur(s).
    Dans le corps du mail figureront le nom de l’auteur, ses coordonnées, ses titres scientifiques, sa section scientifique (section CNU), son organisme de rattachement et le titre de l’article.

    Organisation de la sélection 
    La lecture des propositions et des articles complets se fera en double aveugle (deux lecteurs, ne disposant que du texte de la communication, sans les mentions liées à son auteur), l’un des lecteurs étant issu du champ de recherche correspondant à l’article, l’autre extérieur.
    Chaque auteur recevra un avis circonstancié qui indiquera l’acceptation (conditionnée ou non), ou le refus de l’article et en donnera les critères. Les articles acceptés sous condition devront être modifiés en fonction des remarques des lecteurs.

    Modalités techniques 
    Les articles définitifs devront respecter les conventions typographiques et de mise en page qui seront envoyées dans une feuille de style type.
    Leur taille sera comprise entre 25000 et 30000 signes espaces compris.
    Ils seront envoyés par voie électronique sous la forme d’un fichier au format .doc, .rtf ou .odt, contenant le titre, le résumé, le texte et, le cas échéant, ses illustrations, numérotées de façon incrémentielle (figure 1, figure 2, etc.).

    Ces dernières seront reproduites sous la forme de fichiers jpeg ou png (un fichier par illustration, reprenant le nom et l’incrément de l’illustration) et accompagneront le texte sous la forme d’un dossier compacté au format .zip, du même nom que le fichier de l’article.
    L’envoi consistera donc en deux fichiers, par exemple : montexte.rtf (ou .doc, .odt) et montexte.zip (dossier contenant les illustrations figure1.jpg, figure2.jpg, figuren.jpg).

    Publication
    • Les articles acceptés seront édités avant le colloque dans des actes en version papier, qui seront distribués aux auteurs lors du Colloque durant lequel ils seront conviés à venir les présenter dans le cadre d’une communication orale.
    • Après le Colloque les actes seront mis en ligne sur le site de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines (OMNSH), partenaire de Culture numérique.
    • Une publication scientifique ultérieure est envisagée, composée des meilleures contributions du colloque, revues et augmentées, dans le cadre d’un ouvrage scientifique.

    Calendrier (dates importantes) :

    • Date limite de soumission : lundi 16 mars
    • Notification d’acceptation des propositions : mardi 31 mars
    • Remise des textes complets (30 000 signes maximum, espaces compris) : lundi 11 mai
    • Évaluation des articles et retour aux auteurs : jusqu’au 15 juin
    • Envoi des textes définitifs : lundi 29 juin
    • Colloque : du mardi 25 au jeudi 27 août 2009.

    En savoir plus : 

    Pour de plus amples renseignements sur l’appel à communications, vous pouvez passer par l’adresse de réception des communications :  colloque.ludovia09@pigpix.org
    Les informations ultérieures concernant le colloque, tant matérielles que scientifiques, seront régulièrement mises en ligne sur le site :  www.ludovia.org/colloque/
    Coordinateur de l’organisation scientifique : Michel Lavigne (Université Toulouse III / LARA).

  • Concevoir des jeux éducatifs en ligne : un atout pédagogique pour les enseignants

    Alors que la littérature académique discute beaucoup du potentiel créatif des nouvelles technologies dont les jeux éducatifs, le constat qui est fait, côté apprenant, est celui de la mise en sommeil des nouvelles aptitudes susceptibles d’être développées, notamment des habiletés de coopération, de structuration de connaissances et de résolution de problème. Il semble que l’école n’explore pas le potentiel éducatif de ces nouveaux usages.

    Dans l’ensemble des pays, notamment au Canada, le potentiel éducatif des jeux numériques ne donne lieu à aucune réalité sur le terrain (Piette, 2005; Prensky, 2006). En Europe, une enquête de l’Union européenne en éducation des médias (2006) dresse le constat d’un réel fossé entre les usages d’Internet à la maison et à l’école. Toutes les fonctions importantes pour les jeunes existent hors de l’école, comme l’essentiel de leurs apprentissages (surtout de l’autoapprentissage et de l’apprentissage entre pairs), fonctions que les jeux éducatifs en ligne mettent en place.

    Afin de faciliter l’utilisation des jeux éducatifs en ligne dans les écoles, une équipe du Centre d’expertise et de recherche sur l’apprentissage à vie (SAVIE), sous la responsabilité de la professeure et chercheuse Louise Sauvé, s’est attardée à développer et expérimenter des environnements d’apprentissage évolués de jeux (ENJEUX) afin d’outiller les enseignants pour qu’ils développent facilement des jeux éducatifs en ligne adaptés à leurs exigences pédagogiques.

    Dans ce compte rendu, nous illustrerons comment les enseignants ont fait la production rapide de jeux en ligne à l’aide de coquilles génériques de jeux éducatifs du Carrefour Virtuel de Jeux Éducatifs – CVJE (http://carrefour-jeux.savie.ca). Tout d’abord, nous présenterons notre définition du jeu en la distinguant de celle de la simulation, du jeu de simulation et du jeu sérieux. Puis, nous résumerons les exigences pédagogiques des enseignants sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour construire des coquilles de jeux éducatifs. Ensuite, nous présenterons les coquilles de jeux du CVJE et des exemples de jeux éducatifs qui ont été développés à l’aide de ces outils de conception en ligne.

    Contexte
    Actuellement, des millions d’étudiants investissent une quantité phénoménale de temps à jouer sur  l’ordinateur, sur Internet et sur les jeux. Ces jeunes, forts en techno, sont des mordus des jeux d’adresse. Une enquête dans 20 collèges et universités américaines a montré que “tous les étudiants jouent à des jeux vidéo, étudient avec l’ordinateur et 65 % d’entre eux se sont décrits comme des joueurs réguliers ou occasionnels de jeux numériques (Jenkins, 2005). D’autres études montrent que 80 % des jeunes de moins de 18 ans et plus de 70 % des adultes jouent à des jeux vidéo (ESA, 2005). Enfin, le succès du jeu vidéo rivalise maintenant celui de la télévision et l’industrie du film car il est devenu la forme la plus désirée d’amusement (Hutchison, 2007). Mais qui sont ces jeunes auxquels nous enseignons ?

    « La génération du jeu » a développé un nouveau style cognitif caractérisé par l’apprentissage multitâches, une attention relativement courte pendant l’apprentissage et une manière d’apprendre qui s’appuie sur l’exploration et la découverte . Les adolescents d’aujourd’hui sont des « communicateurs » nés, intuitifs et visuels . Ils ont des aptitudes visuelles et spatiales fortes, sans doute étayées par leur pratique des jeux vidéo. Ils préfèrent apprendre en expérimentant plutôt que suivre un enseignement; passent aisément d’un propos à un autre, d’une activité à la suivante dès lors qu’elle ne suscite pas un grand intérêt. Ils répondent avec vivacité à leur interlocuteur et exigent une réponse rapide en retour. L’utilisation de jeux vidéo a donc modifié la façon d’apprendre des jeunes qui s’apparente à l’approche constructiviste : l’apprenant joue d’abord, comprend ensuite et généralise par la suite pour appliquer ses acquis dans une nouvelle situation . En bref, le jeune internaute souhaite lors de son apprentissage : l’interactivité, l’interaction, la visualisation active, la kinesthésie et l’immédiateté.

    Les jeux en ligne offrent à la génération numérique (Digital Natives) l’opportunité de faire des raisonnements inductifs, d’augmenter leurs habiletés visuelles et leur capacité à croiser les sources d’information . Le jeu permet donc au joueur de résoudre des conflits cognitifs. «Jouer demande à élaborer un cycle constant d’hypothèses, de test et de révision».

    Et dans le rôle de l’enseignant, que se passe-t-il?  Le rôle de transmetteur d’information de l’enseignant traditionnel se transforme peu à peu au contexte de cette génération du numérique : l’apprenant devient actif et participe à la construction de son savoir et l’enseignant collabore à son apprentissage. Il est de plus en plus clair que l’introduction des jeux dans l’environnement de formation de cette nouvelle génération favorisera son apprentissage et pour certains d’entre eux, favorisera même le raccrochage. Alors comment les enseignants peuvent-ils intégrer des jeux numériques dans leur formation ?

    La tâche de tout enseignant est de mettre en place les situations susceptibles de favoriser chez les apprenants les apprentissages désirés.  Pour mener à bien cette tâche, l’enseignant doit, entre autres, choisir les formules pédagogiques le plus appropriées à la situation de formation afin de réduire les obstacles à l’apprentissage.  Force nous est de constater que malgré les avantages certains des jeux éducatifs, peu d’enseignants et de formateurs utilisent ce moyen faute de matériel approprié à leur situation d’enseignement ou de formation. Afin d’en faciliter l’utilisation, une recherche de développement, démarrée en juillet 2000 et financée successivement par Francommunautés virtuelles (Industrie Canada), le Bureau des technologies d’apprentissage (DRHC), le Fonds Inukshuk Sans-fil, l’Initiative de la nouvelle économie (CRSH, Canada) et Subventions ordinaires (CRSH, Canada) a permis la mise au point et l’expérimentation de six coquilles génériques de jeux éducatifs.

    Pour construire ces coquilles génériques de jeux éducatifs, nous avons d’abord défini ce que nous entendons par jeu, puis nous avons cerné les exigences des enseignants sur lesquels nous nous sommes appuyés pour construire les coquilles génériques de jeux éducatifs du CVJE.

    Savoir quoi chercher pour mieux choisir
    Jusqu’à maintenant, la recherche sur les impacts des jeux a souffert de l’absence des définitions claires  et de consensus sur la terminologie utilisée lorsqu’il s’agit de jeu, de simulation ou de jeu de simulation . Cette difficulté méthodologique  a pour conséquence des résultats de recherche contradictoires sur l’impact du jeu sur l’apprentissage.

    Il n’est toutefois pas aisé d’établir les attributs critiques de ces trois types d’activités lorsque nous sommes confrontés à une pléthore de définitions. Certains auteurs, notamment les tenants des serious games, (Steyn, 2008) optent pour traiter les jeux et les simulations comme des activités similaires. Ils mettent l’accent sur leur attribut informatique et les domaines d’applications dans lesquels ils sont utilisés. D’autres identifient des attributs (compétition, hasard, simulacre et vertige) qui relèvent plus de l’esprit du jeu (Lhôte, 1986) ou de ses aspects motivationnels (Rieber, 1996) que du concept lui-même. Enfin, il y a tous ces auteurs qui expérimentent des activités qu’ils qualifient de jeux ou de simulations sans les définir (Hunsaker, 2007; Mzoughi, Herring, Foley, Morris et Gilbert, 2007). Cette pratique réaffirme l’importance et la pertinence de proposer des attributs essentiels pour le jeu, la simulation et le jeu de simulation (Sauvé, Renaud, Kaufman et Marquis, 2007) afin de mieux guider les enseignants dans leur choix.

    Mais comment distinguer les jeux des autres activités considérées similaires (Figure 1)? Une revue des écrits des dix dernières années (Sauvé, Renaud, Kaufman et Sibomana, 2008) conclut que le jeu est une situation fictive, fantaisiste ou artificielle dans laquelle des joueurs, mis en position de conflit les uns par rapport aux autres ou tous ensemble contre d’autres forces, sont régis par des règles qui structurent leurs actions en vue d’atteindre des objectifs d’apprentissage et un but déterminé par le jeu, soit de gagner, d’être victorieux ou de prendre sa revanche. Quant à la simulation, elle est une représentation simplifiée, dynamique et juste d’une réalité définie comme un système.
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    À la jonction de ces deux concepts, se retrouvent le jeu sérieux (serious game) et le jeu de simulation. Les jeux sérieux sont des logiciels de divertissement informatique, textuel ou à base d’images, utilisant n’importe quelle plateforme électronique (ordinateurs personnels ou consoles) qui impliquent un ou des joueurs dans un environnement physique ou interconnecté (Frasca, 2001).  Zyda (2005, p. 26)  précise que les serious game sont «un défi cérébral, joué avec un ordinateur selon des règles spécifiques, qui utilise le divertissement en tant que valeur ajoutée pour la formation et l’entraînement dans les milieux institutionnels ou privés, dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la sécurité civile, ainsi qu’à des fins de stratégie de communication.».

    Michael et Chen (2006) y ajoute des applications dans les domaines de la politique, de la religion, de l’Art et de l’industrie. Quant à Wikipedia (2008), il inclut la notion de simulation informatique. En d’autres mots, un serious game est un jeu vidéo (avec un environnement réaliste ou artificiel) auquel les auteurs rattachent une composante pédagogique. L’intégration ou non de la composante réaliste rapproche les jeux sérieux des jeux de simulation qui sont définis comme un modèle simplifié et dynamique d’un système réel ou hypothétique, où les joueurs sont en position de compétition ou de coopération, où les règles structurent les actions des joueurs et où le but poursuivi est de gagner.

    À l’examen de ces définitions, il est clair que la simulation n’est pas un jeu. Le jeu est une situation fictive, fantaisiste ou artificielle dans laquelle des joueurs, mis en position de conflit les uns par rapport aux autres ou tous ensemble contre d’autres forces, sont régis par des règles qui structurent leurs actions en vue d’atteindre des objectifs d’apprentissage et un but déterminé par le jeu, soit de gagner, d’être victorieux ou de prendre sa revanche. Par ailleurs, la valeur d’un jeu ne se juge pas à sa ressemblance avec la réalité.

    Au contraire, la simulation se veut une représentation simplifiée, dynamique et juste d’une réalité définie comme un système. La simulation est un modèle dynamique et simplifié de la réalité et ce modèle est jugé en regard de sa fidélité, de sa conformité au système qu’il représente. Le jeu est créé de toutes pièces sans référant à la réalité, ce qui n’est jamais le cas pour la simulation. La simulation n’implique pas nécessairement un conflit, une compétition, et la personne qui l’utilise ne cherche pas à gagner, ce qui est le cas dans le jeu.

    Dans un jeu, il y a toujours au moins un joueur et un gagnant, ce qui n’est pas le cas de certaines simulations qui fonctionnent sans l’intervention humaine et qui n’a pas toujours pour but de gagner. Lorsqu’un ou des joueurs font partie de la simulation, qu’ils interagissent avec les composantes de la simulation et si la notion de gagnant et de perdant y est présente, le concept de jeu de simulation émerge. De même, si le conflit apparaît dans la simulation comme un attribut essentiel et non comme son contenu, de nouveau le concept de jeu de simulation refait surface.

    Construire des jeux éducatifs qui tiennent compte des exigences pédagogiques
    Comment s’assurer que les jeux éducatifs en ligne répondent aux exigences pédagogiques des enseignants? Nous réitérons le bilan réalisé par O’Neil (2004) des exigences des enseignants par rapport aux dispositifs numériques et aux contenus offerts par ces dispositifs :
    •    le dispositif doit être fiable, pratique et complet;
    •    le dispositif doit être flexible pour qu’il soit utilisable facilement dans différentes situations d’apprentissage. Cela signifie, entre autres, que les enseignants peuvent les adapter aux caractéristiques particulières de leurs élèves (connaissances, niveau de langue, âge);
    •    le dispositif doit être « prêt à servir » (ready to go), convivial et facile d’accès pour que les enseignants puissent retrouver facilement tous les éléments nécessaires dans un contexte ou situation donnés;
    •    les contenus présentés doivent être exacts et en lien direct avec les programmes d’enseignement.

    En s’appuyant sur ces exigences et les travaux de Sauvé, Renaud et Hanca (2008), le tableau 1 propose une série d’indicateurs que les enseignants peuvent utiliser lorsqu’ils procèdent aux choix d’un jeu éducatif numérique.

    Tableau 1. Des indicateurs pour choisir un jeu éducatif efficace

     Exigences Indicateurs
     La structure du jeu
     Aspect ludique du jeu •    Format de la planche ou du plateau du jeu par rapport à l’écran de visualisation.
    •    Présence et affichage bien situé des pointages.
    •    Accès en tout temps aux règles du jeu.
    •    La présence de pions ou d’éléments permettant la participation active des joueurs.
     Dimension intuitive de l’interface •    Clarté des consignes.
    •    Clarté des règles.
    •    Facilité de navigation.
    •    Facilité d’exécution du jeu.
     Lisibilité pédagogique du contenu du jeu •    Vocabulaire adapté à la clientèle cible.
    •    Grosseur et couleur des caractères.
    •    Format d’affichage des photos et des vidéo.
    •    Qualité de réception du son.
    •    Qualité de visualisation des photos et des vidéo.
    •    Présence de messages de rétroaction liés à la navigation pour permettre aux joueurs de visualiser en tout temps le résultat de leurs actions dans le jeu.
     Dynamique du jeu •    Type varié de questions.
    •    Cartes Chance et de malchance.
    •    Système de vote.
    •    Système de pointage.
    •    Trajets diversifiés (facultatif).
    •    Nombre de paliers pour atteindre la fin du jeu (facultatif).
    •    Degré d’interactivité (manipulation, rapidité des actions) en fonction du public ciblé.

     

     Contenu
     Exactitude du contenu véhiculé par le jeu •    Concordance entre les objectifs du jeu et les contenus.
    •    Identification de lacune éventuelle ou de contenu non pertinent.
    •    Présence des connaissances structurantes.
     Concordance entre les contenus et le public cible •    Pertinence des contenus en fonction des publics visés.
    •    Degré d’intérêt du jeu pour le public cible : équilibre entre le temps d’apprentissage et le temps ludique.
     Complexité et degré de difficulté des activités d’apprentissage •    Qualité pédagogique des questions et des réponses.
    •    Variation dans le degré de difficulté des activités d’apprentissage.
    •    Possibilité de modifier les questions (contenu et forme).
    •    Degré de complexité du vocabulaire (mots nouveaux).
    •    Présence de questions variées.
     La rétroaction •    Présence d’un mécanisme de rétroaction juste à temps liée à chaque tâche d’apprentissage pour permettre aux joueurs d’identifier les activités réussies et celles qu’ils ont échouées.
    •    Présence de messages de rétroaction motivationnelle qui proposent des encouragements et valorisent l’apprentissage effectué.
    •    Présence de mécanismes de retour de synthèse (oral ou écrit) avec les pairs qui favorisent l’apprentissage tout en permettant à l’apprenant de réfléchir sur l’activité et ses propres émotions.
    •    Présence de mécanismes de révision de contenu favorisant une rétroaction sur l’apprentissage réalisé dans le jeu et l’accès à du matériel d’appoint pour revoir les apprentissages qui n’ont pas été réalisés.

    Développer ses propres jeux éducatifs
    Devant la difficulté pour les personnes enseignantes de trouver sur l’inforoute des jeux pédagogiques adaptés à leurs besoins, six coquilles génériques de jeux éducatifs en ligne ont été mises au point au Centre d’expertise et de recherche sur l’apprentissage à vie (SAVIE). Qu’entendons-nous par coquille générique de jeux?

    Une coquille générique de jeux éducatifs est un environnement de conception en ligne facilitant la création de jeux par les enseignants ou les formateurs en leur fournissant tous les outils requis pour : (1) fixer les paramètres du jeu; (2) générer des consignes et des règles régissant les mouvements des joueurs; (3) créer du matériel pédagogique; (4) fixer des critères régissant la fin du jeu et déterminant le vainqueur et (5) élaborer les outils requis pour la révision et l’évaluation du jeu, pour faire en sorte qu’il soit mis à jour régulièrement et pour ainsi assurer son impact sur l’apprentissage.

    Ce concept de coquille générique s’appuie sur le concept de jeu-cadre mis au point par Stolovitch et Thiagarajan (1980). Un jeu-cadre est un jeu existant, exemple Échelles et serpents, dont le contenu a été vidé et la structure conservée. Ainsi, tout jeu peut être décomposé en deux parties principales :
    •    La structure détermine la manière de jouer : les règles, les étapes de déroulement du jeu ou les mouvements des joueurs, le défi que les joueurs doivent relever et les stratégies qu’ils peuvent déployer pour gagner. En matière de jeu, nous dirons que nous « évidons » le jeu de son contenu pour mettre à nu la structure sous-jacente qui lui est propre. Cette structure, une fois clairement définie et analysée, devient un « cadre » ou une coquille générique de jeu lorsqu’elle est programmée et mise en ligne.
    •    Le contenu renvoie aux informations véhiculées dans le jeu : ce contenu se trouve en général dans les cartes à jouer et dans la planche de jeu. Dans le cas des jeux à caractère pédagogique, il s’agit aussi des objectifs poursuivis et des compétences qui seront développées par la pratique du jeu. Ainsi, lorsque le jeu est élaboré, il suffit de glisser un nouveau contenu accompagné d’objectifs prédéterminés pour générer un nouveau jeu à vocation éducative adapté à un public cible particulier.

    Tout jeu existant est donc un jeu-cadre en puissance. Il faut cependant analyser attentivement un jeu si nous voulons en dégager la structure à partir du contenu. Nous reconnaissons un bon jeu à l’harmonie qui lie la structure et le contenu; le jeu-cadre répond à cette exigence. Mais ce qui le rend particulièrement pratique, c’est que d’autres contenus peuvent se substituer au contenu original tout en étant parfaitement compatibles avec la structure. C’est cette caractéristique fondamentale, l’interchangeabilité des contenus, qui fait du jeu cadre un outil pédagogique aussi intéressant.

    Le cadre des jeux à planche sont les plus faciles à adapter en coquille générique de jeu pour plusieurs raisons : (1) ils sont connus du public en général (qui n’a pas joué aux Serpents et Échelles, au Tic Tac Toe ou au Parchési !); (2) ils offrent des structures simples avec peu de règles, ce qui en facilitent l’adaptation et surtout (3) ils correspondent à la notion précise de jeu (Sauvé, Kaufman et Marquis, 2007) en se distinguant des simulations car ils font appel à un environnement imaginaire plutôt qu’à un environnement « réel » simulé.

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    Figure 2. Page d’accueil du Carrefour Virtuel de Jeux Éducatifs (CVJE)

    Une fois les jeux développés par les personnes enseignantes, des options technologiques leur sont disponibles pour leur implantation dans leur milieu, notamment :
    •    l’option de jouer le jeu en monoposte ou en multipostes afin d’en faciliter son intégration dans les milieux scolaires;
    •    un mécanisme d’identification lorsque le jeu se joue en monoposte afin que tout joueur, sélectionné pour jouer la partie, puisse s’identifier avec son mot de passe;
    •    un mécanisme pour permettre à un joueur seul de jouer contre lui-même;
    •    un outil de communication en temps réel ainsi qu’un mode d’affichage d’équipe (jusqu’à 16 joueurs) lorsque le jeu se joue en mode multijoueurs pour favoriser les échanges sonores entre les joueurs ou les membres d’une équipe qui jouent à distance;
    •    un outil de communication en temps réel ainsi qu’un mode d’affichage variant selon le nombre de joueurs de 2 à 6 pour permettre des échanges (échanges textuels, sonores ou audiovisuels) entre les joueurs.

    Dans cette section, nous présentons brièvement des exemples de jeux éducatifs créés par des enseignants à l’aide des six coquilles génériques de jeux éducatifs offerts par le Carrefour Virtuel de Jeux Éducatifs (Figure 2).

    Gros ou mince!! Un exemple de jeu à l’aide de la coquille Serpents et échelles

    Serpents et échelles est une coquille de jeu passe-partout. Elle se prête à différents apprentissages : sensibilisation, acquisition, révision, évaluation et pourquoi pas un peu de hasard. Elle exige la rédaction d’un minimum de 27 questions pour créer un défi chez les participants. L’idéal se situe entre 36 et 54 questions. Ce jeu offre un aspect ludique. Il mobilise de 2 à 4 joueurs et peut également être joué seul.

    Quelques modifications ont été apportées à la version originale du jeu pour créer la coquille. L’ajout de différents types de questions d’apprentissage : Vrai ou Faux, Oui ou Non, Choix multiples à deux, trois ou quatre réponses, Phrases à 2, 3 ou 4 segments, l’ajout d’une nouvelle règle et l’adaptation de trois règles existantes. Les échelles et les serpents peuvent être remplacés par des illustrations plus conformes au contenu à l’étude dans le jeu.
    Le jeu Gros ou mince! a été développé pour sensibiliser les élèves du secondaire à la problématique de l’obésité, notamment en leur permettant d’identifier les facteurs d’obésité et d’examiner les solutions pour les contrer. Construit en moins d’une heure, la conceptrice a remplacé dans la planche de jeu les échelles par des pas et les serpents par le liquide renversé d’une liqueur (Figure 3). Elle a rédigé 32 questions avec trois degrés de difficultés. Elle a adapté le libellé des règles pour tenir compte du contenu d’apprentissage et des modifications apportées à la planche de jeu.

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    Mémor-os! Un exemple de jeu à l’aide de la coquille de jeu Concentration

    Concentration favorise la mémorisation et l’association de concepts concrets ou abstraits. Jeu très populaire chez les enfants, il est également un atout pour les adultes qui veulent développer leur capacité à mémoriser. Si vous choisissez cette coquille de jeu, vous devez développer un minimum de 9 associations figuratives, textuelles ou une combinaison des deux. Il est possible d’ajouter d’autres associations puisque le jeu offre une série de joutes. Chaque joute correspond à 9 associations pour un maximum de 3 joutes. Concentration est également un bon moyen pour acquérir de nouvelles connaissances, il peut être joué par un maximum de 4 joueurs en même temps.
    Des modifications ont été apportées à la version originale du jeu. L’endos des cartes est modifiable par une illustration. L’ajout de trois nouvelles règles qui tiennent compte des questions d’apprentissage. Un nombre moindre de cartes mises sur la table par joute : 18 cartes par joute. Afin de respecter le nombre de cartes du jeu original, soit 54 cartes, nous avons intégré l’option de répartir 54 cartes d’apprentissage en trois joutes avant de déterminer le gagnant. La coquille permet toutefois d’exécuter qu’une ou deux joutes par partie.

    Le jeu Mémor-os a été développé pour réviser la terminologie des différentes parties du squelette osseux humain au niveau collégial. En moins de deux heures, les concepteurs ont préparé des illustrations et des termes à associer aux illustrations. La partie se joue en trois joutes. Dans chaque joute, les élèves sont confrontés à neuf paires de cartes qu’ils doivent associer. Dans la figure 4, les concepteurs ont choisi une illustration pour l’endos des cartes qui représente la thématique du jeu. Ils ont opté pour l’association figurative et textuelle. Sur le plan figuratif, ils ont trouvé des images illustrées des différentes parties du corps humain sur lesquelles ils ont coloré l’os à identifier. Sur le plan textuel, ils ont écrit le terme à associer à l’os. Enfin, ils ont opté pour ne pas modifier le libellé des règles, considérant qu’elles s’appliquaient au contexte de l’apprentissage souhaité.

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    Au pays de l’alimentation! Un exemple à l’aide de la coquille de jeu Tic Tac Toe
    Tic Tac Toe est une coquille de jeu qui favorise l’esprit d’équipe et les habiletés stratégiques des joueurs. Elle est idéale pour animer votre classe, développer le sens de l’appartenance et établir la concertation entre les personnes apprenantes. Le jeu peut se jouer en équipe ou de façon individuelle. Si vous souhaitez sensibiliser les apprenants à une problématique particulière, optez pour cette coquille. Deux participants ou deux équipes de participants peuvent y jouer en même temps. Si vous choisissez ce jeu, vous devez rédiger un minimum de 16 questions d’apprentissage.

    Des modifications ont été apportées à la version originale du jeu pour créer la coquille. La matrice de la planche de jeu a été modifiée : d’une matrice à trois cases, elle est devenue une matrice à quatre cases. Cet ajout permet l’insertion d’un nombre plus important de questions d’apprentissage. Le fonds de la planche de jeu est modifiable en fonction du contenu d’apprentissage. La réduction du nombre de règles puisque certaines sont prises en charge par le moteur de jeu. L’ajout de différents types de questions d’apprentissage : Vrai ou Faux, Oui ou Non, Choix multiples à deux, trois ou quatre réponses, Phrases à 2, 3 ou 4 segments.

    Le jeu Au pays de l’alimentation a été développé pour les élèves du primaire. Il a pour objectif de leur faire reconnaître des aliments appartenant aux quatre groupes alimentaires et l’importance des bons repas pour passer une bonne journée. En moins de 90 minutes, la conceptrice a choisi par défaut le fond de planche offert par la coquille générique de jeu Tic Tac Toe (Figure 5). Elle a préparé 24 questions avec différents degrés de difficulté. Enfin, elle n’a pas modifié le libellé des règles, considérant qu’elles s’appliquaient au contexte de l’apprentissage souhaité.

    La motivation en jeu! Un exemple de jeu à l’aide de la coquille de jeu de l’Oie
    Jeu de l’oie est une coquille de même type que Serpents et échelles. Elle se prête à différents apprentissages : sensibilisation, acquisition, révision, évaluation. Elle exige la rédaction d’un minimum de 44 questions pour créer un défi chez les participants. L’idéal se situe entre 56 et 66 questions. Vous souhaitez une activité où l’aspect ludique est assez important? Optez pour cette coquille. Jusqu’à 4 joueurs peuvent y participer en même temps.
    Des modifications ont été apportées à la version originale du jeu. L’ajout et l’adaptation de règles pour tenir compte de l’insertion de questions d’apprentissage. Les images de la planche sont modifiables. Différentes questions d’apprentissage peuvent être formulées : Vrai ou Faux, Oui ou Non, Choix multiples à deux, trois ou quatre réponses, Phrases à 2, 3 ou 4 segments. Il est à souligner que la coquille offre des défis supplémentaires au cadre original du jeu, notamment : (1) les joueurs doivent répondre à une question avant que le pion se déplace de la case Départ; (2) ils rencontrent des obstacles de plus en plus importants au fur et à mesure que le joueur arrive à la fin de son parcours et (3) à plusieurs reprises, le joueur est obligé de revenir à la case Départ. Ces ajouts dans le jeu permettent aux joueurs de traiter tout le contenu nécessaire à leur apprentissage et ainsi de répondre aux attentes pédagogiques de l’enseignant.

    Le jeu La motivation en jeu! a été développé par deux professeurs en moins de 70 minutes pour permettre aux étudiants du premier cycle universitaire l’apprentissage des théories sur la motivation en contexte scolaire. Dans la figure 6, les concepteurs ont modifié les images de la planche de jeu offerte par la coquille de jeu qui illustrent le contenu d’apprentissage. Il ont rédigé cinquante-huit questions qui s’affichent chaque fois qu’un pion rencontre une case avec une illustration : une réponse correcte rapproche le joueur du but de gagner la partie et une réponse incorrecte l’en éloigne. Enfin, le libellé des règles a été adapté en fonction des modifications apportées à la planche de jeu et de l’insertion des questions d’apprentissage.
    FIGURE 7

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    À la conquête de mon pays ! Un exemple d’adaptation de Trivia

    Trivia encourage l’esprit de découverte ou de synthèse et la vivacité d’esprit par le délai de temps qui est accordé. Utile pour réviser un contenu ou pour acquérir des connaissances simples ou complexes, la coquille propose six catégories de questions. Si vous optez pour cette coquille, vous devez rédiger un minimum de 36 questions, soit 6 par catégorie. Trivia est un excellent jeu pour évaluer les connaissances préalables ou les acquis de vos apprenants. Il accueille jusqu’à 6 joueurs en même temps.
    Des modifications ont été apportées à la version originale du jeu. Le nombre de cases de la planche de jeu a été réduit. L’ajout et l’adaptation des règles afin qu’elles tiennent compte de l’insertion de questions d’apprentissage. Les images de la planche sont modifiables. Différentes questions d’apprentissage peuvent être formulées et intégrées dans le jeu: Vrai ou Faux, Oui ou Non, Choix multiples à deux, trois ou quatre réponses et Phrases à 2, 3 ou 4 segments. Les joueurs doivent répondre à une question avant 40 secondes et leur rapidité à répondre leur permet de gagner plus de points.

    Le jeu À la conquête de mon pays! a été développé par une enseignante pour ses élèves de 6e année au primaire. Il a pour objectif d’encourager l’esprit de découverte ou de synthèse et la vivacité d’esprit par le délai de temps qui est accordé aux joueurs pour répondre et de tester les connaissances par rapport à l’histoire et la géographie du Canada. En moins de deux heures trente, la conceptrice a inscrit sur la planche de jeu (Figure 7) six catégories de questions en lien avec Les amérindiens, Immigration au Canada, Les explorateurs, Les territoires canadiens et les provinces, La vie en Nouvelle-France et Zones de végétation et les climats. Elle a rédigé 48 questions (Vrai ou Faux, Oui ou Non, Choix multiples, phrases à trous) avec différents degrés de difficulté répartis également dans les six catégories. Elle n’a pas modifié le libellé des règles.

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    ITS : stopper la transmission! Un exemple d’adaptation de la coquille de jeu Parchési
    Parchési, en France le Jeu des petits chevaux, est une coquille de jeu qui se prête à des apprentissages simples ou complexes : acquisition, intégration, utilisation de connaissances, transfert d’apprentissage, évaluation, etc. Il exige la rédaction d’un minimum de 40 activités d’apprentissage pour susciter du défi chez les participants. Le nombre idéal d’activités se situe entre 48 et 64. Vous souhaitez un jeu d’équipe où le niveau de difficulté des activités d’apprentissage peut être élevé? Si c’est le cas, optez pour cette coquille. Le jeu se joue avec au moins deux joueurs ou deux équipes de joueurs et au plus avec 4 joueurs ou 4 équipes de 4 joueurs chacune qui peuvent y participer en même temps. Ce jeu peut se jouer en solitaire.

    Des modifications importantes ont été apportées à la version originale du jeu. Sur le plan de la structure du jeu, trois types de cartes de jeu ont été ajoutées (cartes d’apprentissage, cartes d’équipe et cartes de Chance) ainsi que l’utilisation de deux dés au lieu d’un seul pour le déplacement des pions. Ces ajouts ont exigé de revoir le déroulement des événements qui constituaient le scénario du jeu. Sept événements y ont été insérés, ce qui a entraîné des modifications dans la présentation de la planche et les règles originales du jeu.  Des mécanismes ont également été mis en place : (1) pour assurer une compétition entre les joueurs en intégrant un système de pointage selon le degré de difficulté des activités d’apprentissage; (2) pour assurer la coopération en permettant le regroupement en équipe et en leur offrant des cartes Équipe qui stimulent autant la coopération que la compétition; (3) pour s’ajuster au nombre variable de joueurs qui utilisent le jeu : seul contre soi-même en créant un joueur fictif, deux à quatre joueurs ou équipes de joueurs et (4) pour motiver les joueurs qui répondent correctement en leur permettant d’accéder à un trajet plus rapide pour se rendre au centre du jeu. Sur le plan du contenu, treize types d’activités d’apprentissage ont été inclus dans la coquille pour développer des connaissances, simples à complexes, et de modifier des comportements et des attitudes : Question Vrai ou Faux, Question Oui ou Non, Question à choix multiples (2, 3 ou 4 choix de réponse), Question à phrases trouées (2,3 segments), Question à séquence logique, Question ouverte à réponse brève, Question ouverte à réponse longue, Question de type jeu de rôle et Question de type modeling. Toutes les activités inclus un mécanisme de correction et de rétroaction en temps réel.

    Le jeu ITS : stopper la transmission! a été conçu pour diminuer l’incidence des infections transmissibles sexuellement (ITS) chez les jeunes de 14 à 17 ans. Il a pour objectif d’identifier les risques de contracter une infection et les solutions pour s’en prémunir; de cerner l’importance des infections transmissibles sexuellement (ITS) au Québec et au Canada et enfin de comprendre l’importance d’avoir des relations sexuelles protégées pour leur propre santé et celle des autres. Conçu en moins de 4 heures, les concepteurs ont modifié dans son entièreté la planche de jeu (couleur, illustrations, pions) ainsi que le libellé des règles. La figure 8 montre les 4 aspects qui seront traités sur les ITS : (1) la prévention : présentation des moyens pour briser le cycle de transmission des ITS, notamment les types de condoms, l’identification des comportements à risque, etc.; (2) la prévalence : l’état de situation sur l’importance du nombre des cas infectés ou porteurs d’une ITS ainsi que des informations sur les vecteurs infectieux eux-mêmes (leur nature, leurs effets, visibles ou invisibles); (3) la transmission des ITS : différentes manières de les transmettre et remise en question des croyances répandues et bien ancrées dans la population et (4) le traitement : identification des moyens pour guérir ou pour vivre avec certaines ITS ainsi que les moyens pour prévenir la transmission quand la personne est infectée ou les actions à exécuter quand une personne croit qu’elle a pu être exposée à une infection. Ils ont rédigé 79 activités d’apprentissage avec des degrés variables de difficultés.

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    Conclusion
    L’avènement de l’inforoute et la diversification des technologies d’apprentissage accroissent de plus en plus l’intérêt pour l’utilisation des jeux éducatifs dans un contexte d’apprentissage, qu’il soit initial ou continu. Selon Livingstone (2002) et Ridley (2004), les jeux sont devenus la principale forme de divertissement des apprenants par rapport aux livres et aux autres médias.

    Une analyse systématique des écrits des dix dernières années (1998-2008) montre que les jeux mettent en place des conditions favorables à l’apprentissage, notamment  la compétition et le défi, la rétroaction, la participation active de l’apprenant, le travail en équipe, l’interaction, la répétition et le fractionnement du contenu d’apprentissage (Sauvé, Renaud, Kaufman et Sibomana, 2008). Elle souligne également que les jeux ont un impact certain sur l’apprentissage cognitif, affectif et psychomoteur. Selon ces auteurs, les jeux motivent l’apprenant, structurent et consolident ses connaissances, favorisent la résolution de problèmes et le changement d’attitudes ainsi que le développement de compétences transversales (la communication, le sens de la négociation, la prise de décision, la coopération, etc.).

    Faisant office de pionnier dans le développement de coquilles génériques de jeux éducatifs sur Internet, ces environnements donnent la possibilité aux enseignants, formateurs, conseillers pédagogiques et spécialistes de l’éducation de développer rapidement des jeux éducatifs qui seront accessibles à l’ensemble de la collectivité enseignante et apprenante partout à travers le monde. Pour en savoir plus et faire partie de ces créateurs de jeux, inscrivez –vous sur le site du Carrefour Virtuel de Jeux Éducatifs à l’adresse Web suivante  (http://carrefour-jeux.savie.ca ).

    Communication du Colloque Scientifique Ludovia 2008 (Extraits)
    Louise Sauvé, Ph. D
    Professeure, UER Éducation, Télé-université
    Directrice du Centre d’expertise et de recherche sur l’apprentissage à vie (SAVIE)

  • Entre marché et communauté : une discussion de la culture participative à l’exemple de Google Maps

    Quand John Perry Barlow [1996] déclare « l’indépendance du cyberespace » il s’adresse par conséquent aux gouvernements « du monde industriel », ces « géants fatigués de chair et d’acier », en avançant comme différence ontologique entre ce monde industriel révolu et la nouvelle frontière numérique, le fait que sur Internet « tout ce que l’esprit humain est capable de créer peut être reproduit et diffusé à l’infini sans que cela ne coûte rien ». Cette idée d’une reconfiguration profonde des réglés du jeu économique par la technologie était au centre même de la nouvelle économie et nous la retrouvons – déclinée mais intacte – dans maints discours autour du « Web 2.0 ».

    Des termes comme « ProAms » (amateurs professionnels) [Leadbeater, Miller 2004] ou « produsage » [Bruns 2008] célèbrent la figure d’un utilisateur actif, non seulement par son interprétation d’un artefact culturel mais surtout par le rôle croissant qu’il joue dans la production matérielle de ces objets. Or, comme le démontre Henry Jenkins [2006], les nouveaux espaces de création et de partage qui apparaissent en ligne s’imbriquent très souvent dans l’univers familier de la production culturelle établie. L’émergence de telles configurations hybrides entre « marché » (entreprises commerciales traditionnelles) et « communauté » (usagers producteurs) peut-être examinée de façon privilégiée à travers l’exemple des « mashups », des sites qui combinent des fonctionnalités ou données de plusieurs sources existantes en une seule application.

    Dans cet article nous prenons comme cas exemplaire le service Web le plus utilisé dans la création de ces mashups : l’API  de Google Maps . Notre but consiste à montrer que les rapports entre les fournisseurs des outils, qui permettent aux usagers de « faire eux-mêmes » et les communautés d’« usagers producteurs », qui se regroupent autour de ces outils sont complexes et intrinsèquement ambivalents. La nouvelle « culture participative » [Jenkins 2006] s’inscrit dans des contextes économiques, culturels et techniques particuliers où les marges de manœuvre des différents acteurs sont le résultat de processus de négociation permanents. La production amateur s’insère donc dans les configurations de production existantes tout en les transformant ; les constellations qui émergent nous imposent des ajustements conceptuels et nous renvoient à l’analyse empirique. Pour situer le phénomène il faut d’abord clarifier deux aspects de la création du logiciel.

    Un contexte de création particulier
    Bien que l’essor de la production amateur soit un phénomène embrouillé dont l’explication demande une approche multifactorielle, il nous semble que la composante technologique joue un rôle crucial de facilitateur qui est principalement dû à deux qualités du numérique.

    La machine universelle et le réseau
    L’ordinateur est une machine universelle qui peut se transformer en un nombre infini de machines spécifiques selon le programme qu’il exécute ; la création de programmes est principalement un travail d’écriture qui remplace, selon Turing [1948], le travail d’ingénieur de créer une machine physique pour chaque tâche par le « travail de bureau » de programmer la machine universelle. Pour devenir producteur de logiciel, il suffit d’un ordinateur, de temps libre et surtout des connaissances techniques nécessaires. L’investissement en capital et énergie étant négligeable, le domaine numérique est en quelque sorte prédestiné à l’émergence de formes alternatives de production.

    A cette « légèreté »   du logiciel s’ajoute une infrastructure de communication, coopération et distribution redoutable : sur Internet des plateformes pour le développement logiciel coopératif comme SourceForge.net, en combinaison avec toute une série de canaux de communication (mailinglists, newsgroups, forums, etc.), ouvrent la possibilité à des groupes géographiquement et socialement dispersés de communiquer, de travailler ensemble et d’échanger leurs œuvres. A travers le réseau se constituent des usines virtuelles distribuées.
    La création en ligne n’est évidemment pas limitée au logiciel mais ce domaine  joue le rôle d’avant-garde dans l’émergence d’une culture de production amateur. Pour comprendre pourquoi, il ne suffit cependant guère de nommer les facteurs techniques ; le développement historique de l’informatique pointe vers d’autres pistes explicatives.

    Les trois crises du logiciel
    Dans les premières décades de son existence, l’informatique était un domaine essentiellement expérimental. L’accès aux quelques ordinateurs en fonction était médiatisé par des techniciens experts et la programmation n’était guère l’activité interactive structurée qu’elle est aujourd’hui. Concernant la méthodologie, on s’orientait sur les mathématiques dont la façon d’opérer est peu formalisée sur le plan de l’organisation du travail. Or, cette approche bien adaptée aux calculs requis par les fins militaires rencontrait des problèmes importants au fur et à mesure de l’insertion progressive de l’informatique dans le monde commercial. En 1968, l’OTAN sponsorise donc une conférence de deux semaines en Allemagne pendant laquelle le « génie logiciel » (software engineering) – une méthodologie de travail très structurée s’inspirant des sciences de l’ingénieur – est défini et avancée comme remède aux grosses difficultés d’accommoder la complexité croissante du logiciel et la nécessité de travailler en groupe. La première crise du logiciel est ainsi avertie.

    Dans les années 1980 l’arrivée des interfaces graphiques amène une nouvelle population vers l’informatique, des usagers résolument non experts dont l’accommodation n’est pas vraiment un problème technique à proprement parler. Cette deuxième « crise » est remédiée encore une fois par l’ouverture vers d’autres disciplines, par l’intégration notamment de la psychologie cognitive et des sciences du design, mais aussi des sciences sociales dans les processus de conception, développement et évaluation. Le user-centered design (conception orientée utilisateur) complète désormais le génie logiciel.

    Avec l’arrivé d’Internet dans les années 1990, la problématique de la conception et création d’applications continue à se complexifier, principalement à cause de la diversification des usages qui accompagne l’imbrication de l’informatique dans les mailles fines de la vie quotidienne de toujours plus de personnes. Dans le cadre des applications en ligne il est très difficile de connaître les usagers et leurs besoins, et les méthodes prometteuses comme le design participatif sont très coûteuses. Le résultat est souvent un processus heuristique peu planifié où un système est mis sur le marché avec un nombre limité de fonctionnalités qu’on enrichit au fur et à mesure en observant les réactions des usagers. On parle donc de « bêta perpétuelle » (perpetual beta) – Flickr utilise le terme « gamma » – pour designer des applications Web qui n’arrivent jamais à un état final.

    Depuis quelque temps, une autre stratégie – similaire mais encore plus expérimentale – prend de l’importance : à la fin des années 1980, Eric von Hippel [1988] introduit le concept de « user-driven innovation » (innovation pilotée par les usagers) pour désigner une méthode de conception qui part de l’idée que les usagers savent mieux ce qu’ils veulent que n’importe quelle étude de marché pourrait le dégager. Il suffirait donc de leur donner les moyens d’être créatifs et incorporer les meilleures idées pour créer des produits novateurs. Chez von Hippel, l’usager devient une sorte de co-développeur non rémunéré dont la capacité à innover est supérieure à celle des entreprises souvent trop centrées sur leur fonctionnement interne.

    L’intérêt des entreprises pour l’open source et leur disposition croissante à ouvrir leurs données et plateformes à des développeurs de mashups doivent être compris avec cet arrière plan : les caractéristiques du numérique ouvrent un espace de création inédit et les communautés qui peuplent cet espace représentent une immense ressource potentielle de créativité, de travail et de connaissances. L’API de Google Maps est un cas idéal pour démontrer et complexifier cet argument.

    La Google Maps API et sa communauté
    Google Maps est un service de cartographie et de géolocalisation  en ligne, ouvert au public depuis février 2005. A peine jours après son introduction, quelques programmeurs réussissent à « hacker » le service pour l’intégrer dans leurs propres applications Web. Contrairement aux réactions habituelles dans ce genre de cas, Google décide de ne pas poursuivre ces individus en justice mais, tout au contraire, d’ouvrir leur plateforme aux développeurs externes par le biais d’une interface de programmation ; la première version de cette API est rendue publique en juin 2005. Les conditions d’utilisations sont assez favorables : l’intégration du service dans un autre site est gratuite et illimitée pourvu que le site soit non payant pour les internautes – le placement de publicité n’est pourtant pas interdit.

    Uniquement le service « geocoder » (accessible via l’API depuis juin 2006), qui permet de localiser une adresse ou un lieu sur une carte, est limité à 50K appels en 24 heures par application.  Les développeurs se jettent sur le système et housingmaps.com de Paul Rademacher, un site qui projette les annonces immobilières aspirées de craigslist.org sur une carte Google Maps, devient le prototype même du mashup. Début juillet 2008 le site programmableweb.com liste 1468 mashups utilisant l’API de Google Maps – de loin le plus grand nombre – mais nous estimons que le service est utilisé dans des dizaines de milliers de sites d’une façon ou d’une autre.

    Autour de l’API s’est formée une importante communauté de développeurs qui utilisent le service dans leurs propres créations et participent activement dans l’évolution de l’outil même. Pour commencer à comprendre la logique hybride de cette culture participative, il faut spécifier en quel sens la communauté est productive. Cette productivité prend différentes formes mais peut être divisée en trois catégories : l’utilisation de l’API dans les mashups, l’évolution du service et l’élaboration de connaissances.

    Les mashups
    Le travail le plus visible de la communauté consiste évidemment en l’intégration du service Google Maps dans d’autres systèmes à travers l’API. Cela peut aller de l’insertion d’une simple carte sur la page « contact » d’un site jusqu’à la création de systèmes très élaborés. Le domaine de la géolocalisation est en pleine expansion et les expériences autour de Google Maps constituent un vecteur d’innovation important. L’API permet aux développeurs de lier des systèmes d’information intégrants une composante spatiale à un système de cartographie interactive pour un coût très faible. On voit l’émergence de principalement deux types d’applications. La première catégorie regroupe les systèmes de visualisation qui utilisent l’API pour projeter des informations sur une carte.

    Avec Google Maps cette pratique n’est plus réservée à des professionnels du domaine géographique et on peut aujourd’hui témoigner de l’émergence d’une véritable rhétorique de la carte. Le site healthcarethatworks.org par exemple réussit ainsi à démontrer de manière intuitive que la fermeture d’hôpitaux à New York ces dernières années touchait essentiellement des quartiers habités majoritairement par des personnes de couleur.

    La deuxième catégorie est composée d’applications Web qui utilisent l’API pour recueillir (et puis présenter) des informations sur l’espace géographique. La carte fonctionne donc comme une interface visuelle pour lier une donnée à des coordonnées spatiales. Le site wikipapia.org par exemple contient 7,6 millions de lieux, intégralement apportés par les utilisateurs du site.

    L’évolution du service

    A côté des applications proprement dites du service, la communauté est très engagée quand il s’agit de rendre le système lui-même plus performant et plus facile à intégrer. On peut encore distinguer deux niveaux d’implication. Le premier concerne les outils qui permettent à des non-développeurs de créer des cartes interactives pour les utiliser sur leurs sites ou qui facilitent la tâche des développeurs expérimentés. Des sites comme quickmaps.com par exemple proposent une interface simple pour créer et annoter une carte ; des bibliothèques de code comme le « clusterer » de Jef Poskanzer – un moteur pour afficher des milliers de marqueurs sur une carte – rendent certaines tâches de développement plus abordables.

    Le deuxième niveau concerne l’évolution de l’API elle-même. Dans ce domaine, la stratégie de Google revient en quelque sorte à une application de certaines règles du développement open source avancées par Eric S. Raymond [1998] dans son article canonique The Cathedral and the Bazaar. Trois « thèses » extraites de cet article devraient illustrer ce constat.

    Thèse 6 : Traiter vos utilisateurs en tant que co-développeurs est le chemin le moins semé d’embûches vers une amélioration rapide du code et un débogage efficace. Dans le cadre de Google Maps, la complexité du service et la difficulté notoire d’accommoder les différents navigateurs Web et leurs nombreuses versions rendent la chasse aux erreurs difficile et coûteuse. La communauté composée de milliers de développeurs alertes devient donc une ressource cruciale dans le débogage, non seulement de l’API mais du système entier. Or, ces volontaires ne trouvent pas seulement des erreurs, ils proposent souvent des solutions dans le Google Maps API Group , une newsgroup améliorée, qui fonctionne comme relais principal entre Google et la communauté. Il s’agit donc d’une application du principe de « crowdsourcing », la sous-traitance aux internautes.

    Thèse 7 : Distribuez tôt. Mettez à jour souvent. Et soyez à l’écoute de vos clients. Le système et son API sont constamment améliorés et les mises à jour se succèdent rapidement : entre février 2006, l’introduction de la version 2.0 de l’API, et fin juin 2008, le journal des modifications (changelog) compte 85 versions rendues publiques – il s’agit bien de la logique de la bêta perpétuelle. Outre les corrections d’erreurs, les nouvelles versions ajoutent des modifications de la syntaxe et de nouvelles fonctions, généralement suite à une demande de la part des développeurs externes.

    Thèse 11 : Il est presque aussi important de savoir reconnaître les bonnes idées de vos utilisateurs que d’avoir de bonnes idées vous-même. C’est même préférable, parfois. Les expériences, outils et extensions venant de la communauté servent souvent de modèle pour l’évolution de l’API et de Google Maps en général. Selon Pamela Fox, ingénieur de service chez Google et responsable des relations avec la communauté, les développeurs externes ont l’avantage de ne pas être contraints aux mêmes standards de qualité que les employés de l’entreprise. Ils peuvent donc expérimenter de manière beaucoup plus libre et tester ce « qui marche ou pas et ce qui peut être utile » [Fox, entretien par email]. Ici, le principe de l’innovation « pilotée par les usagers » (user-driven innovation) trouve donc une application littérale parce que la communauté fonctionne comme une sorte de laboratoire.

    L’élaboration de connaissances

    Ce dernier élément pointe déjà vers un autre aspect du travail de la communauté, celui de la connaissance. Introduite de manière quelque peu précipitée, l’API était très mal documentée au départ et c’était essentiellement les volontaires qui s’occupaient des différents guides, tutoriaux, exemples commentés et répertoires d’applications. Le Google Maps Mapki  par exemple joue encore aujourd’hui le rôle d’une documentation supplémentaire qui remplit les lacunes et omissions des documents officiels. Le centre du « laboratoire » communautaire est pourtant le Google Maps API Group, ouvert le jour de la présentation de l’API, qui fonctionne comme lieu d’échange principal, comptant plus de 31K membres et 125K messages début juillet 2008. Un développeur qui pose une question au groupe peut compter sur une réponse compétente en moins d’une heure et, par le biais de la fonction de recherche, s’ouvre une archive de connaissances redoutable. Il s’agit finalement d’une « communauté de pratique » [Lave, Wenger 1991] dont l’intelligence collective produit et stabilise des connaissances et best practices. La possibilité d’intégrer le rang des membres actifs ouvre ainsi un double chemin de socialisation et d’apprentissage.

    Entre communauté et commerce
    Ce travail fourni par la communauté soulève un ensemble de questions qui nous semblent au centre de la problématique plus générale de la « culture participative » et de la « production amateur ». Nous allons donc rapidement examiner de plus près les caractéristiques et motivations de la communauté, ses relations avec Google et finalement la question du pouvoir telle qu’elle se pose au sein de cette configuration complexe.

    Une communauté ouverte jusque où ?
    Qui sont les personnes qui participent à ces différentes activités et pourquoi     investissent-elles leurs temps et savoir-faire sans rémunération ? A travers d’entretiens et d’une lecture des différents forums d’échange on peut retrouver des motivations similaires à celles avancées au sujet des développeurs open source [Weber 2004] : le plaisir de faire partie d’une communauté intéressée, la stimulation intellectuelle et créative de la programmation, la volonté de montrer et d’améliorer ses connaissances dans un domaine émergent et l’intérêt de se bâtir une réputation comme programmeur capable. Il faut prendre en compte qu’une partie importante des individus qui participent dans le travail communautaire autour de l’API de Google Maps sont des développeurs Web professionnels ou souhaitent le devenir. L’engagement volontaire est pour eux une façon d’exercer leurs compétences dans un domaine qui ne leur a pas été imposé, tout en étant économiquement prometteur. S’ajoute à cela une fascination très prononcée pour le domaine de la géolocalisation qui est vu comme un nouveau continent dont les possibilités ne sont pas encore identifiées. Les normes de comportements qui règlent les interactions entre les membres de groupe ressemblent donc fortement à celles que l’on trouve dans le contexte de l’open source : le ton est parfois dur mais toujours respectueux, les débats restent proches du sujet et le meilleur argument technique gagne.

    Il faudrait pourtant préciser que le taux de participation des différents membres peut varier considérablement. Le fait que 27% des 125K messages dans l’API Group aient été écrits par seulement dix individus démontre qu’un nombre limité de personnes est responsable d’une grande partie du travail communautaire mentionné plus haut. Au fil du temps on peut également remarquer une sorte d’« ossification » de la communauté. Avec l’accumulation de connaissances et l’évolution du service vers toujours plus de complexité il devient de plus en plus dur pour un nouveau participant de rejoindre le « noyau dur » de la communauté couronné par le titre « Maps API Guru » derrière le pseudonyme ; l’émergence d’une oligarchie risque pourtant de freiner la croissance de la communauté et de nuire à son statut comme interlocuteur de Google.

    Il est certain que la plupart des membres actif préféraient travailler dans un contexte open source mais le cas de la cartographie en ligne montre très nettement les limites de cette approche. Certes, la programmation d’un système de cartographie peut être fait sans problème par des volontaires et il existe effectivement des systèmes comparables à Google Maps entièrement libres, mais ces systèmes n’ont pas la possibilité d’accéder légalement aux cartes et images satellites fournies par des entreprises comme Tele Atlas ou Navteq qui ont investi des milliards d’euros dans la création de ces contenus. Google paye des sommes considérables pour le droit de les utiliser. Sans ces subventions, l’espace de création ouvert par l’API ne pourrait pas exister. Au moment où le monde matériel « lourd » entre en jeu, l’économie « légère » de l’open source rencontre ses limites.

    Une configuration symbiotique ?
    Afin de mieux comprendre les relations entre Google et la communauté de développeurs il est utile d’examiner plus précisément comment chaque partenaire tire profit de l’autre. Pour la communauté, l’avantage principal est effectivement la mise à disposition quasiment libre du service lui-même (et notamment des cartes et images satellites), mais aussi de l’infrastructure informatique très performante qui héberge Google Maps. Cette mise à disposition ouvre un champ de production potentielle qui, malgré les points d’interrogation dont nous allons parler plus bas, est un espace largement ouvert à l’expérimentation et même à l’exploitation commerciale. Du côté de Google, une telle exploitation est explicitement souhaitée : un développeur qui conçoit un produit autour de Google Maps et qui souhaite l’exploiter commercialement peut le faire principalement en plaçant de la publicité sur son site ; si ce développeur est déjà bien familier des produits de l’entreprise, le système de publicité choisi sera très probablement AdSense, principale source de revenus du géant californien.

    En ouvrant son service et en soutenant les développeurs, Google arrive à socialiser les développeurs, à les fidéliser à ses produits. Cette stratégie semble rencontrer un fort succès, notamment lorsqu’on prend en compte que Yahoo et Microsoft proposent des services similaires et parfois plus performants que Google Maps sans avoir réussit à créer une diffusion comparable. « Virtual Earth de MSN est assez cool et je pense que la qualité de leurs images satellites et BEAUCOUP mieux, mais je trouve la communauté de développeurs et le support de l’API plutôt médiocre » dit l’utilisateur Eric  dans une discussion à propos des différents services de géolocalisation disponibles, et ce commentaire montre bien l’importance et le succès de la politique communautaire de Google.

    Nous avons déjà décrit tout le travail que fournit la communauté au niveau des techniques et connaissances, mais Google en profite encore à d’autres niveaux : les développeurs qui s’engagent autour de l’API ne constituent non seulement une ressource externe mais potentiellement aussi une ressource interne. Paul Rademacher par exemple, le créateur de housingmaps.com, travaille désormais à Mountain View et n’est pas le seul employé ainsi recruté. Comme le note Steven Weber [2004], l’engagement volontaire est un moyen formidable pour un bon programmeur de se faire remarquer parce que les entreprises peuvent directement juger son travail, ce qui dans le domaine informatique est bien plus significatif qu’un diplôme et démontre l’enthousiasme du candidat.

    Les relations entre Google et la communauté semblent donc assez fusionnelles et la lecture des discussions dans l’API Group témoigne effectivement d’une coexistence plutôt harmonieuse. Cela est loin d’être évident lorsqu’on prend en compte la dimension de la distribution de pouvoir.

    Propriété et pouvoir

    Sur ce point, la notion de propriété nous semble centrale parce qu’elle marque un départ important par rapport à la culture du tout ouvert du mouvement open source, que Steven Weber [2004] définit comme une expérience sociale regroupée autour d’une conception alternative de ce que veut dire être propriétaire de quelque chose. Parce que légalement, Google reste le détenteur de tous les droits de Google Maps et l’entreprise peut contrôler l’ensemble des conditions d’usage du service ; en principe, rien ne les empêche de le rendre payant, d’ignorer les souhaits de la communauté ou tout simplement de l’arrêter. Nous sommes donc très loin de l’esprit des licences open source comme la GPL (GNU General Public License) qui, selon Weber, redéfinissent la propriété intellectuelle comme droit de distribuer et non comme droit d’exclure.

    En même temps, le pouvoir ne se réduit pas à sa seule dimension légale, il émane d’« une situation stratégique complexe » [Foucault 1976]. En permettant l’émergence d’une communauté d’« amateurs professionnels » autour de l’un de ses produits, une entreprise prend des risques : selon Jeff Bezos, CEO d’Amazon.com, « le bouche à oreille est très fort sur Internet et si vous rendez un consommateur content il peut le dire à 5000 autres personnes. Et si vous le rendez mécontent il va certainement le dire à 5000 autres personnes. »  Une communauté peut être une ressource formidable mais maltraitée, elle peut se transformer en un ennemi redoutable [cf. Jenkins 2006]. Les développeurs de Google Maps peuvent non seulement passer tout simplement à un service concurrent, mais une communauté en colère peut également facilement nuire à l’image d’une entreprise dont la devise est toujours « ne soit pas méchant ! » Le processus de socialisation va donc en quelque sorte dans les deux sens : les développeurs sont socialisés dans la culture Google mais Google est contraint par des normes communautaires, qui s’inspirent largement de la culture open source. Le fonctionnement final est le résultat de processus de négociation permanents. Par conséquent, l’ouverture vers les développeurs externes peut donc réduire la marge de manœuvre de l’entreprise. Il n’est donc guère étonnant que Google agisse de manière très prudente. Aucun des abus de l’API – l’extraction des cartes est notamment assez fréquente – n’a été réglé devant un tribunal, et les employés de l’entreprise portent beaucoup d’attention à ne pas paraître sourds ou arrogants dans leurs échanges avec la communauté. Tout changement doit être justifié et argumenté techniquement ; et, bien que les conditions d’utilisations réservent explicitement le droit à Google de placer de la publicité directement sur les cartes et images satellites, cela n’a pas été fait jusqu’ici. Finalement, une partie croissante de l’API est placée sous une licence open source – ce qui ne change pas grande chose mais constitue un acte symbolique important.

    Ils reste cependant d’autres lieux de frictions potentielles. En s’inspirant des mashups et extensions pour l’évolution du site Google Maps grand public, ces créations sont parfois rendues obsolètes. Avec l’introduction de My Maps (personnaliser et sauvegarder des cartes), Map Maker (créer et annoter des parcours) et la possibilité d’afficher des photos et articles de Wikipédia, Google se met en concurrence directe avec ses développeurs externes. Pour l’instant cela n’a pas encore produit de conflits très visibles mais le problème est bien réel et est un indicateur de l’asymétrie qui caractérise, malgré tout, les rapports entre l’entreprise et la communauté.

    Conclusions
    Le cas de Google Maps n’est pas un pars pro toto de l’ensemble de cette « culture participative » en train d’émerger, mais nous pensons qu’il est finalement plus représentatif que celui du mouvement open source, dont la redéfinition de la notion de propriété reste une île – certes en croissance – dans un océan peuplé d’hybrides qui combinent logique de marché et logique de communauté, et où la production amateur ne donne pas toujours lieu à la création d’un « bien commun » (common). Nous aurions donc tort de regarder la situation actuelle dans une logique binaire ouvert / fermé. En regardant de plus près, nous voyons que la production amateur brouille les frontières en créant des mélanges dynamiques et instables. Ces formes posent un certain nombre de questions nouvelles parce qu’à cause des intérêts différents les relations entre entreprises et communautés sont forcément ambiguës. Mais même dans une situation comme celle de Google Maps où l’acteur commercial détient tout les droits légaux, nous sommes loin des consommateurs passifs de Horkheimer et Adorno. La participation des usagers infiltre la logique traditionnelle de la production culturelle et affecte  la marge de manœuvre de entreprises. L’exercice du pouvoir doit être proprement foucaldien : productif au lieu de répressif, micro plutôt que macro, subtil et flexible. Les normes communautaires désavouent l’usage de force brute et contraignent l’exercice de la loi comme outil de pouvoir.

    Pour le moment, la tâche pour la recherche ne consiste pas à porter un jugement moral sur une éventuelle culture participative mais à examiner les différentes formes qu’une telle culture peut prendre. Et c’est en dégageant les pratiques et jeux de pouvoir que nous découvrons un nouvel espace de création dont les chances et dérives restent en mouvement.

    Communication scientifique Colloque Ludovia 2008 (Extraits)
    Bernhard RIEDER
    Laboratoire Paragraphe (EA 349)
    Université de Paris VIII
    71ème section

  • Apprentissage de la programmation à l’aide d’un jeu sérieux

    Apprentissage de la programmation à l’aide d’un jeu sérieux

    Dans une première partie, nous définissons brièvement le concept de jeu sérieux, puis nous présentons un ensemble de travaux abordant l’apprentissage de la programmation.
    Dans une deuxième partie, nous introduisons notre prototype à travers son contenu pédagogique et le choix du support. Enfin, nous décrivons de façon détaillée le fonctionnement de notre application.

    Jeux sérieux
    Le terme «jeu sérieux» est très largement utilisé sous de nombreuses dénominations. Ainsi, suivant les définitions, il inclut plusieurs familles d’applications dont voici quelques exemples : l’apprentissage en ligne, le ludo-éducatif, les jeux classiques ou numériques à base d’apprentissage (Susi et al. 2007).

    Dans tous les cas, le point critique d’un jeu sérieux est la relation entre le jeu et son contenu pédagogique. L’expérience a montré que les jeux sérieux atteignent leurs objectifs s’ils ont une forte composante « jeu » clairement mise en avant. En effet, pour progresser dans un jeu vidéo, le joueur passe par une phase d’apprentissage. Le jeu sérieux exploite cette caractéristique pour instruire le joueur. Cette approche a été utilisée pour America’s Army (Zyda 2006). Ce jeu sérieux est le premier à avoir remporté un réel succès. Un jeu sérieux est un environnement vidéo-ludique pas uniquement destiné aux enfants mais à un public beaucoup plus large.

    Les jeux sérieux sont présents aujourd’hui dans plusieurs secteurs d’activité comme l’éducation, l’administration, la santé, la défense, les entreprises, la sécurité civile et les sciences. Suivant le public considéré, le type de jeu (présentation et contenu) évolue :

    •    Pour le grand public, les jeux sérieux peuvent être utilisés pour la sensibilisation à des problèmes généraux de santé, de sécurité ou d’environnement.
    •    Pour l’université ou pour l’entreprise, les jeux sérieux doivent pouvoir fournir un contenu plus complet et précis en fonction du niveau de l’utilisateur. Ils permettent aux apprenants en fin de formation d’aborder et de résoudre des problèmes complexes.
    •    Pour des formations plus spécifiques comme le pilotage ou la chirurgie, des jeux sérieux à base d’immersion peuvent permettre des simulations physiquement réalistes. Ces jeux s’appuient sur des modèles mathématiques sous-jacents complets, en vue de préparer au mieux les personnes aux situations critiques.

    Le jeu sérieux doit donc être conçu en fonction du secteur d’activité, du public et des moyens disponibles (matériels et financiers) pour sa mise en œuvre. Blackman (2005) fait une synthèse sur l’industrie du jeu et ses applications au grand public. Les moteurs graphiques des jeux vidéo, de plus en plus perfectionnés, peuvent être utilisés pour des applications autres que le jeu car ils proposent des rendus temps réels et des  « moteurs » physiques réalistes. Des applications d’entraînement, de visualisation interactive et de simulation de situation utilisent largement les technologies des jeux vidéo. Il est donc clair que les jeux aux bases sérieuses et amusantes joueront un rôle important dans un futur proche.
    Les jeux sérieux sont en plein essor, mais peu d’entre eux sont conçus pour l’informatique et plus particulièrement pour l’apprentissage de la programmation.

    Travaux rattachés
    L’informatique est une vaste discipline possédant de nombreuses spécialités. L’apprentissage de la programmation en est une clé essentielle et incontournable. Pour faciliter cet apprentissage, des logiciels ont été développés.

    Certains de ces logiciels utilisent des langages graphiques à base de blocs. Cette métaphore de programmation permet à l’étudiant de se détacher de la syntaxe afin de se concentrer sur l’algorithmique. StarLogo The Next Generation (Klopfer et al. 2005), Scratch (Maloney et al. 2004), Alice2 (Kelleher et al. 2002) et Cleogo (Cockburn & Bryant 1998) s’inscrivent dans cette approche. Ils s’adressent à des personnes n’ayant jamais eu de contact préalable avec la programmation. Ils ont pour objectif d’attirer les étudiants vers l’informatique et de les initier à la logique de la programmation, sans qu’ils aient pour autant une connaissance formelle des concepts.

    Une démarche différente consiste à utiliser la compétition pour motiver des étudiants déjà experts en programmation. C’est le cas du projet Robocode  et de l’évènement international RoboCup . Tous les deux proposent aux joueurs de programmer des Intelligences Artificielles (IA) en vue de piloter des robots et de les mettre en concurrence au cours de sessions organisées.

    La dernière solution utilise le jeu vidéo pour « accrocher » le joueur et l’amener vers la programmation. Le projet WISE (Wireless Intelligent Simulation Environment) de Cook et al. (2004) est un environnement de jeu interactif qui mélange jeux virtuels et physiques. Colobot  est le seul exemple, que nous connaissons, de jeu vidéo complet qui combine interactivité, histoire et programmation. Dans ce jeu, le joueur doit coloniser des planètes en utilisant et programmant des robots. Cependant, ces jeux s’adressent plutôt à des programmeurs confirmés capables d’élaborer des algorithmes sophistiqués inspirés de l’IA.

    Si tous ces logiciels sont bien destinés à l’apprentissage et à la pratique éducative de la programmation, quel est leur positionnement par rapport aux jeux sérieux ?
    Premièrement, nous ne pouvons considérer StarLogo TNG, Scratch, Alice2, Cloego ou RoboCup comme des jeux sérieux. Pour cela, ces applications ne s’intègrent pas directement dans notre étude, cependant, elles présentent des approches intéressantes et transférables sur un jeu sérieux tel que la programmation à base de blocs ou les environnements collaboratifs.

    Deuxièmement, Robocode, WISE et Colobot ne sont pas suffisamment complets. Robocode manque d’interactivité : le joueur est inactif durant la simulation, il reste spectateur de sa propre IA. WISE nécessite de nombreuses ressources (espace, robots…) ce qui rend sa mise en œuvre complexe et ajoute des contraintes à l’expérimentation. Enfin, Colobot manque d’un mode multi joueur. Or, nous pensons que le travail compétitif et collaboratif introduit par l’aspect multi joueur peut être très intéressant pour l’étudiant (Johnson & Johnson 1994).

    Ainsi, notre travail s’inspire de ces précédents outils. Nous proposons de soutenir l’apprentissage de la programmation via une plateforme ludique, interactive et multi-utilisateur. Afin de conserver le plaisir du jeu, nous choisissons un jeu vidéo multi joueur existant appartenant à un genre de jeu populaire. Notre contribution consiste à améliorer ce jeu en fournissant la possibilité au joueur de contrôler les entités du jeu grâce à la programmation. En d’autres termes, notre outil est un jeu vidéo multi joueur où la programmation devient un atout pour le joueur. Nous allons maintenant donner quelques détails sur notre système, pour cela nous présentons le savoir supporté par notre outil et nous analysons les difficultés que rencontrent les étudiants dans l’apprentissage traditionnel de la programmation.

    Enseignement de la programmation
    Notre objectif est de fournir un outil de formation complémentaire à l’enseignement classique de la programmation. Ce jeu est à destination des étudiants novices en programmation qui éprouvent des difficultés dans l’apprentissage de la discipline. Selon Janine Rogalski (1988), l’enseignement de la programmation présente en effet des spécificités :
    •    Les élèves doivent apprendre à passer « du faire » au « faire faire par un ordinateur ».
    •    Les élèves doivent acquérir des objets spécifiques que sont les structures de contrôles (test, itération et récursivité).
    •    Les élèves doivent acquérir une représentation des connaissances basée sur des activités de modélisation, notamment mathématiques, qui sont très difficiles à aborder tant par l’enseignant que par l’élève.
    •    Un programme répond à une exigence de réalisation sur un matériel donné, dans un temps donné, dans un environnement donné.
    Ces difficultés constituant souvent des obstacles à l’apprentissage, beaucoup d’étudiants en début de formation se découragent et abandonnent leurs études.

    Pourtant, lorsque les concepts spécifiques ont été enseignés, les enseignants considèrent que la pratique de la programmation permet de surmonter les problèmes : « l’acquisition du contenu d’un langage de programmation se présente comme un apprentissage par analogie qui nécessite, pour être mené à bien, des rétroactions apportées par les résultats de la soumission d’un programme à la machine » (Hoc & Mendelsohn, 1987). Ainsi, dans le cadre de la formation traditionnelle, l’enseignement de la programmation est réalisé sous la forme de cours théoriques où sont exposés les concepts, suivis de travaux dirigés où il s’agit d’écrire des algorithmes sur papier et de travaux pratiques effectués sur machines pour tester les algorithmes écrits et analyser les rétroactions. L’approche suivie est celle de la résolution de problèmes.

    Pourtant depuis quelques années, les étudiants se plaignent des situations didactiques  proposées. En effet, la grande majorité d’entre eux ont une pratique importante des jeux vidéos (86% des étudiants interrogés jouent aux jeux vidéo ) et ne comprennent pas pourquoi ils passent, dans le cadre de leur formation, plusieurs semaines à écrire des programmes pour tracer des dessins à l’aide de tirets cadratins à l’écran, alors qu’ils manipulent chez eux, avec les mêmes matériels, des jeux en 3 dimensions.

    Contenu pédagogique
    L’outil développé permet d’envisager une nouvelle situation didactique, adéquate « dans la mesure où elle permet à l’élève de rencontrer des problèmes qui l’obligent à affronter des difficultés présumées ou connues » (Rogalski, 1987). Il permet aux étudiants novices d’aborder la programmation impérative, mais peut-être également utilisé pour apprendre la programmation orientée objet, événementielle ou parallèle. Les langages manipulés actuellement sont le C ou le C++, langages de références largement utilisés dans l’industrie et enseignés dans les universités.

    Du point de vue de l’étudiant, le code saisi et compilé est dynamiquement et interactivement pris en compte par le jeu. Les programmeurs étant novices, il convient donc, de les aider en leur dissimulant toutes difficultés liées à la complexité du moteur du jeu de façon à ce qu’ils puissent se concentrer au maximum sur leurs objectifs : mettre en œuvre les premiers concepts informatiques étudiés. Ainsi la cohérence de la partie est maintenue grâce à un ensemble de mécanismes de liaison et de synchronisation totalement transparent pour lui. De cette manière, l’étudiant peut se concentrer entièrement sur sa programmation et le jeu.

    Cet outil pourra également être utilisé à d’autres niveaux d’apprentissage, différents degrés d’abstraction étant disponibles. Par exemple, il est possible de créer pour les débutants une interface minimale permettant de donner de simples ordres. Pour les étudiants plus confirmés, un accès à l’implémentation complète du jeu peut être envisagé afin qu’ils puissent mettre en œuvre des concepts plus complexes et être confrontés à une application sophistiquée.

    Description du système
    Pour supporter notre système, nous utilisons un type de jeu bien connu des joueurs : les jeux de stratégie temps réel (STR). Dans cette catégorie de jeu, le joueur contrôle une armée composée d’unités. Il peut communiquer avec l’environnement virtuel en donnant des ordres à ses unités afin de réaliser des actions (se déplacer, construire un bâtiment…). Actuellement, ces ordres sont donnés en cliquant avec la souris sur une carte, nous souhaitons encourager le joueur à les donner par la programmation.

    Nous n’avons pas comme prétention de développer un nouveau moteur de STR. Nous avons donc recherché un jeu existant qui pouvait nous servir de point de départ. Ce jeu doit convenir à nos attentes et doit être capable de supporter nos modifications. Nous n’avons pas pu travailler avec de grands classiques tels que Warcraft III, Age Of Empires III ou bien d’autres jeux car ils sont propriétaires et leurs codes ne sont pas disponibles. Par conséquent, le jeu recherché doit nécessairement être ouvert afin d’avoir accès à son code et de pouvoir l’étudier en vue d’y apporter nos modifications. Heureusement, quelques projets sont en développement avec la volonté d’une diffusion de l’information. C’est le cas d’Open Real-Time Strategy (ORTS) et du projet Spring . Tout les deux sont des jeux de stratégie temps réel multi joueur en 3D (Figure 1).

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    Figure 1. A gauche : ORTS. A droite : Spring.

    ORTS (Buro 2002; Buro & Furtak 2005) est développé pour fournir un environnement de programmation en vue d’étudier des algorithmes liés à l’IA. Ce jeu est donc conçu pour permettre aux programmeurs confirmés de programmer et d’intégrer facilement leur IA au moteur. De plus, ORTS propose un mode multi joueur, cette caractéristique est importante car nous comptons fortement axer notre jeu sérieux sur cet aspect. A plus long terme, nous souhaiterions en effet rendre le jeu sérieux massivement multi joueur et créer un environnement persistant où il serait continuellement possible de programmer de façon ludique.

    Récemment, nous avons également intégré notre module dans l’autre moteur de jeu, Spring, pour s’assurer de l’indépendance de notre module vis-à-vis d’ORTS. Ce moteur est en tout point différent d’ORTS tant sur son architecture réseau que sur sa conception interne. Cependant, avec un minimum de modification, nous avons intégré notre module dans ce moteur.

    Aspects techniques
    Notre objectif est de permettre au joueur de saisir son code et de l’intégrer dans le jeu où il sera exécuté. De cette manière, le joueur pourra suivre le déroulement de son programme à travers le comportement de ses unités dans le jeu vidéo. Mais dans ORTS ou Spring, chaque modification de code implique d’arrêter le jeu et de le recompiler pour que les changements puissent prendre effet à la prochaine partie. C’est le principe des langages de programmation compilés comme le C++ (utilisé dans ORTS et Spring). Dès lors, le premier problème à résoudre est : comment intégrer le code du joueur dans le moteur du jeu sans avoir à l’arrêter et à le recompiler ?

    Cette amélioration permet une plus grande interactivité car le joueur peut modifier, compiler et intégrer son code sans avoir à arrêter le jeu et ainsi maintenir la progression et la cohérence de la partie.
    Pour répondre à ce problème, nous aurions pu choisir un langage de script mais pour des raisons de performances, nous avons choisi d’utiliser une bibliothèque dynamique et de concevoir une interface pour le développement du code.

    Bibliothèque dynamique

    La sémantique du terme bibliothèque dynamique résume bien son utilité. La bibliothèque fournit des fonctions qui peuvent être appelées et exécutées par le programme qui la consulte. Quant à la notion de dynamique, elle indique que la bibliothèque pourra être chargée, utilisée et éliminée pendant l’exécution du programme.

    Dans notre application, la bibliothèque contient le code saisi par le joueur et définit le comportement de ses unités. Le jeu utilise donc cette bibliothèque pour déterminer les actions à réaliser. A chaque modification de la bibliothèque, la nouvelle IA est rechargée. Grâce à ce principe, le code contenant le comportement des unités est complètement indépendant du jeu. Le joueur peut donc maintenant modifier son code et le recompiler sous forme d’une bibliothèque pour qu’il soit automatiquement intégré au jeu en cours de partie. En règle générale, la bibliothèque se suffit à elle même. Pourtant, dans notre application, elle est censée accéder à la boite à outils du moteur afin de manipuler les données. Il a donc fallu recompiler chaque moteur, ayant servi de tests, pour permettre à la bibliothèque d’accéder aux éléments du jeu.

    L’exécution de la bibliothèque est réalisée dans un thread (ou processus léger) pour permettre au client de rester actif et apte à réagir aux actions de l’utilisateur ou du serveur. Dorénavant, des IA complexes peuvent être mises en place sans influencer les performances du jeu. En contre partie, la programmation parallèle introduit des difficultés supplémentaires au niveau de la réalisation. En effet, ce type de programmation demande la mise en place de mécanismes entre les différents processus pour permettre d’assurer la synchronisation et la cohérence des données partagées. Cependant le joueur n’a pas conscience de tout ceci.

    Nous avons également assuré la fiabilité de notre système en le protégeant contre les bogues générés par les étudiants. En effet, les joueurs étant en apprentissage de la programmation, il est fortement probable que ceux-ci réalisent des erreurs. Ces bogues peuvent causer des erreurs systèmes (erreur de segmentation par exemple) ou des levées d’exceptions. Pour récupérer les erreurs déclenchées dans la bibliothèque nous utilisons les signaux systèmes. Ainsi, lorsqu’une interruption est générée dans le code du joueur, seul le thread exécutant le code du joueur est interrompu. Une information est alors donnée au joueur pour l’informer du type d’erreur ayant arrêté son IA. De cette manière, le fonctionnement du jeu n’est pas dépendant des mauvais fonctionnements de l’IA.

    L’utilisation de la bibliothèque dynamique possède un avantage supplémentaire. Elle dissimule au joueur la complexité du jeu vidéo. Comme nous l’avons précisé précédemment, le joueur doit saisir le code correspondant au comportement de ses unités. En règle générale, vouloir modifier une partie d’un programme consiste, au préalable, à analyser la structure, l’organisation et le fonctionnement de l’application. La bibliothèque dynamique aide le joueur en extrayant l’IA du jeu. De cette manière, l’utilisateur n’a pas conscience des difficultés liées à l’intégration de son code dans le moteur de jeu.

    Environnement de développement

    La bibliothèque dynamique donne au joueur l’opportunité de modifier son code de façon interactive. Elle l’assiste dans son travail en cachant la complexité du moteur. Cependant, l’utilisation du jeu reste fastidieuse en raison des architectures et des arborescences de fichier complexes. Pour aider le joueur encore un peu plus, il est nécessaire de rendre le logiciel plus intuitif. Pour cette raison, nous avons conçu une interface appelée le centre de développement (CDD) (Figure 2).

    Le CDD est un composant qui facilite la conception et la manipulation des réalisations du joueur. Il est complémentaire au jeu et simplifie la gestion des projets à travers un ensemble de menus. Cependant, le CDD est indépendant et n’est pas nécessaire au fonctionnement du moteur vice-versa. Il complète la bibliothèque dynamique en simplifiant la manipulation du système de synchronisation et de liaison entre le code du joueur et le jeu. Ainsi, le joueur commence par créer la classique fonction « int main (){…} » comme si son code était indépendant du jeu. Il peut alors utiliser un ensemble de fonctions (définies en relation avec les connaissances du joueur, les objectifs pédagogiques…) pour manipuler les entités du jeu. Ainsi, le joueur peut facilement compiler et injecter son code dans le moteur et observer les résultats.

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    Figure 2. Le centre de développement

    Vue d’ensemble
    Notre application est composée de trois entités (Figure 3): le moteur de jeu, la bibliothèque dynamique contenant le code du joueur et le CDD. Il a été nécessaire de modifier le moteur pour permettre au jeu de charger la bibliothèque (à travers le «Chargeur») et fournir au joueur les outils nécessaires à la manipulation des données (grâce à l’« IMJ »). La bibliothèque dynamique possède une interface (« IGCU ») qui permet son utilisation et un thread pour l’exécution du code du joueur. Nous allons maintenant détailler tous ces composants.

    «IGCU» signifie «Interface de Gestion du Code de l’Utilisateur». Elle permet de contrôler l’exécution du code de l’utilisateur (lancer, arrêter).

    Le «Chargeur» est conçu pour charger la bibliothèque dynamique lorsque celle-ci est créée ou modifiée. Il a également la responsabilité de la libérer si celle-ci est supprimée. Le «Chargeur» a une autre utilité ; il pilote l’exécution du code de l’utilisateur à travers l’«IGCU» afin de maintenir la même version entre la bibliothèque et le code exécuté.

    L’«IMJ» signifie «Interface du Moteur de Jeu» et assure une double fonctionnalité. Premièrement, c’est une interface fournissant à l’utilisateur la possibilité d’interagir avec le jeu, elle sert de point d’entrée au moteur. Deuxièmement, elle assure la synchronisation entre le code du joueur et le moteur du jeu, ceci afin de respecter l’intégrité et la consistance du déroulement de la partie.

    Finalement, le CDD permet au joueur de modifier son code contenu dans la bibliothèque et de la (re)construire pour indiquer au moteur que le code a changé et qu’il est temps de le mettre à jour.

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    Figure 3. Architecture

    Conclusions et travaux à venir
    Dans ce document, nous décrivons un prototype de jeu sérieux dont l’objectif est l’apprentissage de la programmation d’une manière amusante et interactive pour des étudiants novices en programmation. Cette approche est motivée par la baisse du nombre d’étudiant et le fort taux d’abandon en début de cursus informatique. Nous avons donc augmenté plusieurs moteurs de jeu pour qu’ils puissent prendre en compte du nouveau code pendant leur exécution. Ce prototype permet, contrairement à d’autres outils d’apprentissage de la programmation, de manipuler interactivement deux langages de programmation très largement utilisés : le C et le C++.

    Par ailleurs, nous pensons fournir la possibilité d’utiliser d’autres langages de programmation comme Java ou VBA (Visual Basic for Applications) afin d’étendre notre projet à d’autres formations. Ce prototype permet à des étudiants inexpérimentés ou confirmés de s’amuser tout en développant des programmes. De plus, nous avons vérifié que nos modules étaient facilement intégrables dans d’autres moteurs de STR. Ceci permet de changer de jeu en fonction de nos objectifs et de pouvoir suivre l’évolution rapide des jeux vidéo.

    La prochaine étape est l’expérimentation. Nous avons commencé à travailler avec des partenaires comme le SUP (Service Universitaire de Pédagogie) de notre université et bien sûr les professeurs et étudiants des formations concernées. Les analyses expérimentales vérifieront son utilisabilité et son efficacité. D’autre part, il sera important de déterminer comment l’utilisateur bascule entre le jeu et le CDD. D’un point de vue didactique, il sera intéressant d’analyser comment l’introduction du jeu vidéo conditionne l’activité de programmation. Une analyse comparative épistémologique des tâches à réaliser dans le contexte de TP traditionnel et de TP avec l’outil permettra de déterminer ce qui est réellement enseigné.

    La majorité des STR fonctionnent sur une architecture P2P (peer to peer) où la simulation est dupliquée dans chaque application. A tous les pas de simulation, chaque application synchronise sa simulation avec les autres. Cette architecture n’est pas évolutive et limite le nombre de joueurs. Cependant, ORTS propose une architecture client-serveur. Cette caractéristique est intéressante pour tenter de porter ce moteur vers un système massivement multi joueur. Il serait alors possible à plusieurs centaines de joueurs de partager leurs expériences dans un monde virtuel persistant. De plus, le sujet des MMORTS (Massively Multiplayer On-line Real Time Strategy) a très peu été étudié, laissant des perspectives de recherche intéressantes.

    Finalement, le CDD facilite l’utilisation du logiciel, mais peut être amélioré pour simplifier un peu plus l’interaction avec le monde virtuel. Il serait alors intéressant de définir un système optionnel de saisie à base de bloc à l’image de Alice2 ou StarLogo The Next Generation. Ceci permettrait d’aider les débutants à se détacher de la syntaxe du C ou du C++.
    Toutes ces améliorations permettraient à notre application de devenir un jeu sérieux massivement multi joueur et plus précisément un jeu sérieux de stratégie temps réel massivement multi joueur où la seule limite serait l’imagination du joueur.

    Communication Scientifique Ludovia 2008 (extraits)
    Mathieu Muratet
    Patrice Torguet
    Jean-Pierre Jessel
    IRIT – UMR 5505
    Section 27 – Informatique

    Fabienne Viallet
    DiDiST CREFI-T Didactique des Disciplines des Sciences et Techniques Centre de Recherche en Education Formation et Insertion – EA pluri-établissements 799
    Section 70 – Sciences de l’Education

    Université de Toulouse, Paul Sabatier
    118 route de Narbonne, 31062 Toulouse Cedex 9
    +33 (0) 5 61 55 66 11

  • Culture geek et participation : Continuités, formes nouvelles et rapport à l’industrie culturelle

    Le terme geek désigne donc généralement tour à tour ou conjointement les passionnés d’informatique et de nouvelles technologies  de communication, ainsi que des mondes imaginaires et fantastiques de la science-fiction et de la fantasy.

    Toute la problématique du terme se trouve ici résumée puisque l’on voit bien qu’il recouvre des éléments assez disparates : on y retrouve en effet le jeu de rôle (en version papier et vidéoludique), les comics américain, les mangas japonais, les séries télévisées, le cinéma de genre hollywoodien et indépendant, internet comme média principal, un goût pour les derniers gadgets électroniques, pour la programmation informatique, pour la littérature de science-fiction, etc.

    Il y a aussi chez le geek une composante souvent péjorative, celle de l’excès, de l’obsession irraisonnée souvent lié à l’adolescence. Excès de l’immersion dans les jeux vidéo, ou dans les mondes imaginaires de manière générale, excès de temps passé sur internet, absence de vie sociale, timidité maladive etc. Cette composante tend aujourd’hui à devenir plus secondaire mais dénote de l’importance dans les définitions du terme de l’implication, de l’engagement profond (au sens de Goffman) du geek dans « sa culture ».
    On voit bien là que le geek idéal, familier de toutes ces pratiques, de tous ces médias, de toutes ces thématiques et totalement plongé dans sa passion jusqu’à la désocialisation totale n’existe pas (ou de manière marginale). Alors comment expliquer cet étrange syncrétisme ?

    Pour cela, il faut faire appel à ses origines contemporaines et aux théories en sciences humaines traitant des stéréotypes.
    Toutes les études sur ces représentations démontrent qu’ils sont des réifications, des mises en saillances de détails réels qui sont essentialisés. Pour le dire plus simplement, le stéréotype permet à l’esprit humain pour qui le réel est un flux difficilement appréhendable de simplifier et de catégoriser le monde qui l’entoure en se basant « sur des morceaux épars de vérité » (Frank, 2000 : 18). Comme le notent aussi justement Ruth Amossy et Anne Herschberg Pierrot les stéréotypes « peuvent avoir un ancrage dans la réalité et reposer sur une base factuelle observable » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2007 : 38).

    C’est donc dans cet ancrage que l’on peut retrouver l’essence du geek et de la culture qu’il est censé symboliser. Si le terme s’est répandu aujourd’hui bien au-delà, et notamment en France, on peut situer ses origines dans les Etats-Unis de la seconde partie des années 1970. En effet à cette période vont s’interpénétrer, surtout dans la jeunesse, les balbutiements de l’informatique grand public, l’émergence des jeux vidéo, des jeux de rôle , du phénomène Star Wars, etc. Et c’est dans ce mélange, dans ce bouillonnement prenant appui sur la culture du fandom  née avec les comics , que l’on va voir apparaître le mot geek dans le vocabulaire courant pour désigner les jeunes adeptes de tous ces mouvements.

    On peut ici citer Alexis Blanchet qui note ce phénomène générationnel originel en analysant les liens historiques entre jeu vidéo et cinéma : « à la croisée de l’électronique, de l’informatique, de l’image numérique et de l’intelligence artificielle, les premiers créateurs de jeu vidéo baignent dans un contexte culturel où règnent la contre culture, la science-fiction, le jeu de rôle mâtiné d’héroic-fantasy et le cinéma populaire » (Blanchet, 2008 : 35). Il ajoute plus loin : « ces premiers artisans du jeu vidéo se façonnent donc des imaginaires où Tolkien côtoie La Guerre Des Etoiles, où le comics underground d’un Vaughn Bodé et d’un Robert Crumb, voisinent le cinéma d’horreur de Georges A. Romero » (Blanchet, 2008 : 35).

    Ce que décrit Alexis Blanchet ici, sans le nommer c’est l’émergence d’une culture de genre multimédiatique qui assimile sans distinction anciens et nouveaux médias et que ceux qui s’y identifient, nomment aujourd’hui « culture geek ». Une culture de genre qui navigue entre œuvres de masse et aspects plus sous-culturels, une culture très autoréférentielle, mais aussi et surtout une culture de fans qui a vu émerger de nouvelles formes de consommation culturelle et a su s’y adapter pour assouvir leurs passions.

    Voilà donc la manière dont j’aborde cette culture geek : comme un mouvement culturel vaste basée sur un stéréotype large qui permet à de nombreux individus de s’identifier sans être « trop geek »  et réalisant un mélange qui peut parfois paraître étrange, et comme une culture de fans. Car il ne faut pas se laisser entraîner par un nominalisme excessif, le geek est avant tout un fan et l’apparente nouveauté du terme ne doit pas faire oublier qu’il répond en tant que tel à certains critères bien établis par de nombreuses recherches.

    La spécificité du geek est qu’il est un fan multipolaire et multimédiatique maniant avec virtuosité l’intertextualité et les passages d’un média vers l’autre. C’est ce que Henry Jenkins nomme la convergence culturelle, une culture dans laquelle les médias ne sont plus vus en opposition ou même de manière parallèle mais chacun apportant sa pierre à un seul édifice de pratiques culturelles . Cela est bien sur grandement facilité par ce que l’on nomme la convergence technologique qui permet la consommation de ce qui était auparavant plusieurs médias sur un seul écran, celui de l’ordinateur.

    Mais si l’on accepte ce cadre nouveau, le geek est un fan comme les autre : pratiquant le culte des œuvres, désireux d’acquérir une expertise toujours plus grande dans son domaine, ayant un sentiment d’appartenance communautaire  et de ce fait étant « l’ambivalence entre le sentiment d’être protégé par le nombre et menacé par les autres fans » (Pasquier, 2005 : 111), et ayant une volonté d’expression et de création.

    C’est cette dernière volonté qui m’intéresse particulièrement ici. En effet,  aujourd’hui, de nouveaux outils permettent aux fans de pouvoir faire plus que simplement cultiver leur compétence encyclopédique, ils peuvent (pour reprendre Fiske et Jenkins) participer, c’est-à-dire apporter leur pierre au contenu de leur culture. Cette participation peut revêtir différentes formes, l’écriture de fan-fictions, de scénarios de jeux de rôles, le fait de faire ses propres films, etc.

    La forme la plus distinctive de participation est de créer véritablement son matériau (ne serait-ce que par le détournement de matériaux existants), c’est l’élément fondamental de ce que Fiske nomme « l’économie culturelle du fandom » (Fiske, 1992). Faire sa propre version de son film préféré grâce à la caméra DV familiale ou à son téléphone portable, écrire son propre scénario ou sa propre nouvelle se déroulant dans l’univers de son œuvre favorite, voilà la participation ultime, et comme le dit Jenkins « The geeks don’t just read comics, but make their own drawing as well, the geeks are not just playing game but they make (or wish to) the game content too »  (Jenkins, 2005). La participation c’est finalement passer d’un public passif à «an active audience»  (Jenkins, 2002 : 365).

    Selon le sociologue américain, l’un des changements principaux de ces dernières années est justement cette possibilité de plus en plus grande de s’exprimer, de diffuser ses créations, grâce aux innovations technologiques, à la convergence numérique et à internet. Et le geek étant à la fois l’archétype du fan dans le domaine culturel mais aussi de l’expert technique et technologique apparaît comme le créateur idéal maîtrisant fond et forme.

    Je vais donc analyser ici les formes de participations dans la culture geek au travers des créations des fans, mais aussi et surtout de leurs discours rencontrés dans un corpus de plusieurs centaines de forums ou blogs (ce qui est une forme de participation) à propos de celles-ci. Y’a-t-il une spécificité geek? Quel est le rôle de la création personnelle dans la perpétuelle construction de cette culture (dont la cohésion est fragile du fait de sa multiplicité) par les fans ? La spécificité geek est-elle dans la forme ou dans la démarche de création ? Quels rapports la participation geek entretient-elle avec l’industrie culturelle et les auteurs reconnus ? Voici quelques-unes des qui seront questions abordées ici au travers de la forme, du fond de la participation et des discours qui s’y rapportent.

    Pluralité des manifestations formelles de la participation
    La forme de participation la plus visible, la plus importante quantitativement, la plus immédiate, est simplement celle de la production de discours, via blogs, forums, et divers sites participatifs, dans lesquels les internautes échangent avis, information et évidemment définissent le stéréotype et la culture geek. Il semble bien, en effet, que conformément à l’aspect technique de sa définition, il y ait dans cette culture un goût pour les nouvelles manières de communiquer comme le note cet internaute: «le geek aime passer des heures sur internet à discuter de sujets fondamentaux comme les incohérence dans l’architecture de l’étoile noire  ou de la vitesse à laquelle son perso à WoW va atteindre le niveau 60 ».

    Ces discours sont donc un moyen de construire l’image de cette culture que ceux qui s’y identifient souhaitent renvoyer, mais aussi une actualisation en situation de leur importance comme forme de participation, de non-passivité, dans une forme de mise en abyme de la définition. Cette forme de participation mérite à elle seule des études entières et n’est donc pas spécifique au geek, mais finalement tous les discours que je citerai ici étant extraits de telles discussions, je n’insisterai pas directement dessus.

    Rapidement, on peut voir que la création dans la culture geek est très liée à celle des auteurs d’œuvres cultes pour la communauté. Leur travail peut être finalement vu comme le sommet de la participation, sa forme la plus distinctive. C’est ce que semble aussi indiquer une image qui circule abondamment dans les sites et forums, celle de la «hiérarchie geek» . Cet organigramme humoristique de la communauté va des individus qui écrivent des versions érotiques de Star Trek, jusqu’aux auteurs reconnus. Eux, représentent donc ce à quoi devrait aspirer n’importe quel geek digne de ce nom. En instituant les auteurs publiés, ceux qui ont réussi à percer hors de la communauté comme la forme la plus légitime de participation, cette hiérarchie en induit d’autres, celles des amateurs.

    L’exemple type de participation des fans à leur culture depuis de nombreuses années est celui des fan-fictions, pourtant, s’ils sont présents, ces écrits ne sont pas la forme de création la plus mise en avant dans les descriptions de la culture geek.

    Il existe plusieurs autres pratiques présentées par les internautes se revendiquant de cette culture comme de véritables participations actives geek.
     On peut citer tout d’abord le fait de faire des vidéos en se filmant, ou en mettant en scène des figurines, et il suffit de taper le terme geek sur un site de vidéo pour le constater. Les possibilités de plus en plus grandes pour chacun de pouvoir filmer et les facilités de partages offertes par internet en font un des piliers de la participation. Il y’a aussi les sketchs audio, des enregistrements amateurs diffusés en MP3 moins coûteux en matériel et permettant plus de liberté. Mais la pratique la plus novatrice, et la plus méconnue est celle des machinimas, contraction de machine et d’animation.

    J’ai choisi de développer avant tout ce type dans cette partie consacrée aux caractéristiques formelles de la participation. Non pas que les autres n’aient aucune importance, bien au contraire, mais elles ne sont pas l’apanage de la culture geek et celle-ci semble l’être véritablement. Dans la suite consacrée au fond, aux discours véhiculés par ces créations, j’inclurai plus longuement les autres formes, mais pour l’instant je me concentrerai sur celle-ci.

    Cette pratique considérée comme «l’art des geeks», consiste à utiliser la liberté de déplacement et d’action laissée par certains jeux vidéo pour créer sa propre histoire à l’aide du montage et de l’ajout de sons. Cette pratique est née au milieu des années 1990, lorsque les éditeurs du jeu Doom, un jeu de tir de science-fiction ont fourni un outil pour pouvoir enregistrer ses exploits et pouvoir les revoir. Dès lors certains joueurs ont commencé à détourner cette fonction de son usage premier, et à utiliser des logiciels de montage et du matériel de doublage sonore, pour faire de véritables films d’animation. On voit là le retour de l’importance de l’aspect technique et pas seulement culturel du geek.

    Aujourd’hui, il existe des programmes pour capturer les images défilant à l’écran, il n’est donc plus nécessaire que le jeu intègre cette fonction, pour le détourner. On peut voir sur internet un nombre incommensurable de ces films d’animations d’amateurs que chacun peut envoyer sur les sites de partage de vidéos. 

    C’est une manière tout à fait nouvelle d’être actif et de jouer avec les codes du support. En effet, les jeux vidéo n’ont en aucune façon été créés dans le but de permettre ce type de détournement de leur usage. Et justement cet aspect non prévu par l’industrie plait aux internautes geeks, qui se délectent du fait que les machinimas soient « un truc totalement inattendu, que les grosses boites n’ont pas vu venir», et « une preuve de la créativité geek qui ressort toujours là ou on l’attend pas ». Mais il faut relativiser ces remarques puisque rapidement le phénomène a été utilisé et exploité. Par exemple, les producteurs du film 300 ont lancé pour sa sortie un concours de machinimas calquées sur la bande annonce du film. Et en novembre 2005, l’éditeur Activision a sorti le jeu The Movies. Avec lui, la fin de l’effet de détournement est annoncée puisque le fait de faire son propre film est le concept même du jeu. Pourtant, alors que les machinimas connaissent une expansion toujours plus importante le jeu est un échec. Pour les internautes geeks, il est intéressant de voir que c’est le signe que «ce phénomène spontané ne sera pas récupéré».

    Il y a donc toute une idéologie de la résistance aux industries qui transparaît dans la place qui est donnée à cette pratique dans la culture geek. Ce qui est particulièrement intéressant est le fait que cette résistance soit exercée justement avec des outils fabriqués par ceux par lesquels ils ne veulent pas être récupérés. Cela dénote une forme de distanciation entre le produit, qui lui n’est pas remis en cause puisqu’il est l’un des moyens d’expression final, et ce que ses producteurs voudraient que le public en fasse. Les geeks souhaitent que cette pratique reste marginale et non conforme à l’utilisation première du produit, et lorsqu’on leur donne l’occasion de le faire dans un cadre préparé à cet effet comme le jeu qui facilite cette expression, cela ne prend pas. C’est le cadre non officiel, le détournement inventif qui fait le plaisir, mais aussi le fait que cela ne soit pas accessible à tous.

    En effet, par le biais de The Movies il est beaucoup plus aisé de faire un film d’animation, et justement : « c’est trop facile, on peut faire son film en deux minutes, il est où le plaisir de ramer pour que son perso de WoW fasse le truc qu’on attendait ? ». Avec le cadre formalisé du jeu prévu à cet effet, l’activité est beaucoup moins distinctive, échappe à la communauté, et les happy few créateurs peuvent se voir noyés dans la masse. Envoyer ensuite ses vidéos sur internet permet de se faire connaître et reconnaître du groupe, pour peut-être finir par devenir un auteur reconnu. Un créateur de machinimas à partir du jeu World Of Warcraft interrogé par un journaliste explique ainsi: «Il ne faut pas se cacher que tout cela vient d’une envie de réalisation frustrée. J’envisage peut-être d’en faire quelque chose de plus professionnel (il y a des contacts dans ce sens)» . Du fan qui participe dans le cadre d’une communauté au professionnel, la boucle est ainsi bouclée.

    Contenus et enjeux de la participation, circulation des références et construction d’une culture
    La partie précédente était assez descriptive puisqu’il s’agissait de caractériser quelque peu les formes de la participation mises en avant dans les discours d’internautes se revendiquant de la culture geek. Si j’ai choisi de différencier fond et forme de la participation, c’est que si cette dernière est variée, le premier est toujours du même ordre.

    Que ce soit sous forme écrite, audio, de vidéos, de machinimas ou autre, la création dans la culture geek est donc un élément fondamental qui permet de s’extraire de la réception passive programmée par les industries culturelles. Cependant, l’affranchissement n’est jamais total puisque la création dans la culture geek est basée sur l’utilisation des références transmises par les producteurs.

    Quelle que soit sa forme, on retrouve donc dans la participation tous les éléments de la convergence culturelle avec comme moyen de diffusion internet. Les vidéos, les machinimas, les sketchs audio, s’inscrivent toujours dans une d’intertextualité transmédiatique forte. Celle-ci est de deux ordres distincts qui s’entrecroisent, la référence au stéréotype du geek ou à la culture geek.

    Le premier type est donc la mise en scène de personnages présentés comme geeks. Cela participe finalement à la construction de l’image de ce personnage autant que certaines définitions écrites ou que la hiérarchie geek. En voyant, dans une vidéo un personnage, souvent timide et introverti jouer à un jeu de rôles puis à un jeu vidéo, s’affichant comme fan de cinéma et de série télévisées de genre, et lisant le Seigneur des Anneaux, chacun peut commenter ensuite son visionnage en s’en détachant plus ou moins. Ces mises en scènes du stéréotype très appuyées, très parodiques, sont courantes et souvent lancées et relayées par des individus s’affirmant comme geek. Ainsi certains vont affirmer «ah je me reconnais trop, un vrai geek comme moi», et d’autres «c’est quand même un peu exagéré». On retrouve donc là ce que j’ai mentionné plus haut à propos de la fonction de la définition du stéréotype, c’est-à-dire une mise à distance de son propre degré de passion par un extrême impossible mais en même temps créant du lien dans une forme de performativité de la référence.

    Même si c’est le plus souvent le cas, parfois cela n’est pas fait avec distance, ni humour. On peut ainsi voir sur les grands sites de partages, un grand nombre de vidéos dont le titre est quasiment toujours le même, «êtes vous un plus grand geek/nerd que moi ?». Cette série de vidéos apparaît comme un combat par caméscopes numériques interposés. Chacune consiste en une exploration de la chambre de celui qui tient la caméra.  Alors, lentement on passe en revue les DVD, les posters, les produits dérivés divers, les jeux vidéo, etc.

    Nous avons là affaire à de véritables démonstrations de force consommatrices qui tranchent quelque peu avec la distance qu’essaient de mettre le plus souvent les internautes avec les industries culturelles, ce qui prouve une fois encore la complexité de cette culture. Cela participe bien entendu aussi à la construction des frontières et des passages obligés pour être considéré comme geek, mais cette mise en avant soulignée par la question posée, apparaît comme une tentative affichée de distinction. La multiplication de ce type de vidéos, toujours plus outrancières dans le foisonnement, apparaît comme une montée en puissance et un défi perpétuellement renouvelé pour être le plus geek de tous.

    Pour être le plus grand geek, ils n’hésitent donc pas à faire étalage de leurs dépenses. La passion se mesure donc implicitement à l’aune de la consommation, à l’argent dépensé, à l’outrance. La participation active, qui consiste à filmer est au final au service de la réception et de la socialisation virtuelle distinctive. Mais ce type de vidéo n’est pas mentionné dans les discours rencontrés, cette pratique n’est donc pas assumée et est mise de coté dans le portrait fait de la participation dans la culture geek. Ceci pour des raisons évidentes de volonté de s’éloigner des aspects péjoratifs du stéréotype.

    Passons à présent à la participation mettant en scène la culture et non pas forcément les pratiques. Toutefois, comme mentionné, les deux sont parfois mêlés. L’exemple type parmi de nombreux autres est celui d’une vidéo postée sur un site de partage par un groupe d’amis amateurs de jeu de rôles et s’affirmant comme geeks. Celle-ci intitulée «Tom et ses chums», raconte une de leur partie  de Donjon et Dragons dans un montage d’environ dix minutes. La particularité de ce film court est qu’il est construit comme une référence, comme un hommage au film Star Wars, œuvre de référence de la culture geek.

    Le titre apparaît comme celui du film de Georges Lucas, sur un arrière plan spatial et s’éloigne de la même manière (et avec la même typographie) avec en fond la célèbre musique de John Williams. Le résumé posant la situation de départ est lui aussi en bleu sur fond noir, toujours sur la même musique. A la fin de ce générique, au lieu de voir apparaître un vaisseau spatial comme c’est le cas dans chaque épisode des deux trilogies, nous voyons la planète terre. Cette vidéo est donc double, une situation réaliste, mais aussi une mise en scène référentielle qui ancre la simple partie de jeu de rôles dans un autre média, un film de cinéma. Une telle association peut sembler étrange si l’on ne connaît pas la culture geek.

    Le film de Georges Lucas est un « space opera » et le jeu présenté se déroule dans un univers moyenâgeux. Ce qui les rassemble, c’est un certain souffle épique, une approche ludique de narration. Mais avec la culture geek les liens se font plus profonds puisque les deux éléments sont directement réunis par les amateurs qui là encore construisent la culture par leurs références.

    On constate ce phénomène dans toutes les formes de participation, elle ne sont pas purement créatrices mais sont avant tout référentielles, parodiques, ancrées dans la culture transmédiatique de genre. Les machinimas citées précédemment utilisent le plus souvent les jeux de rôle en version vidéoludique, qui sont eux-mêmes très liés aux univers de la fantasy inspirée par le Seigneur Des Anneaux. Cela les pousse logiquement à jouer sur les références portant sur ce genre. Parfois même en allant au bout de la logique, certaines refont simplement la trame du livre de J.R.R Tolkien, ou du film de Peter Jackson, réutilisant les dialogues et la musique de ce dernier. Mais l’intertextualité est souvent plus diverse, variée. C’est le cas particulièrement des nombreuses vidéos, ou machinimas réalisés « à la manière de ». On voit ainsi fleurir, les Star Wars à la manière de Quentin Tarantino , ou encore les Seigneur Des Anneaux à la manière de Georges Lucas.

    On peut aussi citer un exemple célèbre, que l’on retrouve souvent dans les descriptions de la culture geek : Donjon de Naheulbeuk. Ceci est le nom d’une «une saga sonore médiévale fantastique diffusée en MP3» . Cette série quasi-professionnelle extrêmement parodique et humoristique rencontre un énorme succès sur internet. Elle aussi joue le rôle de catalyseur d’intertextualité qui plait énormément aux fans : «c’est trop bon y’a tellement de références même un bon gros geek comme moi n’a pas tout eu !». Pour en donner un léger aperçu, on y trouve des allusions au Disque-Monde, une série de romans de fantasy parodique de l’écrivain anglais Terry Pratchett, à Harry Potter, Conan, aux jeux de rôle en général, à certains mangas, à de nombreux jeux vidéo, etc. Notons que les auteurs de cette série sonore, en produisent une autre, nommée Survivaure qui parodie les univers de science-fiction et particulièrement Star Trek, nous avons donc fait un tour rapide de la culture geek telle qu’elle se présente dans ses définitions avec une seule œuvre d’amateurs. Et la convergence, le glissement d’un support à l’autre peut se faire à l’intérieur des créations de fans, puisque certaines machinimas parmi les plus échangées utilisent les dialogues de Donjon de Naheulbeuk.

    C’est ainsi que fonctionne la participation liée à la culture geek : des créations personnelles dont les auteurs sont reconnus par ce milieu et totalement ancrées dans la culture de genre, parodiques et intertextuelles. Elles permettent d’être actif, de renforcer l’image créative que veut se donner cette communauté qui selon cet internaute « a toujours trouvé un équilibre entre consommation et création ». La nuance qu’il faut apporter à cette citation est que cette création implique une consommation antérieure, une connaissance encyclopédique des références clés, la participation apparaît donc comme centrale car elle permet d’actualiser ces connaissances.

    Il faut encore revenir sur un élément important pour parfaire ce portrait de la participation dans la culture geek. Il s’agit d’un élément transversal sans quoi la diffusion et la circulation, qui permettent la construction de l’image de cette culture seraient impossibles, internet. Les fans ont depuis quelques années des outils numériques qui permettent une facilité accrue de création et internet qui permet une grande visibilité. Il est clair que l’explosion de ces moyens a permis une accession plus massive à la participation et à la réception de celle-ci. Il faut donc mettre en avant la force de réseau et son rôle de médium fondamental, d’amplificateur des phénomènes. On peut même penser que la facilité de diffusion et d’accession à certaines créations d’amateur cache l’absence de participation d’une majorité.

    En effet, on le sait de manière générale la création de contenu (surtout dans ses formes les plus engageantes, les plus distinctives) est encore dans les mains de peu d’internautes. Cela encore une fois, n’empêche pas la place centrale de la participation dans l’image, dans le stéréotype du geek. Peu font des vidéos mais beaucoup en parlent (ce qui explique la place laissée ici aux discours) ce qui est aussi une forme de participation, amenée par une autre. Créer est donc très important dans la construction de l’image de cette culture. Le geek idéal est un individu qui participe, et l’on retrouve constamment ce type d’affirmations dans les discussions concernant la définition du terme : «le geek n’est pas une personne passive, il vaut agir sur sa culture ». Que tous le fassent véritablement ou non n’a que peu d’importance, l’important est finalement le rôle de la participation dans la construction du mouvement culturel.

    Dépasser le clivage production/reception ?
    Je voudrais en guise de conclusion insister sur le rôle de l’interaction réelle ou imaginée entre fans et auteurs dans cette culture et dans la création.

    Pour reprendre la fameuse métaphore de Howard Becker dans Les mondes de l’art, le public s’inscrit dans cette culture contemporaine comme l’un des noms au générique de la production artistique. Les fans, par le biais principal d’internet acquièrent une influence grandissante sur les univers culturels. Les jeux vidéo et jeux de rôle sont testés par des fans et modifiés selon leurs remarques, les scénaristes et producteurs de films consultent les forums pour voir les réactions des membres à toute nouvelle idée, pour citer Jenkins : « there no longer producers and consumers there is only participants » (Jenkins, 2006 : 186).

    Le public par ses actes de participation prend ainsi une place de plus en plus importante dans le processus artistique, cela nous révèle qu’il faut «briser le mythe d’une séparation contemporaine entre producteurs et consommateurs» (Maigret, 2005 : 37). Les fans sont, dans ce cadre, des acteurs polyvalents du monde de l’art. Ils deviennent parfois critiques, parfois consommateurs, parfois créateurs, parfois relais et médiateurs avec le grand public pour des œuvres émergentes, ils occupent successivement toutes les places dans la chaîne de production.

    Ceci va même plus loin, puisque selon Henry Jenkins, avec des producteurs qui eux aussi deviennent des fans convergents, multimédiatiques, le champ de la réception et celui de la production ne se trouvent n’en faire plus qu’un qui réunit comme le note Camille Bacon-Smith « creators and audience which those role are frequently interchanged »  (Bacon-Smith, 2000 : 35). En effet de nombreux auteurs s’affirment aujourd’hui comme geeks, comme fans avant même d’être des auteurs et ne se présentent que comme de simples fans comme les autres qui auraient réussi et ce sont justement eux qui sont de plus en plus pris en référence  par les créations des fans . On peut ainsi citer Kevin Smith, Quentin Tarantino, Joss Whedon, créateur de la Série Buffy, contre les vampires, Peter Jackson réalisateur du récent Seigneur des Anneaux ou encore Zach Snyder de 300. En s’affirmant simple membres du fandom qui par leur volonté de création sont devenus auteurs ils encouragent et légitiment toutes le formes de créations d’amateurs. Ce n’est donc pas un hasard si à l’occasion de la sortie du film 300 un concours de machinimas reprenant la bande annonce du film a été lancé et c’est peut-être ce rapport entre fans et auteurs dans la participation à la vie de la communauté qui fait la spécificité de cette culture geek qui se construit perpétuellement sous nos yeux.

    Communication Colloque Scientifique Ludovia 2008 (Extraits)
    David PEYRON
    Laboratoire ELICO (EA 4147)
    Université Lyon III Jean MOULIN
    71 (Sciences de l’information et de la communication)