e-books

Numérique ou non, le livre ne doit pas être un produit d’appel

Jusqu’à la sortie de l’iPad en 2010, le monde de l’édition américaine fonctionnait sur un modèle unique : l’éditeur vendait ses titres à un prix de gros, laissant au libraire détaillant le soin de fixer le prix de son choix.
Afin d’attirer des clients dans son écosystème, Amazon vendait systématiquement à perte les titres les plus recherchés. Ainsi, une nouveauté dont l’édition papier se vendait 28$, était vendue à 9.99$, Amazon perdant sciemment plus de 10$ par titre vendu.

Dans le monde papier, ces prix fracassés ont permis à Amazon d’anéantir ses concurrents de façon systématique. Aujourd’hui, depuis la fermeture de Borders en 2011, il ne reste plus qu’une seule chaîne indépendante spécialisée dans la vente de livres aux USA ; Barnes & Noble. Précisons que sa situation financière est catastrophique.

Le livre numérique permet à Amazon de mettre en place une stratégie encore plus agressive. En vendant de nombreux livres dans un format propriétaire, bloqué pour ne fonctionner que dans son écosystème, il rend l’acheteur totalement captif.

Cette combinaison du bâton (captivité) et de la carotte (vente à perte) assure à terme une situation de monopole dans laquelle Amazon pourrait alors dicter toutes les règles du jeu.

Inquiets face à cette situation, les éditeurs américains ont profité de l’arrivée d’Apple sur le marché pour changer les règles du jeu, basculant sur un modèle où un même prix s’appliquerait à l’ensemble des revendeurs, permettant de conserver une diversité de canaux de distribution et donc davantage de compétitivité dans ce marché.

Une récente décision du Department of Justice (DoJ) remet cependant ce modèle en cause. Accusant les éditeurs d’entente illicite sur les prix, le DoJ s’apprête à imposer la fin de ce modèle auprès de cinq des plus grands éditeurs américains, créant ainsi toutes les conditions pour que Amazon reprenne son rôle de prédateur dominant. Cette décision défiant le bon sens est le signe avant-coureur d’une tendance lourde que l’édition va devoir combattre : pour ces acteurs, le livre n’est qu’un produit d’appel. Pour Apple ce n’est qu’un moyen de vendre des tablettes, pour Google nos lectures sont un moyen comme un autre d’en savoir toujours plus sur nous et nos comportements de consommateur afin de nous inonder de publicités ciblées. Ces préoccupations sont bien éloignées des attentes des lecteurs comme des éditeurs, et si les autorités laissent le marché entièrement entre leurs mains, tout le monde sera rapidement perdant.

Fixer le prix du livre numérique n’est pas suffisant en soit, mais c’est une condition préalable à un véritable marché. Un prix unique sur le livre numérique pourrait être perçu comme une opportunité par les éditeurs de ralentir l’adoption de la lecture numérique. Au lieu de cela, il doit absolument devenir un outil leur permettant de mieux comprendre le marché, que ce soit via des politiques de prix ciblés dynamisant leurs ventes, ou en lançant de nouvelles collections adaptées aux attentes des lecteurs numériques.

Quant aux libraires, dans un monde où les catalogues n’ont plus de limites, leur rôle sera plus que jamais nécessaire pour guider le lecteur dans ses choix. Mais être libraire numérique, c’est aussi repenser la médiation et la manière dont le lecteur navigue dans un catalogue, et c’est seulement en mettant son expérience au service de nouvelles expériences que la librairie trouvera sa place. Plutôt que d’un portail de la librairie, c’est de standards, et d’outils  leur permettant de se différencier dont les indépendants ont besoin.

Créons ensemble les conditions favorisant la diversité des acteurs et des expériences, le livre mérite mieux que d’être un simple produit d’appel.

Auteur : Hadrien Gardeur, Co-Fondateur de Feedbooks

Click to comment

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

To Top