Étiquette : web 2.0

  • Favoriser la compétence orale et l’échange interculturel grâce aux tablettes et aux outils numériques en cours de FLE

    Favoriser la compétence orale et l’échange interculturel grâce aux tablettes et aux outils numériques en cours de FLE

    L’université d’été Ludovia aura lieu du 23 au 26 août 2016 dans l’Ariège. Lors de cet événement des ateliers Explorcamps et Fabcamps seront proposés. Stephanie Woessner présente « Favoriser la compétence orale et l’échange interculturel grâce aux tablettes et aux outils numériques en cours de FLE ».

    Problématique pédagogique

    Les programmes des langues vivantes nous demandent de favoriser la communication en cours afin de donner à nos élèves la compétence d’agir dans une autre langue et dans un autre environnement culturel que le leur. Etant donné que les classes sont souvent nombreuses, ce qui limite le temps de parole de chaque élève en théorie à un maximum de 1 – 2 minutes, il faut tout d’abord trouver un moyen de les faire parler en même temps pour qu’ils puissent s’entrainer dans un cadre scolaire. C’est grâce aux tablettes et à diverses applications mobiles ainsi qu’à des pratiques adaptées que cela devient possible. Ensuite, il s’agit de leur faire découvrir une autre culture au travers de projets d’échange numérique. Cela se fait au mieux dans le cadre d’un échange avec mobilité, mais on peut également se servir de plateformes sociales comme Edmodo ou rester dans un cadre totalement virtuel.

    Apport du numérique ou présentation de la techno utilisée

    En cours, je me sers de 5 tablettes Samsung Note de 8 pouces. Ce sont des tablettes Android dotés de stylets qui permettent avant tout aux élèves d’écrire à la main et de faire donc des exercices sur les tablettes. Grâce au Samsung AllShareCast Dongle, on peut facilement afficher l’écran des tablettes via un projecteur.

    En second lieu, il y a plusieurs applications de dictionnaire uni- et bilangue (PONS, LEO, Robert Collège) et de conjugaison (Le Conjugueur) sur les tablettes pour que les élèves puissent trouver des mots et vérifier une orthographe ou une conjugaison.

    Et outre, il y a des applications qui permettent aux élèves de s’entraîner à l’oral tout en approfondissant des phénomènes grammaticaux ou des méthodes apprises en cours. Il s’agit d’un côté d’applications d’avatars (BuddyPoke, Tellagami) et de l’autre d’applications multimédia (p.ex. Glogster, Padlet).

    Enfin, on peut aussi se servir du microphone et de la caméra intégrés aux appareils numériques pour faire découvrir un pays. Ou bien, si un voyage est impossible on peut communiquer grâce à des applications comme Edmodo avec des élèves à l’autre bout du monde.

    Relation avec le thème de l’édition

    A l’ère du numérique où chaque ou presque chaque enfant au collège possède un Smartphone et est constamment exposé à des contenus multimédias, il est difficile de faire cours « à l’ancienne » car cela est bien moins intéressant du point de vue de l’élève que de se plonger dans un univers numérique sous leurs tables. Pour les encourager à s’appliquer, il faut donc avoir recours aux technologies qu’ils consomment tous les jours du matin au soir sans savoir a priori s’en servir à des fins pédagogiques.

    Synthèse et apport du retour d’usage en classe

    Dans mes cours, les élèves se servent tous les jours de tablettes et apprennent à utiliser cette technologie à des fins pédagogiques. Ils peuvent ensuite transférer ces compétences sur leurs propres tablettes et smartphones.

    Tout d’abord, en cours, mes élèves travaillent par groupes de trois à cinq élèves et font leurs exercices ensemble. Ensuite, chaque groupe est chargé de la présentation d’un ou de plusieurs exercices, prenant ainsi la place de l’enseignant qui est là pour aider et pour observer la classe afin de juger qui de ses élèves a besoin de soutien personnalisé. Les élèves s’entraînent donc à tour de rôle à communiquer en langue étrangère avec leurs camarades de classes dans un contexte scolaire.

    Ensuite, pour s’entraîner à la communication orale tout en approfondissant leurs connaissances linguistiques et méthodiques, ils peuvent se servir d’applications d’avatars pour enregistrer soit des monologues (p.ex. comment décrire une personne ou une photo avec Tellagami), soit des dialogues (p.ex. faire les courses au marché en se servant de l’article partitif avec BuddyPoke), ou encore pour présenter un certain sujet avec une affiche multimédia (p.ex. le carnaval en Allemagne avec Glogster) ou pour faire une BD basée sur un texte plus long qu’ils ont lu (p.ex. avec ComicStripIt – au choix à compléter avec une version parlante avec Glogster).

    Enfin, pour ouvrir la salle de classe à l’extérieur, il y a plusieurs façons d’utiliser des outils numériques ou des tablettes (ou les deux) pour rendre possible des projets d’échange, soit tout à fait virtuels et dans le cadre d’une simulation globale (www.unautremon.de), soit pour accompagner un échange avec mobilité (www.aventurefrancoalleman.de), soit pour échanger via une plateforme numérique comme Edmodo avec des élèves d’un autre pays (p.ex. avec un classe de locuteurs natifs en France ou des apprenants de FLE au Canada).

    Plus d’infos sur les ateliers EXPLORCAMPs Ludovia#13
    http://ludovia.org/2016/ateliers-sur-explorcamps-ludovia13/

    A propos de l’auteur 

  • Individu et identité sur les réseaux sociaux numériques : vers une forme d’engagement désengagé ?

    Individu et identité sur les réseaux sociaux numériques : vers une forme d’engagement désengagé ?

    L’université d’été Ludovia aura lieu du 23 au 26 août 2016 dans l’Ariège. Au sein de cet événement le colloque scientifique vous propose une trentaine de communications que vous pouvez découvrir sur Ludomag. Sébastien Moutte vous présente « Individu et identité sur les réseaux sociaux numériques : vers une forme d’engagement désengagé ?« .

    Alors que nous traversons une ère numérique marquée par une logique identitaire « d’individualisme de masse » (Wolton, 2003), une forme paradoxale du lien social s’installe dans nos interactions quotidiennes. Ce paradoxe, mis en avant par l’omniprésence au sein de nos sociétés démocratiques de l’Internet social – communément appelé Web 2.0 –, redéfinit considérablement les formes d’attention, de présence et d’engagement liées à nos usages du numérique et à notre représentation de soi sur Internet.

    Cette proposition de communication a pour objectif de mettre en perspective la notion d’engagement au profit d’une ou de plusieurs causes idéologiques au sein des réseaux sociaux numériques (RSN). Cette notion se fonde sur l’usage individualiste d’un outil pourtant par essence communautaire : le Web 2.0. La dynamique identitaire qu’imposent les RSN à l’échelle individuelle mène au développement d’une forme « d’égo 2.0 » (Bryon-Portet, Lardellier, 2010) redéfinissant par la mise en vitrine de soi le rapport qu’entretien l’usager avec son entourage digital. En découle une forme de présence, voire d’omniprésence, constitutive de l’identité de l’individu connecté, basée sur l’idée selon laquelle sur-exister sur les RSN est finalement le seul moyen d’exister tout simplement aux yeux de la communauté.

    Ce fondement de l’être sur le Web social mène à la publication quotidienne d’un statut destiné à attirer l’attention d’autrui et pose la question de la représentation de soi sur les RSN. Développer sa propre image au sein du Web 2.0 par l’acceptation d’un système qui offre l’opportunité de « voir le monde tel que les autres le perçoivent »[1] est ainsi un acte de légitimation de sa propre présence dans un espace où l’existence passe nécessairement par le partage et la transparence.

    De cette présence de l’individu dépendante de l’attention suscitée auprès d’autrui découle une forme d’engagement nouvelle propre aux logiques d’interactions sociales et d’usages telles qu’induites par les RSN. Nous constatons sur Facebook et Twitter une forte mobilisation au profit de nombreuses causes à différentes échelles. Pourtant, plusieurs auteurs mobilisés ces dernières années autour de ces questions ainsi qu’une enquête de terrain en cours nous montre que peu d’utilisateurs des RSN revendiquent un engagement.

    En effet, alors que peu d’usagers affirment s’engager, on constate une autre forme d’engagement bien réelle, mais non revendiquée : cet engagement n’existe que dans la continuité des notions de présence et d’attention propres aux RSN et permet à l’individu connecté, engagé et actif mais sans revendication d’engagement, d’obtenir le statut d’engagé aux yeux d’autrui afin de rester présent et d’attirer l’attention.

    Cette logique individualiste de l’usage des RSN mène à la notion de « slacktivism » développée par Evgeny Morozov (Morozov, 2010) – ou « activisme négligé » – et entraîne une implication de soi « de basse intensité » (Daudens, 2014), « à bas risque » (Gladwell, 2010), répondant aux critères d’un « engagement réversible » (Berry, Deshayes, 2010). Ce phénomène se fonde sur une dynamique quantitative propre aux RSN, une forme d’activisme du chiffre donnant à l’individu connecté le sentiment que « le bien que nous faisons est proportionnel au nombre de clics que nous effectuons » (Hesse, 2009).

    Cette proposition de communication entend donc mettre en perspective les formes de présence et d’attention de l’individu sur les RSN par cette forme dérivée d’engagement « fournissant au processus identitaire un cadre en apparence très favorable au développement d’un soi valorisant » (Georges, 2009).

    [1] : C’est ainsi que se présente le site Facebook en introduction de ses Conditions d’Utilisation. Disponible sur https://www.facebook.com/communitystandards. (consulté le 24/01/16).

    Voir la bio de Sébastien Moutte

    Plus d’infos sur le programme du colloque scientifique sur
    http://ludovia.org/2016/le-colloque-scientifique-de-ludovia/

  • Le web 2.0 est-il un établi pédagogique ?

    Le web 2.0 est-il un établi pédagogique ?

    J’ai souvent évoqué dans mon blog la notion de bricolage pédagogique en citant Claude Levi Strauss dans la pensée sauvage – Agora (1962). Le livre de Robert Linhart « L’établi » – Éditions de minuit (1978), donne  aussi un éclairage  intéressant sur cette notion.

    Robert Linhart très engagé dans le mouvement de 68 a décidé d’aller travailler dans les usines Citroën sur les chaines de montages des 2CV (il s’établit). Dans un passage, il décrit un ouvrier, Demarcy. Il a organisé son poste de travail (son établi). Il est constitué de bric et de broc, il sert à  « décabosser » les ailes de voitures abimées. Demarcy a su, avec le temps, construire un outil qui réponde à ses besoins, un outil construit au fil du temps, ne répondant pas à des critères scientifiques, mais efficace.

    La suite du passage, cité ci-dessous, est consacré à la visite des techniciens de l’OST (organisation scientifique du travail) qui mettent de côté l’établi. L’auteur décrit ensuite la détresse de Demarcy qui ne se reconnaît plus dans ce système centralisé et organisé rationnellement.

    Une belle métaphore pour comprendre les enjeux de l’introduction du numérique dans les processus d’apprentissage, les rapports entre le PLE et les ENT.

    L’introduction des outils du web 2.0 qui ne sont pas spécialement conçus pour la pédagogie mais qui, bricolés par les enseignants le deviennent.

    Il me semble que le web 2.0 est une sorte d’établi numérique, les enseignants inventent sans cesse « des méthodes inédites » que dira l’OST pédagogique ?

    C’est un excellent passage pour expliquer les enjeux du bricolage :

    Le blog de Jean-Paul Moiraud, c’est ici
  • Web 2.0 et enseignement : apprentissage de la langue française et écriture interactive comme exemple

    Web 2.0 et enseignement : apprentissage de la langue française et écriture interactive comme exemple

    L’utilisation du web en classe de français permet un apprentissage centré sur l’apprenant et une nouvelle attitude pédagogique de l’enseignant.

    A partir d’exemples ou de scénarios pédagogiques , nous expliquerons les concepts qui fondent notre théorisation pédagogique et les difficultés inhérentes à l’installation de ce genre de pratique pédagogique éminemment interactive.

    Les soubassements théoriques de notre intervention sont : le cadre européen de référence des langue, l’approche actionnelle, le scénario pédagogique, la standardisation pédagogique, l’écriture interactive.

    Retrouvez toutes les vidéos et communications en ligne sur notre page « plateau TV » ici
    Retrouvez toutes les communications écrites et les photos d’Educatank Forum 2014 ici

  • Le web 2.0 pour aider les étudiants à comprendre les enjeux de leur formation

    Le web 2.0 pour aider les étudiants à comprendre les enjeux de leur formation

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    Le marché professionnel de l’ostéopathie est en danger : en 2012, plus de 3 000 étudiants vont devoir faire leur preuve au côté des 7 000 ostéopathes déjà actifs, soit une augmentation de 43% de professionnels ! Les raisons de ce constat, un trop plein d’écoles en ostéopathie (70% des écoles au niveau mondial sont en France) qui promettent des salaires faramineux à des étudiants souvent trop peu ou mal informés.

    C’est pourquoi l’UFOF a souhaité conquérir le web 2.0 pour sensibiliser les étudiants aux enjeux de leur profession, leur fournir une nouvelle source d’information sur l’ostéopathie et rassembler la communauté d’«Étudiants en Ostéopathie».

    « Étudiants en Ostéopathie » est une plateforme reposant sur les médias sociaux :

    – Avec pour élément central le blog communautaire Étudiants en Ostéopathie ; outre des informations rédigées par l’équipe du blog, les étudiants et professionnels ostéopathes pourront eux-mêmes proposer leurs articles et créer leur propre blog,
    -Soutenu par une présence sur les principaux réseaux sociaux – page Facebook, compte Twitter et chaîne YouTube.

    Par ce dispositif web, l’UFOF souhaite fournir aux étudiants tous les outils nécessaires à l’animation et au développement de leur communauté.

    Pour accompagner le lancement de ce dispositif web, l’UFOF a souhaité valoriser son message au travers d’une série-animée sous forme de bande-annonce, visible sur les plateformes d’hébergement vidéo. L’histoire : trois amis qui, suite à une rencontre mystérieuse (avec A.T Still, fondateur de l’ostéopathie en guest star), voient leurs mains dotées de pouvoir et s’en vont combattre l’injustice.

    Une métaphore de l’étudiant en ostéopathie qui apprend à guérir seulement par le toucher pour intégrer un jour la ligue des «professionnels ostéopathes». La comparaison va plus loin, tout comme Batman ou Spiderman qui cherchent à se faire accepter par la société, ces jeunes étudiants vont également devoir se battre pour la reconnaissance et le respect de leur métier.

    Dès lors l’ambition d’Étudiants en Ostéopathie est grande : fédérer une communauté d’étudiants et de professionnels afin de faire entendre encore plus fort leur voix et leurs revendications sur le devenir de leur profession d’ostéopathe.

    Plus d’infos :
    Le blog Étudiants en Ostéopathie : www.osteo-etudiants.fr
    La page Facebook Étudiants en Ostéopathie : www.facebook.com/osteoetudiants
    Le compte Twitter Étudiants en Ostéo : www.twitter.com/osteoetudiants

     

  • Le Web 2.0, pratique pour l’enseignement des langues

    Le Web 2.0, pratique pour l’enseignement des langues

    051020114e8c72c6b3948Et ce, car il ne nécessite pas «trop» de matériel et il est simple d’utilisation pour tout le monde. C’est en tout cas ce que croit Emilie Fournier, professeur d’anglais au lycée Montchapet de Dijon, grande utilisatrice du web 2.0, que nous avons interviewé.

    Ludovia Magazine : comment se concrétise l’utilisation du web 2.0 dans vos classes (1ère, Terminale et BTS) ?
    Emilie Fournier : J’ai créé un blog  qui s’appelle  «a Piece of Cake» car quand on dit que quelque chose est «a piece of cake», c’est que «c’est facile comme bonjour», donc l’anglais c’est facile !

    Bon résumé de cette jeune enseignante qui a souhaité d’entrée de jeu «dédramatiser» l’apprentissage des langues, souvent vu comme quelque chose d’insurmontable par les Français.

    LM : D’où vous est venue l’idée de créer un blog pour faire travailler l’anglais à vos élèves ?
    EF : C’est lors d’un master en didactique des langues vivantes étrangères et TICE  qu’un formateur m’en avait parlé. J’ai aussi eu la chance de travailler en tant que professeur de français dans un établissement  étranger (via le programme Jules Verne qui vise à la mobilité des professeurs en Europe).
    Mon expérience au  lycée Lysander High School, en  Grande Bretagne, m’a aidé à comprendre l’intérêt de cet outil car le lycée avait une plateforme éducative que toute la communauté éducative appréciait. J’utilise le blog depuis 4 ans pour environ 150 élèves mais tout le monde peut y avoir accès sur internet.

    LM : En quoi consiste ce blog ?
    EF : Je dépose sur le blog articles, documents, vidéos par niveau de classe ; j’utilise des documents libres de droit telles que les vidéos sur Youtube et dailymotion qui ne posent pas de problème de copyright. Les élèves peuvent ensuite se perfectionner quand ils le souhaitent (à la maison ou pendant les vacances). Chaque année, je vide les dossiers par classe pour les rendre vierges et je complète au fur et à mesure de l’année mais je laisse à disposition d’autres dossiers pour les révisions.

    LM : Quelles compétences cela développe t-il pour les élèves ?
    EF : la compréhension écrite et orale : lire des articles et écouter des documents audio (conversation téléphonique, enregistrements radio, vidéos) qui sont authentiques. D’autant que ce sont des sources fiables qui ont été vérifiées et approuvées par l’enseignant. Il n’y a pas de perte de temps pour l’élève à chercher des informations sur internet.

    LM : Le blog prévoit il également une forme d’évaluation des compétences ?
    EF : En effet, la mise en ligne d’une ressource s’accompagne d’un travail de vocabulaire, grammaire… sous forme de QCM par exemple. L’élève peut donc vérifier si il a compris le texte ou la vidéo qu’il vient de lire ou d’écouter. Il peut s’auto-évaluer ! Cette partie du blog est encore en construction mais j’espère parvenir à créer de nombreux supports assez vite.

    Une méthode plus dynamique, plus riche pour apprendre les langues… qu’en pensent les élèves ?

    LM : Est ce que vous pouvez en déduire une meilleure motivation de vos élèves à apprendre l’anglais ?
    EF : Les TICE rendent la langue étrangère plus «vivante» à leurs yeux. D’autant que l’activité du blog permet une implication de l’élève.

    Emilie nous explique qu’elle met à disposition des élèves une «webquest» en ligne (recherche sur internet d’informations précises sur un sujet, le tout guidé).

    Avec cette méthode, l’élève est acteur.

    « En classe de BTS notamment, je  traite de moins en moins un sujet sans que les élèves aient eux même cherché de l’information sur ce sujet (comme en situation réelle de la vie quotidienne).
    La démarche est heuristique, c’est eux qui font la découverte du thème abordé pour ensuite creuser dans les détails en cours, de façon quelquefois plus traditionnelle
    « .

    LM : Quels sont les «+» pour un élève de travailler sur un blog ?
    EF : Outre les compétences que nous avons déjà évoqué, Il y a la  possibilité de mettre en ligne des supports différents selon les niveaux des élèves ; par exemple, on peut penser à une «webquest» en pédagogie différenciée, qui aide les plus faibles. Les élèves travaillent à leur rythme et selon leurs facilités alors que dans un cours traditionnel la pédagogie différenciée est plus difficile à mettre en place.

    Un blog bien alimenté et vivant, les clés de la réussite de cet outil. Mais combien de temps faut-il pour y parvenir ?

    LM : La création d’un blog demande quand même un gros travail de préparation en amont pour l’enseignant ?
    EF : C’est en effet assez chronophage de mettre des documents sur le blog mais cela permet de le faire vivre et on peut garder les infos et liens glanés au fil des années ; donc à long terme, on gagne du temps car les ressources pour les élèves sont toutes répertoriées.
    Et c’est tellement pratique d’arriver le matin et cliquer sur notre blog dans nos favoris et d’avoir tous les documents sous le coude !

    LM : Justement, ce temps de «démarrage» risque de provoquer quelques réticences de la part de certains enseignants. Qu’en pensez-vous ?
    EF : il faut savoir s’adapter aux changements car les élèves le font très vite, eux, et nous devons suivre et même anticiper les tendances.
    Le web pédagogique m’a aidé à créer mon blog ;  de plus, il propose un forum pour les profs qui veulent échanger sur les problèmes techniques ou sur leur pratique. Je n’aurais jamais conçu un site moi-même, je n’ai pas les compétences !

    LM : Travailler sur un blog nécessite d’avoir un minimum de matériel, en classe et à la maison. L’équipement n’est pas toujours suffisant dans les établissements et dans les familles. Quel est votre point de vue sur la question.
    EF : J’ai la chance de travailler dans un établissement bien équipé (établissement pilote pour les TICE) donc je peux travailler dans de bonnes conditions.
    Il est vrai que tous les élèves ne possèdent pas le matériel nécessaire mais ils ont la possibilité de l’utiliser au lycée (des ordinateurs sont mis à leur disposition) et par ce biais ils se servent souvent de la plateforme numérique en ligne du lycée qui est indispensable elle aussi.

    En conclusion sur la notion de «partage» qui fait tout l’intérêt du web 2.0, on note des atouts incontestables pour l’apprentissage des langues :

    •    Pour un élève en difficultés : possibilité de revoir un document vidéo étudié en cours si il a besoin de le réentendre plus de fois que ses camarades.
    •    Pour un élève absent : possibilité de regarder en ligne le document étudié en classe.
    •    Pour tous : possibilité de revoir les documents étudiés en cours  avant d’apprendre sa leçon, pour éclaircir un doute ou revoir un détail.
    •    Possibilité de contacter le professeur par le biais du blog, «partie commentaires».
    •    Ou de laisser des commentaires à propos des documents, des questions, ou des suggestions…  le professeur les publie ensuite.

    En bref, c’est un travail d’équipe qui a l’air de bien fonctionner pour Emilie Fournier qui, très modeste, ne parle qu’un «début» quant à l’usage des TICE dans son enseignement. Début très prometteur dirons-nous…

    Plus d’infos :
    Blog d’Emilie Fournier : lewebpedagogique.com/emilie8
    Le web pédagogique : lewebpedagogique.com
    Lycée de Montchapet de Dijon :  lyc21-montchapet.ac-dijon.fr

  • Le web 2.0 apporte-t-il une nouvelle forme de pensée culturelle ?

    Cette pensée à l’œuvre dans le web 2.0, qui peut se définir comme catégorielle et classificatoire ; l’information est en effet manipulée, fabriquée, transformée, indexée, interchangée, accessible à volonté, tend à désacraliser l’information et son auteur en la transformant en simples données, en objet manipulable à souhait. Quel(s) système(s) de valeurs se substituent à celui de la sacralisation de l’information et de son auteur ? Autrement dit, en quoi sa mise à portée de tout un chacun et de tous, tant en production qu’en réception, sans origine auctorielle précise, s’accompagne-t-elle d’un autre mode de croyance, d’une autre manière de faire sens pour l’usager, que ceux accordés à l’information des médias habituels, radios, chaînes de télévision, presse ?

    Le web 2.0 ou « do it yourself » existe-t-il ? 
    Si d’évidence le terme mercatique «web.2.0» inventé par l’américain Tim O’Reilly ne désigne pas une révolution de la communication  sur le Web, il recouvre pourtant, quoique souvent contesté par les chercheurs, une réelle mutation des pratiques de l’information.  Certes, son invention est une histoire mercatique, mais elle correspond aussi à une évolution des technologies informatiques, qui se fonde sur l’interopérabilité des systèmes ; chaque application informatique  devient capable de communiquer et d’échanger des données par le biais d’interfaces de programmation ouvertes appelées Application Programming Interface ou API (Gervais, 2006 : 12 ; 42-43).

    Joël de Rosnay, dans son ouvrage intitulé La révolte du pronétariat, précise que cette évolution technique accompagne une évolution des  usages du web, ce dernier permettant alors aux usagers de :
    – s’approprier l’information, la partager, la diffuser, dans un mouvement collectif où tous les usagers peuvent informer tous les usagers (c’est le principe du many to many et non plus du one to many dont les médias traditionnels faisaient usage quand une marque, une chaîne, … s’adressaient à tous les spectateurs ou à tous les lecteurs ) ;
    – trier, appeler l’information que l’on veut recevoir grâce aux flux rss  et non plus recevoir passivement de l’information non désirée, envoyée indiscrètement dans nos boîtes mail ou boîtes postales par exemple. Ce ne sont plus les annonceurs qui doivent pousser l’information vers les clients (principe du push)  mais ce sont les usagers qui disent ce qu’ils veulent obtenir comme contenu  (pull). (De Rosnay, 2006 : 182).

    De nouvelles pratiques ou expériences de l’information
    Ces nouveaux usages du web sous-tendent une nouvelle pratique ou expérience de l’information. Celle-ci ne se veut plus tant captivante de façon intrinsèque que parce qu’elle est manipulable au sens étymologique du terme : appréhender avec la main. Le contenu ne reste pas une entité abstraite, intouchable, communiquée par une instance médiatrice supérieure mais il devient un ensemble de données mises en forme à l’écran dans des grilles, des icônes, voire  des gadgets ou widgets  que les usagers peuvent déplacer à volonté, accumuler, soustraire, …  Le web devient ainsi une machine à produire et à transformer de l’information ; cette dernière est pour l’usager une matière première à (re)transformer autant dans son contenu que dans sa forme d’affichage et dans ses modalités d’énonciation .

    Chacun autrement dit, peut en faire varier la source, le réseau de diffusion, la teneur intrinsèque, le format, l’interface d’accueil aussi via les agrégateurs de contenu. Ces derniers permettent en effet de rassembler dans une même interface différents types de services, d’informations, provenant de sites-sources divers et traités par des API. Netvibes , en est un exemple ; les usagers se créent un espace composé de types d’informations qu’ils aiment, de services souhaités et à leur gré, ils déplacent, composent, enlèvent, ajoutent les widgets, les icônes (figure 1).

    En fin de compte, si avec les autres médias chaque destinataire pouvait reformuler à souhait le message, désormais, avec les outils simplifiés et libres à disposition de chacun, chacun peut en outre, « jouer au lego »  avec l’information dans l’interface de son agrégateur de contenu. Annonceur-journaliste, chacun peut être fournisseur de vidéos, photos, textes, messages radiophoniques. C’est l’acte de faire soi-même l’information, au sens propre du terme, qui génère du sens à celle-ci et c’est cet acte que note l’expression « Do it yourself ».
    Nouvelles possibilités techniques, nouveaux usages, nouvelle expérience de l’information, l’époque mondiale du « faire soi-même » l’information accompagne-t-elle ou s’accompagne-t-elle d’une nouvelle forme de pensée culturelle, d’une nouvelle façon de se représenter les choses, les autres et de les représenter ?

    Dans quel cadre de recherche se situe cet exposé ? 
    Au fil de notre travail sémiotique sur les interfaces web, nous avons démontré comment, plus qu’un moyen d’afficher l’information, les interfaces des sites créent un support matériel figuré de l’information via les métaphores d’écran telle la page A4, un support formel de l’information organisée en vignettes, carrousel, grille…, un support de travail manuel de l’information, aussi (Pignier et Drouillat, 2008 : 34-38), (Pignier 2008, à paraître).

    Nous avons montré comment ces différents supports suggéraient une certaine pratique, une certaine expérience du contenu, plus ou moins ludique, artistique, utilitaire, entre autres. Nous avons montré comment les interfaces web construisent, à notre insu ou non, non pas seulement un moyen d’appréhender le contenu mais aussi une manière de l’appréhender, un Faire social pour reprendre le concept que l’anthropologue François Laplantine emploie par ailleurs. Selon ce dernier en effet, une pratique sociale n’est pas un fait, un objet, mais un acte dynamique, un processus (2005 : 119) qui prend son sens pour l’usager comme pour l’observateur dans le Faire qui le sous-tend et l’accompagne. Être attentif au Faire social sur le web, c’est pour nous aussi non pas considérer les pratiques dans leur seul objectif ou dans leur résultat, mais c’est les appréhender dans leur mise en œuvre, avec leur sensibilité culturelle.

    Le corpus que nous nous étions fixé pour ces recherches comprenait 150 sites de grandes marques et environ 50 sites communautaires, agrégateurs de news et de réseaux sociaux , sites  de géolocalisation c’est-à-dire de localisation sur cartes interactives. Dans cette étude, nous avons privilégié les sites de marques en précisant en quoi leur interface exprime une représentation imaginaire et morale de l’annonceur, un ethos  que l’usager est invité à partager. Tandis que certains sites web de marques proposent une interface propice à une expérience immersive quasi artistique de l’information, l’usager ne distinguant plus le contenu de l’interface, d’autres offrent une interface plus usuelle, dont les signes fonctionnels, les formes d’organisation de l’information et la métaphore de la page A4 relèvent du sens commun, partagé par le plus grand nombre d’usagers. Ainsi, on peut distinguer l’écart en terme de pratique de l’information entre les sites de marques  tels ceux du chocolatier Patrick Roger ou du styliste Issey Miyake (figures 2 à 5) qui offrent une expérience  créative de l’information, apte à l’immersion  de l’usager dans les plis et les replis de l’interface/contenu, tandis que d’autres offrent une expérience plus standard du texte. Ce dernier est alors cadré dans une interface qui se veut un « moule » pré-conçu séparé du contenu . L’usager peut alors avoir l’impression qu’il maîtrise l’interface et qu’il peut en parcourir le contenu de manière productive (figure 6).

    Quelle hypothèse de départ ? 
    Quant  aux sites et blogs à l’esprit communautaire, aux agrégateurs de contenu, ils se caractérisent généralement par des interfaces le moins designées possible, à la portée de tous, standardisées et faites à partir de logiciels et d’applications gratuits. Appartenant aux sites dits « de contenu », ils misent tout sur la manipulation de l’information, l’interface devant être le plus pratique possible pour la main, pour l’oreille et pour l’œil. C’est ainsi que Jean-François Gervais parle, à propos des sites dits web 2.0., de sites standardisés dans leur interface, avec une séparation totale de l’interface et du contenu (2006 : 136). De la même manière, Patricia Gallot Lavallée (2007 : 147) définit le web 2.0 par les standards non seulement de l’interface mais aussi de la forme technique des contenus afin que ces derniers soient exportables.

    En l’occurrence, ces sites offriraient une expérience de manipulation de l’information, une expérience de l’interface non plus  immersive mais productive. L’interface consisterait à faire en un minimum de temps le plus de choses possibles, en un minimum d’espace le plus d’accès possible à l’information.  Les principes ergodiques de ces sites se fonderaient, c’est notre hypothèse de départ,  sur une pensée plurielle ; privilégier l’accumulation et la pluralisation des possibles, ordonner, catégoriser, classer, maîtriser. Tout cela dans une relation  usager-interface clairement établie ; l’usager se vit maître de ses actions, de son parcours de travail et a l’impression de maîtriser son objet. À l’œuvre, une pensée catégorielle et classificatoire de l’information manipulée, indexée, interchangée, désacralisée, accessible à volonté. Les sites relevant du « Do it Yourself » mettraient en œuvre une pensée de la pluralité consistant à privilégier continuellement l’augmentation des services, des outils alors que les sites propices à l’exploration esthétique du contenu privilégieraient une pensée de la profondeur, du multiple.

    Nous retrouverions alors sur le web deux sensibilités culturelles entre autres, deux formes de pensées totalement différentes que l’anthropologue François Laplantine a, tout ailleurs qu’à propos des médias numériques , mis en exergue comme caractéristiques de formes de pensées contemporaines. Pour ce dernier, « il existe une différence entre le pluriel et le multiple. Le pluriel (du latin plus qui a donné plein et plénitude) désigne seulement une quantité d’éléments dans une totalité donnée, alors que l’une des significations du multiple explore l’activité qui consiste à former de nombreux plis et à les former de manière chaque fois différente. Pour dire les choses autrement, le pluriel relève d’une logique quantitative et arithmétique : la logique cumulative qui est celle des signes s’ajoutant à d’autre signes.

    La multiplicité, quant à elle, ne peut être comprise dans ce modèle d’adjonction d’éléments nombreux formant une totalité. […] Le multiple ainsi entendu ne consiste nullement à additionner, ni même à déplacer, des éléments d’un endroit à un autre, mais dans un mouvement du geste, de la marche ou de la danse, à former, à déformer, à transformer, bref à créer des formes sans cesse nouvelles. La multiplicité n’est pas accumulation (de signes ou de biens), mais tension. Elle n’est pas tant totalité (d’éléments assemblés, composés, recomposés) qu’intensité et rythmicité ». (2006 : 36-37).

    Quel corpus ? 
    C’est cette hypothèse concernant les sites dits web 2.0 que nous avons souhaité valider ou invalider avec un corpus plus conséquent d’une centaine de sites, allant des séminaires en ligne ou networking, à des agrégateurs de contenu, des sites et blogs communautaires. Une des spécificités de notre corpus est un magazine en ligne régional Loops , qui va sortir à l’automne 2008, à la conception de laquelle nous avons participé pour une étude sémiotique sur les expériences culturelles générées par les interfaces du magazine en vue de recommandations. À l’origine de Loops, deux porteurs de projet accueillis dans l’incubateur de projet du Pôle edesign faisant partie de Limousin Expansion, à Ester Technopole,  Jean Nivelle et Pascal Ardillier. Le magazine gratuit pour ordinateur et téléphone mobile regroupera les régions Poitou-Charente, Limousin et la Dordogne. Loops pourra être expérimenté par les usagers comme un site Web d’actualités en régions, de services pratiques pour la vie quotidienne mais encore comme une exploration identitaire du territoire.

    Chaque usager en effet pourra proposer des actualités marquant le territoire mais aussi aura la faculté, dans un mode d’interface spécifique, de parcourir corporellement le territoire de manière fictive ou par géolocalisation. Loops proposera à l’usager deux modes d’interface : l’un sous forme de portail typique des journaux et magazines en ligne, l’autre sous forme de carte fictive ou de géolocalisation retravaillée graphiquement.

    La méthode et les résultats de notre étude sémiotique
    Avant de présenter ci-dessous les résultats de nos recherches sur les formes de pensées à l’œuvre dans les sites web 2.0 réalisées pour Loops et pour Ludovia 2008, nous devons préciser  notre manière de procéder pour l’analyse sémiotique du corpus. Pour chaque site, nous avons recherché :
    – 1. les axes sémantiques fondamentaux  qui fondent les catégories sémantiques propres au contenu ;
    – 2. les axes sémantiques fondamentaux à l’œuvre dans l’interface dans ses statuts de supports  matériel (ou métaphore d’écran), formel (ou organisation de l’information sur la page), ergodique (ou support de travail) ;
    – 3. les formes de sensibilité qui se dégagent de ces sites.

    Globalement, les contenus des sites dits web 2.0 jouent sur les axes sémantiques suivants :
    – l’axe proche/lointain et l’axe local/universel. Ils offrent aux usagers l’occasion de promouvoir mondialement des communautés culturelles locales en mal de liberté d’expression ;

    – l’axe individu/collectif. Les sites dits 2.0 permettent à chacun d’organiser sa vie en collectifs ou appelés « réseaux ». L’individu devient un internaute au pouvoir pour reprendre le titre de l’ouvrage de Jean-François Gervais (2006) mais il se rend dans le même temps dépendant de ses réseaux, du collectif en lui soumettant l’information comme dans Youtube ou Flickr où chaque contenu vidéo, photo est soumis au vote et au classement. En outre, l’individu se donne à la collectivité économique des marques en dévoilant ses aspirations, ses goûts, ses croyances, ses actes… Contrairement à l’autobiographie qui au XVIIIe siècle constituait un genre d’expression individuelle florissant soumis à des destinataires intimes avant d’être possiblement publié, le blog livre l’individu à des destinataires non intimes qui peuvent reprendre le contenu à des fins mercatiques et commerciales (Pignier, 2006);

    – le tri et le mélange. Les sites web 2.0 médiatisent de plus en plus le contenu dans un but de sélection, de tri. Cela par les flux RSS, les moteurs de recherches intégrés, le pouvoir de sélection attribué à la communauté. Et pourtant, cette tension vers le tri est en corrélation converse avec la propension au mélange des médias, des thématiques, des genres, des sources. Ainsi, la géolocalisation repense dans ses usages le genre de la carte ; on peut y ajouter des couches successives avec des bulles de BD, des fenêtres, on peut en faire varier la nature de l’image, satellite, plan ou mixte, on peut en faire varier les points de vue comme dans l’application mapstats sur mapstats.blogflux.com (figure 7), outil permettant aux possesseurs de sites de localiser la source géographique de leurs usagers. Plus les services et contenus augmentent, plus le tri s’impose dans les plates-formes de services personnelles telle Netvibes Ginger, agrégateur de news, de services, de réseaux sociaux (figure 8) ;

    –  l’ouverture/fermeture : le renouvellement des genres et des sites est indéniable, les méthodes agiles fréquemment utilisées en gestion de projet consistent par exemple à ne plus faire de cahier des charges stabilisé mais à le laisser en perpétuelle évolution en fonction des avis sollicités des usagers des sites dans les blogs, entre autres. L’usager devient alors concepteur en partie du site, ou tout au moins il peut en avoir l’impression. Les usagers du web 2.0 cultivent cette propension pour l’aspect dynamique au sens d’ouvert, d’évolutif des interfaces et des contenus. Ceci dit, l’ouverture grandissante des contenus et des net-journalistes nécessite un minimum de fermeture pour éviter l’anarchie ; modérateurs sur les blogs, comité de rédaction sur des journaux comme Agoravox  ou sur le magazine Loops où l’usager proposera une information néanmoins filtrée. La fermeture semble aussi nécessaire pour que l’ouverture aux autres fasse sens pour l’usager ; c’est le principe du réseau social qui nécessite obligatoirement la création d’un compte. Cet acte marque matériellement l’entrée dans le réseau, il en est un indice ou une trace. La communauté, le réseau social ne permettraient pas à l’usager de se construire  une identité s’ils étaient ouverts à tous.

    Toute valeur est une différence et c’est en partageant avec les autres membres du réseau l’impression de cultiver ensemble cette différence que le sentiment identitaire peut naître. Ainsi, Jean-Claude Kaufmann précise dans L’invention de soi que l’identité est censée marquer ce qui est unique par le biais de ce qui est commun et partagé par un nombre limité de gens (2004 : 122). Le sociologue note que de plus en plus, les sujets ont besoin de revendiquer des appartenances diverses pour alimenter le sens de leur existence (ibd). Le web 2.0 permet justement cette ouverture identitaire à de nombreux réseaux qui offrent à la fois ce que Kaufmann appelle une identification collective et une identification par les rôles . Contrairement à sa thèse qui consiste à voir une opposition entre ces deux modes d’identité, le web 2.0 témoigne d’une association des deux modes ; on ne va pas forcément sur Flickr, sur Digg par opposition à youtube ou dailymotion, ou facebook mais peut-être aussi par complémentarité. L’interopérabilité ouverte des réseaux permet d’avoir le sentiment d’appartenance à plusieurs groupes, à des réseaux de réseaux et de cumuler les rôles sociaux que l’on veut vivre. Le web 2.0 est en un sens une ouverture identitaire emboîtée, mise en abîme par le principe des réseaux de réseaux, avec néanmoins un besoin de fermeture symbolisée et marquée par le compte  qui exprime l’adhésion à un groupe. Différemment, le magazine Loops renouvelle aussi le sentiment d’appartenance à un territoire. Ni vraiment local, -il englobe plusieurs régions-, ni vraiment global, -il se limite géographiquement-, il repense le découpage territorial et peut amener ainsi l’usager à se penser non plus limousin, charentais, périgourdin ou français mais dans un jeu élastique entre tout cela. Loops marque aussi l’ouverture du web sur le réel puisque des événements seront créés dans la vie territoriale réelle qui auront germé sur le magazine en ligne. Cela pour renouveler l’émotion de l’appartenance au réseau des usagers de Loops ;

    –  l’axe stable/dynamique. La photographie argentique nous a habitués au « çà a été » comme le disait Roland Barthes, le support papier stabilise dans leur forme et dans leur contenu les messages mais les médias web 2.0 cultivent ce qui n’est jamais stabilisé, ce qui peut toujours changer de contenu, d’interface, l’exportation et la reformulation dynamiques. Pour cela, le langage informatique doit être standard.

    Les interfaces de notre corpus «Do it Yourself» se fondent sur les axes sémantiques suivants :

    –   l’axe proche/lointain et l’axe local/universel. Elles offrent aux usagers un moyen de saisir localement et à proximité des contenus et des services dispersés sur la toile et dans les médias, de rapprocher les gens en réseaux et de les faire travailler sur la même interface. C’est le principe des sites de favoris qui permettent d’avoir une sauvegarde de ces favoris, d’y avoir accès depuis n’importe quel ordinateur et de les partager avec d’autres usagers, c’est le principe des agrégateurs de news ou de réseaux tel netvibes ;

    –  l’axe individu/collectif. Les interfaces de sites dits web 2.0 sont dans l’ensemble collectivement adoptées par le sens commun ; barres d’outils, widgets, métaphore d’écran en page A4, elles se disent cependant personnalisables. L’usager peut combiner différemment les éléments de l’interface, peut choisir les couleurs et les formes des gadgets. Quoique peu originales et peu créatives, les interfaces laissent une place minimale à l’expression individuelle, un peu comme un client de constructeur immobilier a le droit de combiner différemment les pièces par rapport au plan type, de jouer sur la décoration. La  personnalisation de ces interfaces se veut ludique comme l’expriment les termes « gadgets », « icônes personnalisables » ;

    –  l’axe stable/dynamique : les interfaces dites « web 2.0 » proposent à l’usager d’être en permanence averti de ce qui se passe sur le site. Par exemple, le site de travail en réseau (Networking) de l’association des designers interactifs créé avec la plate-forme libre Ning avertit l’usager des activités récentes ; tel designer interactif qui vient d’ajouter ou de modifier son profil, l’ajout d’un commentaire, d’une question. Sur les sites communautaires, on retrouve de manière générique cet aspect dynamique de l’interface où ce qui est privilégié n’est plus tant le contenu que son devenir, ce que l’on appelle communément les activités sur le site. Ainsi, se développe une expérience du devenir du site et de ses acteurs qui suggère une lecture évolutive, sans cesse réorientée sur un nouvel événement. L’absence de recherches esthétiques originales de ces interfaces, la présence de cadres vient donner une impression de stabilité cognitive, de bonne maîtrise des contenus encadrés pour compenser la mouvance perpétuelle du contenu ;

    –   l’axe continu/discontinu. Dans une sorte de compensation, les cadres discontinus qui, dans l’interface des agrégateurs de contenu, délimitent l’affichage des informations, viennent pondérer la continuité des flux d’informations. Cependant, les sites de géolocalisation adoptent un principe d’organisation de l’information en continuité sur la carte et en profondeur, par couches. Il permettent ainsi une expérience immersive de l’information, une expérience exploratoire.

    C’est ce que nous allons privilégier dans le deuxième mode d’interface de Loops. Pour l’usager en quête de découverte du territoire, d’exploration, le magazine proposera une interface propice à l’immersion à plusieurs niveaux :

    1. au niveau des métaphores d’écran (une carte du territoire sous diverses formes fictive ou plus réaliste) offrant une découverte insolite et exploratoire des sommaires. Cette métaphore actualisera le sens figuratif des réseaux architectural, routier, tracés des chemins de fer et des voies fluviales par exemple qui sont envisagés culturellement comme circulation dans un corps-territoire, de façon analogique à la circulation sanguine dans le corps humain. Selon Lucien Sfez (2002 : 68), les cartes ont toujours exprimé le schéma de la circulation qui se pose tel un filet sur le territoire, comme ce qui en l’enserrant le fait vivre, lui apporte le sang nourricier, c’est-à-dire argent, pensée, savoir, culture. En l’occurrence, la carte – interface de Loops pourra être parcouru par l’usager dans ses plis et replis afin d’intensifier l’expérience du corps-territoire;

    2. au niveau du mode d’affichage des articles ; l’affichage ne se fera plus sous forme d’une liste cumulative mais sous une forme poético-ludique, (par exemple un cube que l’on tourne, ou un jeu de cartes, …) à la fois facile à lire, à manipuler, très aéré et sobre et qui crée un lien de connivence entre Loops et sa tonalité décalée et l’usager ;

    3. au niveau du parcours de travail (navigation), on proposera une mise en scène des signes fonctionnels incarnant un parcours corporel du territoire, offrant des relations  de contiguïté avec la carte. Ce mode d’interface, alliant sobriété et immersion poético-ludique, offrira à l’usager un parcours corporel et imaginaire de l’information ancrée dans son territoire, une forme de pensée continue et dynamique.

    – L’axe un/pluriel/multiple.

    On trouve dans les interfaces web 2.0 des tendances à la pensée plurielle du « tout en un » ; des accumulations de modules, des grilles, des signes fonctionnels qui donnent l’impression à l’usager de maîtriser de façon omnisciente, omnipotente le contenu. L’avertissement des nouvelles activités sur le site renforce cette impression d’omniscience, le panel de moteurs de recherches, de flux et d’outils de production de contenu  que l’on peut placer dans une interface bien cadrée instaure une impression de temporalité productive et maîtrisée. Cependant que les incessants avertissements sont propices à happer l’attention de l’usager qui en fin de compte est maîtrisé par l’interface.

    Le principe des informations sur cartes interactives, lui, invite à une pensée du multiple. Selon J.L. Weisberg, la carte, d’origine, est l’autre du guidage linéaire. Elle se consulte par variation des points de vue, par saisie globale, locale, exploiter une carte, c’est aussi se construire des chemins, explorer à travers une saisie multi-sensorielle, s’ouvrir à une multiplicité de séquences (1997 : 258). Les cartes interactives peuvent à l’infini ou presque augmenter cette saisie immersive et multi-sensorielle. Nous souhaitons offrir ces deux modes de pensées aux usagers de Loops à travers les deux modes d’interface retenus.

    En fin de compte
    Ce qui frappe l’observateur de ces résultats, c’est une tension permanente entre les pôles extrêmes  des axes sémantiques fondamentaux. Dans les contenus comme dans les interfaces de notre corpus, ce qui semble caractéristique est une position chaque fois élastique ; variations entre individu et collectif, entre ouverture et fermeture, entre tri et participation, entre stable et dynamique, entre continu et discontinu, entre proche et lointain, universel et local. S’élabore au travers de tout cela, c’est notre conclusion, une forme de pensée que l’on peut dire élastique ou hybride, sensible à la bonne maîtrise des choses mais aussi ouverte à leur devenir, à leur dynamique. La temporalité élastique qui caractérise le temps numérique contribue certainement, en amont ou en aval, à l’impossibilité de fixer durablement la pensée dans une forme et un contenu stable, et, du coup, à l’impossibilité de se figer dans un système de valeurs précis, si ce n’est celui de l’imprécis, du mouvant et de l’hybride.

    Ainsi que le précise très clairement Edmond Couchot en définissant les propriétés de la temporalité virtuelle, le temps du calculateur se libère de toute orientation – il est sans fin ni origine –, à chaque opération de l’usager, il peut, dans la limite du programme informatique retenu, faire advenir une multitude d’événements (Couchot : 206-208). Ces propriétés mouvantes et élastiques semblent se retrouver dans la sensibilité hybride à l’œuvre dans la culture « web 2.O ». Enfin, notre objet de recherche nous invite à pratiquer une sémiotique ouverte aux autres disciplines, l’anthropologie, la sociologie, les sciences de l’information et de la communication, entre autres (Pignier 2008).

    Communication Scientique Colloque Ludovia 2008 (Extraits)
    Nicole PIGNIER
    MCF Université Limoges, CeReS

  • « Faire soi-même » les jeux vidéo : l’exemple de l’additiel

    Au fur et à mesure de leurs expériences ludiques et du développement des jeux vidéo, les joueurs acquièrent une expertise qui enrichit leur encyclopédie et leur permet d’interagir avec le jeu. L’encyclopédie est l’ensemble des connaissances et expériences d’un individu ou d’une collectivité auxquelles l’individu se réfère pour construire le sens du monde qui l’entoure (Eco, 1984). L’encyclopédie du joueur est constituée des expériences perceptives, des affects et des connaissances spécifiques ou non aux jeux vidéo et est sans cesse réutilisée pour reconnaître, comprendre et interagir avec le jeu. Cette encyclopédie se transforme au fil des expérience de vie et de jeu du joueur et son enrichissement permet un plus grand contrôle sur l’expérience de jeu : des connaissances plus grandes du jeu vidéo permettent non seulement de « jouer le jeu », mais aussi de se l’approprier à son avantage (corrélation foucaldienne entre le savoir et le pouvoir).

    En effet, si l’espace de jeu est délimité par un cadre conceptuel et technologique dont le joueur doit tenir compte, à l’intérieur de ces limites, le joueur possède un espace d’appropriation suffisant pour percevoir, interpréter et évaluer le jeu de manière unique pour ensuite interagir avec les éléments du jeu.

    Les choix de jeu mis en place par les concepteurs offrent un cadre interprétatif aux joueurs qui borne les possibilités d’action dans le jeu, mais qui ne les prédétermine pas entièrement. L’espace d’appropriation, non seulement rend possible le déploiement du jeu puisque, par définition, il permet l’existence d’un espace de jeu (de mouvements), mais, en plus, il permet de transformer le jeu (de manière physique ou interprétative). Le joueur, en maîtrisant les signes et les règles organisant les jeux vidéo, peut s’approprier le jeu, le faire sien et devenir alors le créateur de sa propre expérience ludique. Les jeux vidéo sont principalement développés par les concepteurs et éditeurs de jeux vidéo, mais les joueurs participent à l’élaboration des représentations, des significations et des usages. Grâce à leurs connaissances, les joueurs peuvent agir sur le jeu et peuvent « faire (en partie) eux-mêmes » les jeux vidéo – particulièrement les jeux vidéo en ligne.

    S’approprier le jeu

    Définition du jeu
    L’expression « faire soi-même » les jeux vidéo ne réfère pas à tous ces joueurs qui créent leurs propres jeux vidéo, indépendants, et qui sont diffusés à l’extérieur des circuits commerciaux ni au fait que les concepteurs soient, dans la presque totalité des cas, eux-mêmes des joueurs. Il est plutôt question ici de ces joueurs qui ne travaillent pas pour un éditeur de jeux, mais qui participent tout de même, à leur manière, au développement des jeux vidéo commerciaux ou, du moins, qui leur donnent de nouvelles significations.

    En effet, une partie de la communauté des joueurs expérimentés s’approprie les jeux vidéo pour les développer ou faire des détournements de sens et d’usage. Cela ne concerne pas l’expérience que vivent tous les joueurs, mais présente une réalité vécue par une partie de la communauté et est le reflet d’une certaine mentalité présente chez des joueurs, surtout ceux qui sont expérimentés (hardcore gamers). Les jeux vidéo commerciaux sont des produits finis, mais, pourtant, une fois mis sur le marché, ces jeux continuent d’être transformés grâce à l’intervention de certains joueurs.

    D’un point de vue philosophique, la liberté des joueurs de « faire soi-même » le jeu est inscrite dans la définition même du jeu. Selon Colas Duflo, le jeu est « l’invention d’une liberté dans et par une légalité » (1997 : 57), le point de rencontre entre la liberté et les contraintes étant justement le jeu. Le « jeu » est cet interstice entre des pièces, c’est-à-dire un espace libre permettant le mouvement, mais qui est encadré par des barrières définies. La contingence fait partie de la définition du jeu et cette marge assure l’exercice du jeu, qui se renouvelle sans cesse. Si celui-ci est un ensemble de règles et de représentations données a priori, seul le joueur en actualise l’expression : le jeu est nécessairement « performé » par le joueur et dépend de l’attitude qu’il adopte face au jeu.

    Ce dernier devient ce que le joueur en fait comme expérience, mais, si le joueur affecte le jeu, il est aussi affecté par lui d’une manière qui n’est jamais statique. Même en suivant les règles à la lettre, le joueur donne une forme nouvelle au jeu, grâce à son encyclopédie (perceptuelle, conceptuelle et affective), et rend possible l’existence du jeu. Son expérience de jeu, d’une partie à l’autre, d’une fois à l’autre, ne sera jamais la même, car l’encyclopédie du joueur évolue et, par le fait même, l’interprétation et l’expérience qu’il fera du jeu.

    Bien sûr, certains jeux, comme le jeu vidéo, peuvent conditionner à certains types d’expérience et il peut être difficile de maîtriser l’objet. Or, il est impossible de circonscrire complètement ce que deviendra le jeu : une fois sur le marché, rien n’en garantit son interprétation et son usage et des connaissances et/ou une imagination suffisantes dans le domaine (liées à une attitude face au jeu) permettent aux joueurs d’agir sur le jeu. La rencontre entre les limites du jeu vidéo et les possibilités d’interprétation et d’action est le lieu de médiation, le lieu où le joueur s’approprie le jeu pour en répéter les règles ou les transformer – en d’autres mots, pour singulariser son expérience ludique grâce à l’appropriation.

    L’espace d’appropriation
    L’espace d’appropriation est un espace plus ou moins créatif pour interpréter le monde et, éventuellement, l’adapter (plus ou moins consciemment) à son usage. Le joueur s’approprie le jeu et peut pousser ses règles, les suivre, les transformer, les réinventer. Le joueur est un médiateur qui, pour reprendre les mots de Latour (1997), peut traduire ce qu’il transporte, le redéfinir, le redéployer et le trahir. L’espace de jeu a une autonomie à part entière et les concepteurs de jeux, bien qu’ils instaurent des limites (conceptuelles et technologiques) au média, ne peuvent en contrôler l’entière utilisation : en tant que médiateur, un joueur peut entretenir des rapports imprévisibles avec le jeu.

    Le joueur, même placé au cœur d’un cadre solide, se construit un espace de jeu pour faire sien l’univers qui lui est présenté et procéder à des détournements (De Certeau, 1980). La pratique et l’attitude des joueurs définissent ainsi ce que sont les jeux vidéo et ce, dans un processus en constant devenir qui n’est pas (entièrement) contrôlé par les concepteurs (Malaby, 2007).

    Ces façons de s’approprier le jeu, qui ne sont parfois pas prévues par les concepteurs et éditeurs de jeux, permettent un équilibre entre ce que le jeu propose et la façon dont le joueur en dispose. Plusieurs joueurs font preuve d’initiatives dans l’appropriation des jeux vidéo et cette appropriation prend différentes formes : une appropriation ludique, comme, par exemple, le fait de jouer à la cachette ou aux dominos géants dans un jeu de tirs à la première personne (shooter) tel que HalfLife; une appropriation sociale où, dans un jeu de rôle en ligne tel que World of Warcraft, des joueurs organisent des initiations ou des fêtes via des avatars; une appropriation politique, où, dans un jeu de rôle tel que SecondLife, des joueurs se réunissent, via leurs avatars, pour manifester ou faire des campagnes de sensibilisation; une appropriation économique comme, par exemple, le fait de développer une économie parallèle en vendant des objets pixellisés en échange de dollars dans des jeux tels que EverQuest; une appropriation éthique, comme, par exemple, dans le jeu de stratégie en temps réel, Mankind, où des joueurs se sont spontanément faits les « gardiens du Bien »; une appropriation esthétique comme, par exemple, tous ces jeux qui servent de décor pour la création de films ou de vidéoclips par des joueurs (ce qu’on appelle des machinimas).

    Les additiels

    Ce qu’est un additiel
    De nombreux autres exemples d’appropriation pourraient être cités, car il ne faudrait pas croire que ces cas sont isolés. Cependant, dans le cadre de cette communication et dans l’optique du « faire soi-même », l’exemple le plus probant de la participation des joueurs au développement des jeux vidéo commerciaux grâce à leur appropriation est le développement d’additiels (add-ons) par certains joueurs expérimentés. En effet, les joueurs qui veulent améliorer le jeu ou leur expérience ludique programment des additiels qui viennent se greffer au jeu.

    L’additiel est un petit programme qui est ajouté au logiciel du jeu et qui permet d’effectuer certaines fonctionnalités.Dans un jeu tel que World of Warcraft, la plupart des additiels ont une fonction informative et/ou ils facilitent les actions dans le jeu. Par exemple, un additiel appelé Healbot permet non seulement d’afficher la ligne de vie de tous les joueurs qui sont dans la même équipe qu’un healer (la fonction de certains joueurs est de donner de la vie), mais aussi de donner de la vie directement, à l’aide d’un seul clic pour l’ensemble des joueurs (au lieu de sélectionner les joueurs les uns après les autres, ce qui peut être particulièrement difficile en pleine bataille).

    D’autres additiels indiquent les sorts que sont en train de lancer les ennemis, le niveau de dommages que les joueurs font, la valeur des objets à l’encan, etc.

    Ces additiels sont créés par les joueurs eux-mêmes et échangés gratuitement sur des sites qui leur sont spécifiquement dédiés, tels que wowace.com et curse.com pour World of Warcraft. Les joueurs téléchargent et installent les additiels dans un dossier spécifique du jeu. Une fois le jeu lancé, le joueur peut mettre en fonction l’additiel et parfois décider de son lieu d’affichage. Certains joueurs peuvent en installer plus d’une centaine : on constate alors que non seulement leur interface de jeu n’est plus du tout comme celle d’origine, mais l’expérience même de jeu est différente. Le contrôle, la performance et les facultés requises ne sont plus les mêmes et le jeu se trouve passablement transformé.

    Certains joueurs, d’ailleurs, reprochent aux additiels de trop simplifier la vie des joueurs et sont qualifiés de tricherie (« ce n’est plus le jeu ») alors que d’autres affirment qu’ils sont un moyen de jouer plus efficacement (« c’est le jeu, en mieux »). D’ailleurs, il est fort probable que les additiels créés par les joueurs, dans le jeu World of Warcraft, ont été la cause d’une réussite si rapide du jeu en entier par les joueurs (le fait que les joueurs complétent si rapidement le jeu, lors de son expansion Burning Crusade, par exemple, a surpris l’éditeur du jeu, Blizzard Entertainment).

    En fait, les additiels offrent des avantages indéniables aux joueurs qui les possèdent : ces utilisateurs ont plus d’informations, peuvent prendre de meilleures décisions, réagir plus vite, être plus efficaces. En d’autres mots, les additiels permettent d’améliorer la performance de jeu en fournissant des informations supplémentaires au joueur et/ou en réduisant son temps de réaction. Il faut bien comprendre que dans le type d’univers tel que World of Warcraft, une majorité de joueurs veulent être performants.

    Pour cela, ils doivent contrôler le plus possible le jeu et ce contrôle passe par l’expérience, par l’accumulation de connaissances, par la réception d’informations en temps réel et par un temps de réaction le plus court possible. Les joueurs passent des heures à s’informer auprès des autres joueurs au moment du jeu, mais aussi lorsqu’ils quittent l’interface de jeu : ils fréquentent des sites web créés par des joueurs, lisent de la documentation aussi préparée par des joueurs, consultent des livres, etc. Certains joueurs rédigent des « manuels » d’utilisateurs pour aider les autres joueurs ou développent des méthodes de calculs statistiques pour améliorer leurs performances et celles des autres joueurs. L’éditeur du jeu n’a rien à voir avec le contenu de ces documents, entièrement faits par les joueurs et partagés entre eux.

    Le partage des additiels

    Ce qui est fascinant avec l’exemple donné par les additiels, c’est qu’ils sont partagés entre tous les joueurs alors que ceux-ci sont très compétitifs entre eux et cherchent par tous les moyens à améliorer leur performance. Le joueur qui crée (code) un additiel, au lieu de le garder pour lui-même et d’avoir cet avantage sur les autres joueurs (et pouvoir être le meilleur), le donne en accès libre pour que tous puissent en profiter. Tous les joueurs ont accès à ces additiels et peuvent, à leur tour, transformer une partie du jeu. Il faut beaucoup de connaissances, autant du jeu que de l’informatique pour pouvoir programmer un additiel et la réalisation de ces ajouts au jeu n’est pas donnée à tous. Cependant, plus les joueurs enrichissent leur encyclopédie, plus ils sont à même d’agir sur le jeu : plus ils ont de connaissances, plus les joueurs ont un pouvoir direct sur le jeu et son expression et peuvent, par exemple, créer des additiels.

    Il faut aussi mentionner que tous les additiels sont écrits en code source ouvert et tous peuvent les modifier pour les améliorer. Ces modifications sont ensuite partagées avec la communauté des joueurs qui effectuent à leur tour d’autres améliorations ou en créent carrément des nouveaux. L’esprit de cette communauté de joueurs est que le partage de leur travail est le meilleur moyen de tester et d’améliorer leurs habiletés en programmation, d’apprendre grâce aux commentaires et suggestions des autres (feedback) et de développer de meilleurs additiels en mettant en commun les forces de tous les programmeurs. « Faire soi-même » des additiels pour des jeux vidéo est un moyen d’apprendre qui passionne plusieurs joueurs.

    En fait, outre l’amélioration de ses compétences, le joueur créateur d’additiels obtient une reconnaissance de la part de la communauté des joueurs – reconnaissance de sa valeur comme joueur, mais aussi reconnaissance de ses talents en informatique et du don qu’il a fait. La communauté de joueurs joue un rôle important dans l’expérience de jeu et dans l’apprentissage faite de la programmation et cette communauté ne doit pas être sous-estimée quant à son pouvoir d’agir sur les jeux vidéo et leur développement.

    Les passionnés d’un jeu vidéo unissent leurs forces pour développer des additiels (mais aussi des usages particuliers) et leur travail et expériences sont partagés dans la communauté des joueurs (principalement grâce à Internet). Cette façon de penser n’est d’ailleurs pas étrangère à la culture hacker et à cette communauté. Avant d’aller plus loin, il faut préciser que le mot hacker ne doit pas être confondu avec le mot « cracker », qui désigne les pirates informatiques ayant l’intention de nuire (to crack – briser). Les hackers sont plutôt des passionnés d’informatique associés au mouvement du logiciel libre et des valeurs qui y sont véhiculées.

    Les joueurs/Hackers

    La mentalité hacker

    Toute la mentalité des hackers se base sur la coopération, l’échange, la « gratuité », l’enseignement participatif, le partage, la considération pour les autres, l’ouverture, la liberté d’expression, la créativité, la passion, le respect de la vie privée, la résolution de problèmes en groupe, le développement de meilleurs outils utiles à tous, la liberté d’utilisation et de critique, la possibilité de participer au développement, un pouvoir décentralisé et l’absence de hiérarchie autre que celle basée sur les résultats produits par chacun. Bien sûr, comme le souligne Himanen, qui a écrit le livre L’éthique hacker et l’esprit de l’ère de l’information (2001), ces valeurs sont des idéaux, pas nécessairement toujours atteints, mais qui sont tout de même une direction qui guide le mouvement hacker du « libre ».

    Ces valeurs d’égalité sociale, de participation du citoyen et de reconnaissance de la créativité de l’individu ne sont pas sans rappeler les bouleversements sociaux qui ont eu lieu en Occident dans les années 1960-1970, au moment même de la révolution informatique et des balbutiements des premiers jeux vidéo. Des noms tels que Russells, Wozniak, Thompson, Ritchie, Jobs, Bushnell, Pajitnov, Cerf, Berners-Lee, Andreessen, Torvalds, Joy et Stallman sont associés à l’histoire de l’informatique et des jeux vidéo.

    Ces passionnés d’informatique ont développé l’ordinateur personnel, les premiers logiciels et consoles de jeux vidéo, le réseau Internet, la Toile (World Wide Web), le protocole TCP/IP, les serveurs Apache, différents logiciels dont un fureteur et même un système d’exploitation (Linux). Ils ont eu une influence majeure dans la révolution de l’informatique, eux-mêmes inspirés par les « pères de l’informatique », John von Neumann (1903-1957), Alan Turing (1912-1954) et autres Shannon qui ont, selon l’éthique scientifique, partagé leurs connaissances et leurs découvertes avec l’ensemble de la communauté pour favoriser l’émergence du savoir (en l’occurrence, l’informatique moderne).

    L’histoire de l’informatique et celle des jeux vidéo sont donc intimement liées à l’histoire du mouvement hacker. Bien que l’entreprise privée ait désormais pris le contrôle presque total du développement des jeux vidéo commerciaux, la mentalité du « libre », à travers le Web (qui, rappelons-le, échappe encore aujourd’hui au contrôle de l’État ou de l’entreprise privée), continue d’influencer les esprits. Les joueurs sont baignés dans cette culture du « libre » et les jeux se pratiquant sur le réseau sont d’autant plus influencés par la culture hacker.

    À travers l’histoire du développement des jeux vidéo, les exemples sont nombreux démontrant les diverses manières dont les joueurs se sont appropriés les jeux vidéo, conformément à la mentalité hacker, ou ont participé directement au développement de certains jeux.

    Le développement des jeux vidéo par les joueurs

    Les concepteurs du premier jeu vidéo de tir à la première personne (FPS) en réseau avaient d’ailleurs bien compris que la culture hacker profiterait à l’industrie du jeu vidéo, si elle était bien « canalisée ». L’éditeur de jeux vidéo Id Software, créé en 1991 suite au succès du jeu Commander Keen, réunit trois jeunes hackers qui réalisent le célèbre Wolfenstein 3D. En 1992, ils éditent le jeu Doom, un  jeu de tir se jouant à quatre joueurs. La première partie du jeu (sur les trois développées) a été distribuée gratuitement sur Internet et les copies se sont multipliées, de façon tout à fait légale. Les joueurs, s’ils avaient apprécié cette première partie, pouvaient obtenir le jeu au complet pour une modique somme transitée sur le web. Id Software n’ayant pas à faire affaire avec le système de distribution (avec plusieurs intermédiaires à payer) s’est vu récolter tous les profits directement, inaugurant ainsi un nouveau modèle économique conforme à l’ère du commerce électronique (Ichbiah, 2004 : 192). Les joueurs ont d’ailleurs fait eux-mêmes la publicité pour ce jeu, qui s’est rapidement dissiminé grâce à Internet.

    Plus intéressant encore, le moteur du jeu a été rendu disponible pour les joueurs et ils ont pu le modifier pour développer leurs propres environnements. Ainsi, Doom a été développé grâce à la participation des joueurs et hackers qui se sont littéralement appropriés le jeu, conformément à l’éthique hacker.

    La communauté Internet a contribué à l’amélioration du jeu. Partout dans le monde, des joueurs se sont affairés pour développer de nouveaux décors pour Doom. Certains programmeurs de haut niveau ont même « démonté » le logiciel et créé des outils permettant de le faire évoluer. Une fois qu’un joueur avait terminé Doom, il pouvait donc récupérer les centaines de niveaux disponibles sur Internet. Bien qu’id Software n’ait tiré aucun profit direct d’une telle ébullition, celle-ci a amplifié le phénomène Doom. Ce jeu s’étant ainsi vu doté d’une forme d’évolution spontanée (Ichbiah, 2004 : 193).

    Pour la suite de Doom, id Software a mis en ligne trois niveaux de son nouveau jeu, Quake (qui se joue à 16 joueurs simultanément), pour qu’il soit testé par les joueurs eux-mêmes. « Deux jours plus tard, des listes d’anomalies affluent dans la boîte aux lettres électronique des programmeurs. Certains ‘bidouilleurs’ ont eux-mêmes concoctés des corrections et ne sont que trop heureux de les fournir à id Software (Ichbiah, 2004 : 202) » . D’ailleurs, le fait que Quake puisse se jouer à seize joueurs entraîne la création de serveurs par des joueurs passionnés par le jeu et le succès du jeu est garant de l’apport des joueurs pour le développer et le diffuser (et d’autres jeux, tel que Team Fortress, seront développés à partir de l’engin de Quake).

    Sur le même modèle économique et selon la même éthique hacker seront aussi développé les jeux de tir Duke Nukem, Unreal et Counter Strike (un mod du jeu Half-Life qui deviendra extrêmement populaire). D’autres types de jeux se font littéralement approprier par les joueurs qui en développent des usages (tel que le conc jumping) ou même du contenu (avec les additiels ou des objets intégrés au jeu). Herz, dans son article « Gaming the System », donne l’exemple de Sim City: le jeu a été accompagné d’outils pour permettre aux joueurs de créer leurs propres éléments dans le jeu. Rapidement, les joueurs se sont mis à fabriquer leurs propres objets et à personnaliser leur jeu (custom).

    Cette décision de la compagnie de permettre aux joueurs de développer le jeu a été un succès à tous les niveaux : les joueurs ont apprécié personnaliser leur expérience ludique, créer leurs propres éléments du jeu et échanger leur production alors que les concepteurs profitaient de cet engouement qui n’exigeait aucun investissement. Tellement que, selon Herz, quatre-vingt-dix pourcent du contenu du jeu était, en 2002, produit par les joueurs eux-mêmes. Selon l’auteur, la principale motivation des joueurs serait la reconnaissance des autres joueurs face à leur production et Herz parle de la « social ecology of videogames » (2002 : 91). Créer une partie du jeu, c’est prolonger l’expérience ludique du joueur et, désormais, grâce au réseau d’Internet, ces créations peuvent être partagées avec des milliers, sinon des millions de joueurs.

    It is this web of relationships between players that sustains the videogame industry […] it was not hardware or software that drives innovation in videogames. Rather, it is the intersection of open architecture and on-line social dynamics that drives the medium forward. A highly networked, self-organizing player population is given the tools to customize and extend games, create new levels, modifications and characters (Herz: 2002: 93 et 97).

    Certains partisans du « libre » ont d’ailleurs affirmé que, sans l’intervention des hackers, nombre des réalisations liées aux nouvelles technologies n’existeraient tout simplement pas aujourd’hui. Nous pourrions ajouter que le dévelopement des jeux vidéo serait différent sans l’apport des joueurs/hackers. Le développement du jeu s’inscrit dans cet héritage du « libre » et une partie des joueurs continue de faire des usages originaux des jeux vidéo et de les transformer, conformément à l’éthique hacker du partage, de l’enseignement coopératif et de la passion. L’exemple de l’additiel est, à cet égard, révélateur, mais plusieurs autres exemples, pour différents types de jeux, pourraient être donnés démontrant à quel point le développement des jeux vidéo commerciaux a été garant et dépend encore aujourd’hui en partie de l’usage fait par la communauté des joueurs.

    Conclusion

    Bien sûr, dans cette présentation, seuls quelques exemples ont été donnés et certains aspects importants de la question n’ont pas été abordés. Par exemple, il n’a pas été question de la façon dont les développeurs et éditeurs de jeux exercent un contrôle à la fois sur l’expérience de jeu des joueurs et sur les possibilités de développement du jeu. Pour revenir au jeu World of Warcraft, il faut mentionner que Blizzard Entertainment, l’éditeur du jeu, intègre, tolère ou interdit chacun des additiels qui sont ajoutés au jeu et a toujours un droit de regard sur les additiels qui sont utilisés.

    Blizzard Entertainment a toujours le dernier mot sur l’usage qui est fait du jeu et demeure le propriétaire de tout le matériel qu’il s’approprie (de tous les additiels intégrés au jeu). L’éditeur demeure le principal producteur du contenu du jeu et l’apport des joueurs demeure modeste par rapport à la programmation réalisée par les employés de la compagnie. Blizzard Entertainment n’a pas le contrôle total lors de l’actualisation du jeu, mais il fait en sorte d’avoir le plus de pouvoir possible (autant d’un point de vue de la programmation que d’un point de vue juridique ou autres).

    Cependant, la compagnie n’a pas intérêt à empêcher complètement les joueurs de développer des additiels, car, parmi ces productions et ces usages, plusieurs ont été ou seront reprises dans les versions subséquentes du jeu. Ces joueurs informaticiens qui programment des additiels développent le jeu et leurs créations peuvent être intégrées à la plate-forme ludique sans rénumération de la part de Blizzard Entertainment. En outre, des usages ludiques ou artistiques tels que les machinimas constituent un outil de promotion pour les compagnies, car ces films produits dans les décors de leurs jeux peuvent être visionnés des milliers de fois grâce à une diffusion sur Internet. Si la mentalité hacker imprègne une grande partie de la communauté des joueurs et du web 2.0. en général, les éditeurs de jeux vidéo commerciaux profitent de ces créations, même si c’est parfois de manière marginale.

    En regardant l’exemple des additiels, il est vrai de dire que très peu de joueurs verront leurs productions être intégrées aux jeux vidéo commerciaux. Cependant, tous les joueurs, à des échelles différentes, s’approprient le jeu et font preuve, à un moment ou un autre, de créativité, ne serait-ce que dans l’interprétation et l’expérience, nécessairement uniques, qu’ils en font. Les jeux vidéo prédisposent certainement à un certain type d’interprétation et d’usage, mais, au bout du compte, ils ne prédéterminent pas ce que le joueur en fera.

    S’il n’était pas possible, pour le joueur, de s’approprier le jeu et d’exercer sa liberté dans la contingence du jeu, l’expression des jeux vidéo ne serait pas celle qui est observée actuellement : il est d’ailleurs fort à parier que, si les joueurs étaient aussi contraints que certains l’affirment et qu’ils ne pouvaient pas « faire (en partie) soi-même » le jeu, les joueurs ne joueraient pas autant… Comme dirait Duflo, l’humain joue pour apprendre sa liberté (1997 : 75).

    Communication scientifique LUDOVIA 2008 par Maude BONENFANT (extraits)
    HOMOLUDENS, Groupe de recherche sur la communication et la socialisation dans les jeux vidéo
    GERSE, Groupe de recherche sur la sémiotique des espaces
    Université du Québec à Montréal (UQAM)