POINT DE VUE

La culture de l’écran concurrence celle du livre ?

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Quatre épisodes dont voici le second intitulé « La culture de l’écran concurrence celle du livre- L’apprenant et le formateur ont-ils encore un terrain de conciliation autour de l’écrit ? »

Cap Digital a organisé, à la Cité des Sciences à Paris en avril 2010, les «Assises nationales de l’éducation et de la formation numériques». Ces rencontres ont eu lieu dans le cadre de la réflexion sur l’optimisation de l’investissement de l’Etat, liée au grand emprunt, dans le secteur du numérique. A cette occasion, S. Tisseron, universitaire à Paris Nanterre, est intervenu en s’appuyant sur son dernier livre co-rédigé avec B. Stiegler «Faut-il interdire les écrans aux enfants ?». Son intervention portait sur l’observation du comportement des enfants et de leur motivation à apprendre, en particulier face aux différents supports interactifs.

Ses arguments, repris en partie ci-dessous, nous interrogent directement sur ceux des adultes en formation, aujourd’hui et demain. Ce questionnement est d’autant plus d’actualité que les formations ouvertes s’appuient sur des usages diversifiés, des technologies numériques. Comme le système éducatif, le secteur de la formation continue est confronté à la révolution liée à la présence de l’écran dans de plus en plus d’activités, de lieux et de temps d’apprentissage. La situation est peut-être moins tendue qu’on pourrait l’imaginer. Ces apprenants ont une double culture : celle de l’écran, temps toujours à dominante ludique, et celle du livre, passage parfois obligé, détourné et quelquefois, à consolider.

La maîtrise de la lecture des écrans permet de capter plusieurs informations à la fois où les contraires ne s’excluent pas forcément. La page hypertextuelle peut compléter, ou contredire, une vidéo en streaming qui, elle-même, télescope ou enrichit un mur de commentaires d’un réseau social, dans une troisième fenêtre ; tout cela sur le même écran. L’utilisateur est soumis à ce multi-éclairage et doit en tirer ses propres conclusions. L’écran est une porte d’entrée multiple et immersive, à la fois sur des informations, et aussi, vers de la connaissance.

Cela suppose un niveau de traitement adapté des contenus. Le livre, ou plus généralement, l’écrit sur support non numérisé, propose une approche plus douce, avec la lecture séquentielle de page unique. La succession de pages lues donne accès aux réflexions et aux intentions d’un auteur identifié, invitant son lecteur à partager un récit, une croyance, un imaginaire, un fait, un argumentaire, un savoir, un avis, un commentaire, etc… Le lecteur s’identifie, s’approprie, apprend, se projette, rejette, s’interroge, réagit à sa mesure et reconstruit.

La culture du livre incite à une pédagogie patiente hypothético-déductive. L’écran stimule plus un apprentissage instantané par essai-erreurs, et ouvre des perspectives novatrices pour la formation intégrant la simulation. Ces cultures articulent deux espaces temps ; les apprenants et les tuteurs s’y répartissent, chacun à leur manière, selon leurs activités et leurs rôles ; apprenant qui plutôt se projette sans repère, sans la présence continue du formateur qui, lui-même, plutôt se protège…

Même si Internet est nettement plus un espace de consultation (lecture et lecture numériquement active avec la capacité virale de «faire suivre»), voire de captation, que de production (écriture), grâce au couple écran-clavier, jamais autant d’écrits n’ont été produits ! Du simple SMS sur l’écran réduit de nos portables, en passant par les commentaires sur les réseaux sociaux, les publications individuelles de billets sur nos blogs ou l’écriture collective d’articles sur les Wikis naissants, mais aussi, et surtout, une nouvelle écriture exponentielle par l’image et par la vidéo ; ici la société de l’(sur)information porte bien son nom.

Tous les écrits ne se valent pas, mais constituent un matériau de base qui, de fait, place chaque individu écrivant, dans une relation nouvelle de responsabilité avec les autres. Si j’écris, c’est que j’attends que les autres me lisent, et donc, moi-même, devenant potentiellement lecteur. Ma participation à l’expansion numérique des réseaux est de fait autorégulée par mes pairs. De fait, cette coproduction est un apprentissage qui peut être un passage, une bascule, un complément entre la culture des écritures multimédias et celle de l’écriture papier, dans nos différents espaces de vie.

En termes de communication et d’échange, on relève schématiquement deux espaces. D’abord la sphère personnelle où presque tous les écrits sont permis sur la base des médias ouverts. Ce sont «les écrits des écrans» : SMS, tag, commentaire, message, post, billet, contribution, publication, photo, vidéo, etc… une écriture spontanée, continue et multiforme. Ensuite, dans la sphère professionnelle, la quasi-totalité des écrits de référence reste encore codifiée sur les bases académiques, liées à l’évolution de la langue française et à ses valeurs.

Ce sont «les écrits du papier», où le livre a une place particulière comme une sorte «d’écrin des écrits». Paradoxe suprême, ces écrits sont eux-mêmes de plus en plus numérisés : note de service, compte-rendu, courrier, rapport, étude, mémoire, bilan, cahier des charges, article, règlement, loi, etc…

La souplesse et la porosité de la combinatoire des formations de type FOAD (Formation Ouverte et à Distance) génèrent des distances géographique, pédagogique et culturelle. Elles peuvent constituer des opportunités d’équilibre retrouvé entre ces deux espaces. Les maîtrises de ces deux écrits, ceux de l’écran et ceux du livre, sont immanquablement complémentaires.

Les écoliers, les collégiens, les lycéens, voire certains étudiants, ont travaillé sur cette double compétence, mais la «bataille» est de plus en plus difficile car déséquilibrée ; l’écran envahissant notre société libérale où les adolescents constituent une cible privilégiée. Quelques années après, confrontés à des réalités incontournables, les adultes, selon leur qualification, en formation ou en production, peuvent bénéficier de temps d’appropriation, de partage et d’enrichissement réciproque de ces deux cultures.

Sur cette question, un terrain de conciliation existe entre l’apprenant et le tuteur. D’un côté, les apprenants confortent la culture écran des formateurs, nécessité pour le développement des activités en entreprise. De l’autre coté, les formateurs renforcent la culture et la maîtrise de l’écrit de l’apprenant, sur la forme et sur le fond. Il s’agit d’une compétence clé pour assurer des responsabilités et assumer pleinement sa place dans notre société : écrire pour affirmer ses identités et pour exister.

Cette double reconnaissance participe à la construction en alternance d’environnements ouverts. Dans cette dynamique, pour que l’apprenance, telle que Philippe Carré l’a définie, se développe au profit de tous, y compris des personnes les moins qualifiées, notre société se doit de poursuivre l’installation durable de ces nouvelles organisations dans lesquelles nous sommes tous apprenants, tous écrivants !

Source : Jean Vanderspelden, retrouvez les billets sur le blog de t@d

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