Auteur/autrice : Thierry Gobert

  • Consocréation : l’illusion de compétence

    Consocréation : l’illusion de compétence

    Le terme consocréation est un oxymore. Il décrit le lien indissociable entre la consommation de la création.

    Déjà fortement présents avant l’apparition d’Internet, les outils consocréatifs sont ceux qui proposent un encadrement technique à base de masques, de modèles ou de thèmes. L’utilisateur et ses destinataires s’en suffisent car ils estiment faire acte de création alors qu’ils consomment des fonctionnalités de « personnalisation ».

    Avec la généralisation des blogs puis des réseaux sociaux où il est possible de « créer » sa page sans programmation (d’ailleurs, le mot n’apparaît sur aucun dispositif socio-numérique), une illusion de compétence est fortement à l’œuvre. Les attentes et la réception des contenus ainsi mis en ligne renvoient une image positive car chacun fait de même et ne recherche plus la créativité mais l’originalité dans le choix des contenus.

    La pénétration dans les espaces publics et professionnels des dispositifs socio-numériques en ligne, comme Facebook, a généralisé des pratiques et des usages inédits. Certes, dans le fond il ne s’agit que d’un véhicule de communication supplémentaire, un « cas particulier des transports » (Escarpit, 1986, p. 9).

    Facebook, LinkedIn, Tumblr, Ask et Racontr sont autant d’applications qui portent sur des segments thématiques connexes et le plus souvent juxtaposés.

    Comme ils ont pris de l’importance dans les budgets temps consacrés à l’utilisation des ordinateurs, de tablettes et des mobiles depuis le colloque « Do it Yourself », il est intéressant de questionner l’actualité du concept de consocréation dans ce nouveau cadre.

    En effet, la part de la consommation apparaît avoir pris une telle importance qu’elle semble diminuer la part de créativité.

    Pourtant, cette part est fortement mise en avant sous couvert de monstration identitaire, de « partage » de contenus personnels et de ressources entre « amis ». L’enquête qualitative réalisée auprès d’une population d’apprenants, les résultats montrent une confusion entre consommation et création.

    Elle met en lumière la part croissante de la consommation et de l’hybridation des contenus sur la créativité originale.

    Elle montre par ailleurs la progression du mécanisme des illusions de contrôle et de compétence comme régulateurs du stress technologique et de l’urgence communicationnelle.

    Simultanément, le masquage de la complexité du soubassement informatique aux yeux des utilisateurs consocréatifs, c’est-à-dire de la majorité de la population observée, favorise l’émergence d’une production, qui si elle n’est pas forcément renouvelée, a le mérite d’exister et de drainer des apprentissages incidents.

    Ainsi, comme l’a souligné Gilbert Simondon, le « geste du travailleur sur sa machine prolonge l’activité d’invention » (Simondon, 1989).

    Référence :

    Gobert T., (2014), Consocréation : la quête de l’originalité comme illusion de compétence créatrice, in Consommation et création, Ax-les-Thermes : Ludovia, 25 au 28 août 2014.

    Gobert T., (2008), « Consommer pour créer, créer en consommant : la consocréation, in Do it yourself, Ax-les-Thermes : Ludovia, 27 au 30 août 2008.

  • Ennui et plaisir du numérique

    Ennui et plaisir du numérique

    Les objets numériques sont mis en avant pour leurs fonctions d’efficacité, de divertissement et de communication. En les valorisant sur les segments de l’efficience et du plaisir, la mercatique a certainement favorisé leur omniprésence. Il suffit désormais d’évoquer la perte d’un ordiphone ou des données informatiques personnelles, pour éveiller une angoisse significative.

    L’éducation tente d’ailleurs de se saisir de l’engouement suscité par ces dispositifs en apprentissage. Cela dit, une frange de la population semble prendre du recul. Cette position touche même des jeunes qui ont pourtant connu les ordinateurs et les réseaux pendant presque toute leur vie.

    Ce faisant, ils esquissent une notion du plaisir qui ne s’opposerait plus de manière classique à la douleur, mais à l’ennui et à l’effort.

    Au contact des outils numériques, les sujets n’opposent plus le plaisir à la douleur mais à l’ennui, à l’effort intempestif et la défiance. Cette évolution sémantique pourrait structurer en partie les pratiques et les usages de médiation techniques où l’ambivalence semble succéder peu à peu à vingt-cinq ans d’apologie de la technologie.

     

    Référence :

    Gobert T. (2013), « Les outils numériques comme ennui : une nouvelle opposition au concept de plaisir lors de l’échange interactif ? « Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n° 14/2b, 2013, p. 33-47, URL : http://lesenjeux.u-grenoble3.fr/2013-supplementB/03Gobert/index.html

    Gobert T. (2012), « Du plaisir au dégoût des outils digitaux, le regard de ceux qui tentent de limiter leurs usages ou qui y ont renoncé », Plaisir et numérique, Ax-les-Thermes : Ludovia 27 au 30 août 2012.

    Gobert T. (2014). Ennui du numérique, l’identifier pour motiver, UPVD Mag, hors-série recherche n° 3, pp. 30-31. URL : www.medialogiques.com

     

    Source image : pixabay.com

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  • GPS pour les pilotes de loisirs, un apprentissage indispensable pour déjouer les pièges

    GPS pour les pilotes de loisirs, un apprentissage indispensable pour déjouer les pièges

    L’utilisation du GPS en aéronautique de loisirs s’est généralisée. Pourtant, la précision des navigations ne semble pas s’être améliorée depuis son introduction dans le cockpit.

    Le Bureau Enquêtes et Analyses (BEA) le signale même comme un facteur accidentogène quand parfois, « l’avion percute le relief suivant une trajectoire rectiligne stabilisée avec l’instrument à bord » (BEA, 2005, p. 27). Comment un appareil censé localiser précisément la position du pilote peut-il être source de pertes des repères géographiques ? L’étude présentée dans cette interview s’intéresse à l’écart observé entre les performances du GPS et celles de ses utilisateurs.

    Dans un premier temps sont rappelés les attendus de l’étude. Puis les performances de pilotes sont observées de manière participante et décrites au cours de vols réels. Certains évoluent avec une carte aéronautique en papier, d’autres avec un GPS. Ils ont le choix entre deux routes. La première emprunte le bord de mer et ne présente pas de difficulté ; la seconde passe par des reliefs vallonnés et nécessite davantage de compétences de navigation.

    Les observations participantes montrent que l’instrument n’est pas en capacité de résoudre les difficultés d’orientation rencontrées en vol et qu’il en ajoute de nouvelles.

    En effet, le GPS focalise l’attention du pilote qui cherche à faire correspondre ce qu’il voit à l’extérieur avec l’environnement virtualisé qui se présente comme un défilement permanent.

    Cette instantanéité engendre un besoin « d’hyperlocalisation » qui se manifeste par un rythme des consultations de l’écran bien plus soutenu que ne l’est celui d’une carte papier qui propose une représentation globale de l’environnement. Cela conduit à de nombreux réajustements directionnels pour rejoindre la trace et donc à du surpilotage.

    La présence se distribue entre plusieurs objets et préoccupations, comme le font les apprenants entre plusieurs médias de communication, pendant leurs pauses. Toutefois, l’âge moyen des pilotes les incite à se concentrer du fait des difficultés d’accommodation et à d’éventuelles presbyties.

    Malgré cela, le GPS se généralise dans les cockpits, surtout depuis l’apparition d’applications comme AiNavPro sur les mobiles et les tablettes.
    Il est valorisant, ludique et trouve une réelle utilité par la localisation des terrains et le sentiment de sécurité qu’il apporte.

    Son utilité n’est pas à démontrer, mais il convient de savoir s’en servir et de ne pas lui donner un rôle supérieur à celui pour lequel il est conçu.

    Sur un plan plus théorique, son utilisation rappelle la distinction faite par Vygostsky entre « les instruments techniques stricto sensu, transformateurs des objets eux-mêmes, de l’environnement, et les instruments psychologiques (l’écriture, les algorithmes de calcul, les abaques, les cartes), réorganisant la cognition individuelle » (Rivière, 1990 cité par Grison, 2004, p. 31).

    Sans expérience ni apprentissage et appropriation, le GPS localise mais il ne situe pas.

    Référence :

    Gobert T. (2012), Supports numériques de prise d’information géospatialisée et désorientation chez les pilotes d’aéronefs légers, Ethologie & Praxéologies n° 17, Paris : Descartes, 17 pp.

  • Facebook : l’irruption en pédagogie

    Facebook : l’irruption en pédagogie

    L’utilisation des technologies de l’information en pédagogie est fortement valorisée. La littérature scientifique, la presse spécialisée et les médias citent régulièrement le caractère novateur de la démarche qui pourrait même « prolonger le temps de l’école par le numérique, favoriser l’égalité des chances et la réussite scolaire » (Fourgous, 2010 : 216).

    Ces dispositifs sont en concurrence et de plus en plus nombreux. Dans un tel contexte, les supports socio-numériques comme Facebook apparaissent comme porteurs d’atouts car la plupart des apprenants les emploient déjà. Ce sont d’ailleurs eux qui les ont introduits dans les établissements.

    Les pédagogues ont naturellement cherché à s’en emparer pour bénéficier de la motivation qu’ils drainent.

    Mais il semblerait que leur « scolarisation soit vécue comme une atteinte (…) à l’espace-temps privatif des apprenants » (Cerisier, Popuri, 2011).

    L’éducation ferait donc irruption dans le milieu des sites de réseautage social auquel elle emprunte notamment les modalités de gestion de groupe et les ancrages collaboratifs.

    C’est sous cet angle que l’interview aborde les motivations de choix d’objets communicants, le plus souvent effectués en faveur des outils privés et non des ENT. Elle évoque la gestion d’un DU à Carcassonne où les apprenants sont placés par leur référent pédagogique en situation d’utiliser le site social comme un dispositif sociopédagogique. Ces apprenants, après avoir recherché une autre plateforme sont revenus… à Facebook, même si cela ne les satisfait pas.

    Alors que l’ENT est soit ignoré, soit jugé peu pratique et insuffisant, Facebook apparaît comme une opportunité difficile à contourner, faute de mieux.

    Son « organisation » de type blog où les contenus plus anciens sont recouverts par les nouveaux ne correspond pas à une approche de gestion de projet et finit par faire perdre du temps. Malgré cela, Facebook peut favoriser la collaboration à condition d’apprendre à l’utiliser. Ainsi, l’appropriation par la pédagogie de cet outil participe-t-elle au renouvellement des dispositifs pédagogiques auquel appelle Romainville (2000).

    Référence : Gobert T. (2014), Le métissage des outils communicants, un complément pour les ENT ? Dispositifs, jeux, enjeux, hors jeu, Toulon : TICEMED 9, 15 au 16 avril 2014.

    A propos de l’auteur :

    Thierry Gobert est maître de conférences de l’Université de Perpignan Via Domitia (UPVD) au Centre de Recehrche sur les Sociétés et les Environnements Méditerranéens (CRESEM) et associé à l’Institut des Recherches en Sciences de l’Information et de la Communication (IRSIC) d’Aix-Marseille Université. Il dirige le Diplôme d’Unviersité (DU) Photojournalisme, Communication et Images Aériennes en partenariat avec Visa pour l’Image et préside le comité directeur Languedoc Roussillon de la fédération française d’ULM.

    Après une première carrière dans le privé à concevoir des produits culturels et à participer au déploiement d’Internet en France, Thierry Gobert intègre l’enseignement et la recherche. D’abord intéressé par les relations homme machine et l’analyse des interfaces, il s’est tourné vers les pratiques et usages qui leur sont liés sur des terrains variés en aéronautique, éducation et praxis sociales.

    E-mail : tgobert@univ-perp.fr
    Page personnelle : www.medialogiques.com
    DU Photojournalisme : www.photocom.eu