POINT DE VUE

L’apprenant a-t-il toujours intérêt à rencontrer un formateur ?

apprenant formateur
Quatre épisodes dont voici le dernier intitulé « L’apprenant a-t-il toujours intérêt à rencontrer un formateur » ? La rencontre durable de plus en plus improbable entre l’apprenant et ses formateurs, et donc, vers des responsabilités nouvelles à partager…

Pour tout tuteur, interagir avec un apprenant motivé est la situation idéale. Cette motivation repose sur plusieurs facteurs, dont les conditions initiales dans lesquelles les personnes se sont inscrites, ou ont été inscrites, dans ces formations. Quand l’intérêt du salarié croise celui de l’employeur, l’individualisation rationalisante (logique de structure) se conjugue avec l’individualisation autonomisante (dynamique de personne) et accentue l’implication de l’apprenant dans son parcours de formation ouverte.

Ce cercle vertueux ne fonctionne pas systématiquement ; on constate des abandons en cours de parcours, en particulier plus nombreux, semble-t-il, pour des formations en ligne, mais aussi une exclusion forte, de fait, à l’inscription en formation des salariés peu qualifiés. Certains d’entre-eux, particulièrement déterminés, tentent de mettre en oeuvre des stratégies de contournement.

Les accès à la formation, pour l’ensemble des salariés, sont aujourd’hui conditionnés par l’application du contexte législatif construit autour de l’Accord National Inter-professionnel signé par l’ensemble de partenaires sociaux en 2009. Dans ces nouveaux principes, cet accord permet à tous les salariés, y compris les moins qualifiés, d’accéder plus facilement à la formation. Après la loi Delors de 1971, puis l’ANI de 2008 et 2009 repris dans la dernière loi sur l’orientation et la formation tout au long de la vie, la France dispose d’un arsenal réglementaire qui vise à favoriser la formation de tous. Beaucoup de pays européens aimeraient, disent-ils, disposer d’un cadre légal aussi «avancé» pour financer la formation continue des salariés.

Force est de constater qu’indépendamment de la période difficile que nous traversons, ce sont toujours les personnes les plus qualifiées, travaillant dans des grandes entreprises situées dans les pôles urbains, qui profitent au mieux de ces opportunités d’entretenir leur employabilité et de conforter leur citoyenneté au travers des actions de formation. Plusieurs facteurs pointent toujours des décalages persistants qui aboutissent à la question : les salariés peu qualifiés peuvent-ils réellement et durablement se former en entreprise, pourtant avide de compétences collectives sans cesse à renouveler ?

Très souvent, la raison invoquée pour expliquer cette situation est le manque de motivation des salariés peu qualifiés pour s’engager dans une dynamique de formation. Dans le récent livre «L’archipel de l’ingénierie de la formation», édité aux éditions PUR, Emmanuel Quenson (Université d’Evry-Val-d’Essonne), souligne aussi, sur cette problématique, le rôle des responsables de formation dans l’exercice de leur jugement à l’égard de ces salariés.

L’exemple des entretiens d’évaluation, légalement systématisés aujourd’hui, est cité comme un moment crucial. A ce stade, les salariés, ouvriers, opérateurs, agents de service, ou équivalents, s’estimant mal maîtriser les codes nécessaires pour co-construire avec leur hiérarchie une dynamique de renforcement de leur employabilité, s’excluent, en quelque sorte, par eux-mêmes de la formation dont, par ailleurs, ils continuent à se méfier.

L’envoi en formation est de plus en plus lié à une adaptation courte pour un récent poste de travail associé à une mobilité horizontale exempte de toute promotion, voire une mutation externe, en rapport avec une redistribution des activités les moins stratégiques ; souvent tout le contraire des formations des cadres et agents de maîtrise. Peu de salariés sont capables de démontrer leur double implication, professionnelle et personnelle, dans la formation, et donc, de justifier efficacement leur besoin réel et légitime de compétences à actualiser.

Le DIF n’a pas le succès escompté. Plus que le manque de motivation, ce sont quelquefois les conditions d’expression et de repérage de ces motivations qui peuvent constituer paradoxalement ce filtre. La prescription, passage quasi-obligé, n’est pas toujours la meilleure porte d’entrée en formation.

Si le salarié ne considère pas sa sphère de travail comme un lieu propice à l’expression de ces besoins de formation, cela ne l’empêche pas forcément d’explorer d’autres pistes et de concrétiser, au prix d’un réel effort sur la gestion de son temps et de ses moyens financiers, une inscription en formation formelle ou informelle, plus conforme à son projet personnel, voire professionnel. Indépendamment de son statut, et ne souhaitant pas informer ses collègues et son employeur, il peut s’auto-prescrire des actions de formation flexible, soit de proximité dans une offre territorialisée dans le champ de l’éducation permanente, soit à distance via Internet avec des offres numérisées, plus ou moins marchandisées.

Des études montrent qu’en France, les foyers sont mieux équipés pour accéder à Internet que les lieux de travail où les connexions sont souvent inaccessibles, dégradées ou restreintes, surtout pour les postes les moins qualifiés. Cela donne ainsi des possibilités inédites de développer et d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences en interagissant, de chez soi sur son territoire, avec des pairs aux seins d’associations, de clubs ou de réseaux sociaux ou des opérateurs formation.

Si derrière chaque travailleur se cache un apprenant potentiel, derrière un apprenant peut se cacher un salarié ayant fait le choix d’apprendre hors dispositif. En tant que tuteur en ligne, la prise en compte de ces écarts entre le statut affiché et le statut réel (dont le nombre de cas devrait se développer du fait de la complexité du marché de l’emploi), nous apparaît comme importante. Repérer, dès que possible, les conditions d’adhésion (demandée, souhaitée, recommandée, imposée ou positivement dissimulée) à une formation en ligne semble être un point clé pour instaurer une relation d’accompagnement adéquate en vue de comprendre et de réguler le déroulement du parcours à distance.

Cet état de fait nous interroge sur le nécessaire équilibre entre le secteur de la formation continue, hautement cadré, et le champ de l’éducation permanente, apparaissant aujourd’hui comme le maillon faible des réformes en cours. Aujourd’hui, nous bénéficions d’un côté, d’un dispositif fort et organisé où les formations sont essentiellement prescrites de l’autre, des actions diversement structurées, de telle manière que les personnes, indépendamment de leur statut, puissent bénéficier d’une formation à leur demande. Si l’apprenant a toujours besoin de son formateur ou de son tuteur à distance, la question se pose pour son prescripteur interne ?

A l’heure où la sécurisation de parcours est la priorité, ne pourrait-on pas imaginer, à l’instar de l’installation mouvementée du FPSPP (Fonds Paritaire pour la Sécurisation des Parcours Professionnels) pour les demandeurs d’emploi, un même mécanisme porté par les partenaires sociaux, en concertation avec les OPCA, qui permettrait à des organismes inscrits dans une logique de type SPRF (Service Public Régional de Formation) d’accueillir en flux continu dans des Dispositifs d’Accompagnement Ouverts (individuel et flexible) et à Distance (partiellement), une part de ces salariés peu qualifiés, en dehors de la logique de prescription ?

Au regard des enjeux de besoins importants de compétences sur les territoires, doit-on se priver de la capacité de certains individus de décider par eux-mêmes de se former, sans être pour autant autodidacte ? Si le chantier du XXIème siècle porte sur les conditions de mise en oeuvre de l’apprenance aux profits de la personne, il faudra, non seulement travailler sur le vouloir et savoir apprendre, mais aussi, sur le pouvoir apprendre, dans des contextes innovants, temporairement et partiellement déconnectés des enjeux et des tensions liés à son activité professionnelle.

Dans ces conditions, des salariés peu qualifiés pourront, eux aussi, avec leur tuteur distant, mieux se projeter, à moyen terme, sur des opportunités d’évolution.

Source : Jean Vanderspelden, retrouvez les billets sur le blog de t@d

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