L’Herbier des fées est un livre qui se range dans la catégorie littérature jeunesse. Ecrit par Benjamin Lacombe et illustré par Sébastien Perez, cet ouvrage se présente comme un récit fantastique qui prend plusieurs formes simultanément :
• un journal intime, celui d’Aleksandr Bogdanovitch, botaniste russe en mission secrète dans la forêt de Brocéliande pour le compte de Raspoutine, à la recherche de plantes mystérieuse
• un herbier, dans lequel le scientifique décrit et dessine par le détail toutes ses découvertes, fleurs et plantes
• un livre de « choses », au travers de descriptions méticuleuses et de dessins précis et détaillés
• d’autres formes moins affirmées comme le carnet de voyage ou encore l’album illustré…
Le livre nous fait donc hésiter en permanence sur la façon dont il faut le regarder : les auteurs ont joué sur le foisonnement des styles et des images pour entretenir cette ambiguïté qui laisse le lecteur dans une position indécise sur l’attitude à adopter face à cet ouvrage. De plus, l’histoire est située dans le temps (en 1914), avec des dates précises, et de ce fait les références à la Grande Guerre sont présentes par la reproduction de documents authentiques sous forme de fac-similé.
Le doute dans lequel le lecteur se trouve plongé est ainsi renforcé : doute entre une fiction et livre autobiographique d’un scientifique, entre le vrai et le faux, entre réalité et imaginaire…
Le lecteur peut aussi découvrir cette histoire dans un autre format, puisqu’il est possible de télécharger la version numérique de L’Herbier des fées sur une tablette tactile, en l’occurrence l’Ipad. Nous sommes alors face à un livre enrichi par des contenus multimédia comme des sons, des images animées, des dessins animés mais aussi par des possibilités de modifier la taille et le format des images.
De ce fait, le lecteur peut parcourir le livre selon un autre rythme et le (re)découvrir, ce qui est une nouvelle source du plaisir procuré par la lecture. Cette expérience renouvelle le plaisir de la lecture car elle laisse une plus grande part à la liberté du lecteur, même si ce dernier ne peut tout de même pas s’affranchir de la linéarité lié au livre papier.
Le choix d’interroger ces objets, en les observant simultanément comme des objets littéraires, comme des objets communiquants, mais aussi comme des produits marketés, relève de notre volonté de comprendre la nature même des objets. D’une part, nous avons la volonté délibérée de repérer et d’analyser le design d’expérience proposé au lecteur au travers de ces supports en nous focalisant sur les dimensions matérielles des produits.
En faisant ce choix radical d’appréhender la nature matérielle, nous voulons d’abord nous abstraire des dimensions de signes et de récit que le marketing a toujours la volonté de valoriser au travers du produit et donc en abandonnant la relation à l’objet. C’est l’objet source de plaisir qui devient alors notre point d’entrée dans cette œuvre artistique et littéraire. Cette première étape doit nous permettre de regarder le livre numérique non pas au travers du prisme des significations culturelles et sociales mais au travers de l’appropriation individuelle du dispositif. Nous voulons aussi mettre en abîme le point de vue des concepteurs et auteurs et l’expérience de lecture, qui est plus un parcours personnel.
D’autre part, nous questionnerons l’œuvre au travers de la mise en signification des parcours possibles. Le livre papier sur un grand format (avec des effets de mise en page et de matières) mais aussi le livre numérique (avec l’ensemble des possibilités offertes par les interactions possibles) nous donne à explorer les différentes résistances à la signification de l’œuvre que ces objets proposent au lecteur. Tant l’analyse littéraire que l’analyse sémiotique de ces objets soulèvent de nombreuses questions qui permettent alors d’imaginer une nouvelle démarche marketing qui repense l’objet et non plus le produit.
Comment le processus de conception et de production des objets ouvre-t-il la porte pour proposer un design d’expérience, source d’un plaisir accessible au lecteur tout en lui étant spécifique ? Nous ne sommes alors plus dans un marketing de masse qui prescrit des plaisirs, mais bien dans un espace où le consommateur, par ses gestes, crée sa propre expérience de lecture. Il conviendra aussi de mettre en perspective critique cette posture car elle est en elle-même discutable, puisque résultante d’une disposition de la séduction marchande à laquelle les consommateurs succombent, par le plaisir de la curiosité.
Source :
Emilie Paradossi (IUT Angoulême – Université de Poitiers)
Laetitia Perret (FORELL – Université de Poitiers)
Olivier Rampnoux (CEREGE – Université de Poitiers)