Même si de nombreux établissements n’ont pas encore franchi le pas et si les parents ou certains élèves utilisateurs ont le sentiment, dans certains cas, qu’il n’a pas encore rempli sa mission et qu’il y a trop peu d’informations fournies par les établissements, les équipes académiques font tout leur possible pour faire de l’ENT, « la boîte à outils numériques » de l’éducation de demain.
Un chantier imaginé il y a bientôt 10 ans
L’idée de l’ENT est née en 2003, sous l’impulsion de la Caisse des Dépôts et de la Documentation Française avec l’édition de son livre «Du cartable numérique aux Espaces Numériques de Travail». Déjà en 2001, on pouvait noter des premières expérimentations de services en ligne par le Conseil Général de Savoie ou des territoires comme l’Aquitaine ou la Bourgogne. Mais c’est bien en 2003 que le Ministère de l’Education Nationale a affiché sa réelle volonté d’entamer cette «révolution silencieuse».
Le rôle d’un ENT était de faire communiquer ensemble tous les acteurs de la communauté scolaire, y compris les parents d’élèves, par le biais d’une plateforme en ligne. Il devait permettre de gérer toute la vie scolaire, mais pas seulement. L’ENT avait aussi pour vocation d’ouvrir l’établissement et donc la sphère éducative vers d’autres univers parascolaires (centres de loisirs, structures culturelles, établissement de santé,…).
Au démarrage du projet, le Ministère n’avait que trois exigences en termes de cahier de charges : les services de vie scolaire, la vie de l’établissement et la pédagogie. Mais comme rien n’est figé dans les nouvelles technologies, on note depuis 2003 une tendance vers l’ouverture de l’ENT à la vie locale, car comme le disait le proviseur d’un lycée d’Auch lors de la dernière Université d’été Ludovia «l’établissement ne doit pas être un sanctuaire».
Un projet qui commence à structurer la vie des établissements scolaires
Pascal Faure, Conseiller TICE du recteur de l’académie de Nancy-Metz depuis 2003, dévoile dans son livre «Guide pratique des usages des ENT en collège» un certain nombre de pratiques intéressantes. Pour lui, «les usages possibles des ENT dans l’enseignement sont aujourd’hui d’une diversité impressionnante et vont se développer à l’avenir». Et il ajoute «que cette diversité est le fruit de l’utilisation du même support par une variété d’usagers».
Comprendre ce qu’est un ENT
L’ENT est un outil à choix multiple : il permet à la fois un travail collaboratif tout en étant personnel et unique ; chaque utilisateur ayant une authentification qui lui est propre, il est également accessible depuis n’importe quel poste connecté à internet, donc aussi potentiellement par les familles et les élèves depuis leur domicile.
Analogie avec l’automobile (D’après le guide de Pascal Faure : «Guide pratique des usages ENT en collège»)
– Le moteur de l’ENT, ce sont les outils de vie scolaire,
– l’espace personne est le siège du conducteur, et les autres sièges sont les espaces d’échanges,
– l’authentification est symbolisée par la clé de contact,
– les ressources numériques sont dans le coffre et on y accède en l’ouvrant,
– les outils de communication sont comparables à la radio, au GPS, au téléphone,
des indicateurs proposent un tableau de bord différent entre l’usager de base et le chef d’établissement,
– le garagiste est l’équivalent du prestataire mettant en place l’ENT,
– une communauté des usagers sera construite comme une association d’usagers de la route,
– enfin, le carburant du véhicule est l’internet
Un outil fédérateur qui promet d’améliorer les échanges élèves-professeurs
L’ENT n’est pas seulement un espace qui permet aux élèves et aux parents de consulter les notes ou les devoirs à faire. Même si ces outils de vie scolaire sont potentiellement très pratiques, économiques et font gagner beaucoup de temps à leurs utilisateurs. La communication possible en théorie, mais peu mise en pratique à ce jour, entre enseignants et élèves, permet d’assurer une continuité entre la vie en classe et la vie à la maison.
Yves Nivelle, chef de projet ENT à la Direction des Lycées du Conseil Régional des Pays de la Loire évoquant l’ENT Pays de la Loire : «l’ENT n’est pas l’outil qui va tout solutionner, mais c’est l’outil qui va permettre, par l’intégration de toutes les parties concernées, d’atteindre une homogénéité qu’aucun établissement ne pourra mettre en place seul».
Ainsi, dans le futur, quand l’intensité des pratiques des enseignants sur l’ENT aura évolué, Il sera aussi plus facile à un élève «timide» d’échanger avec son professeur via une messagerie personnelle que devant tous ses camarades. «Par conséquent, on peut dire que l’ENT fait sauter deux verrous des échanges pédagogiques : le cadre matériel de la salle de classe et le cadre temporel de l’heure de cours» selon Pascal Faure.
Suivre les élèves tout au long de leur scolarité avec le Numérique
En Pays de Loire, l’ENT s’est progressivement déployé en cinq ans depuis janvier 2010, pour un budget global de 20 millions d’euros. En s’engageant dans une démarche commune, La Région Pays de la Loire, les cinq départements et l’Académie de Nantes ont privilégié la continuité scolaire entre collège et lycée à partir d’une même solution d’environnement numérique.
«L’association des partenaires institutionnels s’est fait en très bonne entente, au-delà des clivages politiques», nous confie Yves Nivelle.
«Le maillage du territoire qui est proposé aux utilisateurs est un des points forts», ajoute t-il.
Ainsi, en 2014, un enseignant, où qu’il soit nommé dans l’académie, disposera d’un ensemble de services identiques ; Les parents auront la possibilité de suivre la scolarité de leurs enfants quels que soient leur affectation et leur niveau de scolarisation, de la 6ème à la terminale, jusqu’aux formations post-bac des lycées !
Pour autant, rares sont les écoles du premier degré dotées d’un ENT : les pratiques pédagogiques sont différentes, l’organisation des établissements également, et surtout le niveau de responsabilité et d’investissements est nettement plus complexe : chaque commune est potentiellement capable de se doter de son propre ENT et libre de choisir une solution différente de celle choisie par le second degré sur un même territoire.
Le suivi des élèves tout au long de leur scolarité n’est donc pas encore totalement acquis, même si le Ministère de l’Education Nationale entame un programme d’expérimentation pour les écoles depuis la rentrée 2011 et réfléchit aux usages et à la continuité des pratiques et des outils comme pour le second degré.
Où en est-on en terme de déploiement dans les établissements en France ?
Aujourd’hui, les deux tiers des académies ont entrepris de généraliser les ENT, processus qui prendra entre deux et quatre ans. A la rentrée 2011, 1800 établissements du second degré étaient entrés dans le dispositif (soit 2 millions de comptes utilisateurs). En 2012, 5 000 établissements disposeront d’un ENT. Certains départements ou régions, pionniers ou non, sont déjà bien avancés dans leur déploiement, certains autres démarrent à peine ou n’ont pas encore commencé. Alors pourquoi de telles différences sur le territoire national?
Les solutions proposées par les éditeurs privés ou publics sont diverses et variées, tout comme la manière d’aborder l’ENT et de le déployer dans les établissements sur son territoire.
La Région Auvergne , par exemple, a fait le choix d’un même ENT pour tous les départements ; mais chacun d’entre eux l’a mis en place à sa façon. Dans l’Académie de Toulouse, une des académies les plus importantes de France, 7 départements ont commencé expérimentation et déploiement avec une même solution et plus ou moins au même rythme ; le département de la Haute-Garonne, le plus dense en terme d’établissements et d’élèves, n’a raccroché les wagons que quelques années plus tard en 2011.
Dans le Puy de Dôme, on a laissé le choix aux établissements de poser leur candidature pour l’ENT, un ENT « à la carte », qui permet aux établissements de se préparer à ce nouvel outil, sans être imposé ; mais aussi au Conseil Général financeur de pouvoir étaler ses dépenses dans le temps,…Malgré tout, c’est le même ENT sur toute la Région Auvergne qui va être opérationnel,…de quoi favoriser les échanges dans toute l’Académie.
Cette stratégie a été également retenue par la Région Pays de la Loire qui, avec l’ENT e-lyco, a misé sur l’homogénéité pour ses collèges et ses lycées. Cela représente, pas moins de 732 établissements, 321 000 élèves, 25 000 enseignants, soit 1 million d’utilisateurs !
On voit donc que compte tenu des enjeux financiers, de l’immensité des projets et du nombre de personnes ou personnels à connecter, il n’est pas simple de se lancer dans une telle aventure, surtout qu’i n’y a pas d’obligation et que les projets sont basés sur le volontariat.
De plus, si les collectivités n’ont pas anticipé ce type d’usage par la dotation ou l’équipement en matériel informatique ou en réseau internet, les projets ENT sont difficilement envisageables : l’usage de l’ENT est indissociable de la création d’un véritable écosystème qui passe par l’équipement des établissements en outils informatiques.
Sur certaines zones notamment rurales, c’est souvent là que le bât blesse, car le câblage, l’internet haut-débit et l’investissement, entretien et maintenance des ordinateurs n’est pas négligeable et que l’équipement fait souvent défaut. C’est ce que nous faisait remarquer récemment Gilbert Taillandier, Référent informaticien à la Direction Education du Puy de Dôme. Certaines zones (notamment rurales) ne sont pas du tout équipées.
Pascal Faure, avoue également que les réseaux de certains établissements étaient encore incomplets et que «l’ENT ne peut fonctionner que s’il y a des réseaux, des accès internet, des équipements et là, c’est plus hétérogène».
Organisation de l’établissement, dynamisme, pouvoir des chefs d’établissements, motivations des enseignants, manque de moyens : la dure réalité des ENT
La politique du chef d’établissement est une autre condition de la réussite de l’ENT. C’est lui qui va impulser la dynamique, notamment vers son équipe d’enseignants.
Les enseignants, avec les parents, sont les maillons forts de la chaîne. Apprendre à un élève à utiliser le numérique ne semble pas être un obstacle, vu que c’est aujourd’hui le quotidien de nos «digital natives».
Par contre, convaincre un parent de se mettre sur l’ordinateur le soir en rentrant chez lui pour aider son enfant à faire ses devoirs ou répondre à un mot d’un enseignant, c’est déjà plus compliqué…même si, pour certains établissements qui ont mis en place l’ENT depuis quelques années, les pratiques évoluent favorablement.
Par exemple, en ce qui concerne les services du cahier de texte : «l’augmentation du nombre de connexions au cahier de textes numérique des parents et des élèves traduit l’intérêt pour l’outil. Elles sont passées d’environ 900 connexions mensuelles pour 126 parents et élèves utilisateurs en octobre 2009, au moment du lancement, à 6920 connexions mensuelles pour 745 parents et élèves utilisateurs, en novembre 2011», témoigne Véronique Gasté, principale du collège Denecourt à Bois-le-Roi en Seine-et-Marne, qui compte 515 élèves.
Convaincre un enseignant de préparer ses cours en prenant en compte l’existence de l’ENT, n’est pas chose facile non plus, car l’ENT a fondamentalement des répercussions sur son métier d’enseignant, ce qui nécessite formation et accompagnement aux usages. Les budgets de l’Education Nationale connaissant des restrictions depuis quelques années, il devient délicat d’assurer dans certains cas la formation accélérée des personnels des établissements.
Pour autant les enseignants restent motivés par l’évolution de leurs pratiques pédagogiques et l’utilisation des outils numériques. L’utilisation des TNI, des tablettes numériques, des ressources ou manuels numériques sont en forte progression en France depuis quelques années et nombreux s’engagent dans une pratique au quotidien de ces nouveaux outils, «l’ENT devient désormais un dispositif d’articulation parmi d’autres dispositifs numériques (ressources pédagogiques, TNI, cahier de textes, etc.). Dans une ère de nomadisme numérique, l’ENT devient le connector» précise Sylvain Genevois, maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise.
Références : «Guide pratique des usages ENT en collège», Pascal Faure, édité par ITOP.