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  • Proposition de modélisation du plaisir dans l’apprentissage

    Proposition de modélisation du plaisir dans l’apprentissage

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    A cette occasion, il sera question de la façon dont le jeu ou les interfaces machines, reconfigurent l’environnement et interviennent en médiation. Qu’adviennent alors, les notions de distance proximale de développement et de proximité distale ? Comment les assujettissements du sujet évoluent avec l’introduction de ces nouvelles médiations technologiques ?

    Faut-il poser la question du plaisir dans les apprentissages au titre d’indicateur final d’efficience ou de paramètre-ingrédient ? Celui-ci est-il indissociablement associé aux apprentissages ?
    Avant que de répondre à ces questions, encore faut-il pouvoir l’observer et pas seulement dans ses modalités les plus visibles.

    Cadre théorique
    L’approche de la dynamique des systèmes complexes appliquée aux sciences cognitives permet d’associer, au concept de « régulon », différentes théories se rapportant au développement de la personne. Ce « régulon » qui augmente la viabilité du système est un indicateur objectif de développement. Parce qu’il est aussi, par définition « élément fiduciaire », élément qui apporte de la confiance, il se discute comme une notion de plaisir.

    Dans une modélisation du développement de la personne et de ses environnements et les théories de l’énaction et de la viabilité, affiliées toutes deux à la théorie de la complexité, permet de mettre en image la notion de plaisir sous différentes représentations comme résolution de pulsions psychanalytiques d’ordre divers, ou résolutions de souffrances et d’interroger différents aspects du plaisir. Les questions qui se posent autour de la question d’apprentissage et de médiations matérielles invitent à apporter autant de soin à la description des environnements du sujet qu’à l’activité et la posture même du sujet.

    En quoi est-il sujet libre et sujet assujetti ? Comment s’interface-t’il avec son environnement direct et distant ?
    « Chaque expérience relationnelle structure le savoir, alimente la personne et contribue au langage et à la pensée. » (Vygotski, 1933)

    Les dynamiques d’apprentissage et de développement alimentent des interactions internes de l’apprenant (qui apprend)/élève (qui se développe). Les deux sont une seule personne, le « Sujet » au cœur des interactions qui construit son ipséité : «Ainsi l’action instrumentale est toujours une action sociale dirigée vers soi, une action qui agit à l’aide des moyens d’un lien social et qui tire pleinement son existence des relations sociales entre deux personnes». (Vygotski,1929)

    «Dès qu’un acteur dit « nous », voici qu’il traduit d’autres acteurs en une seule volonté dont il devient l’âme ou le porte-parole. Il se met à agir pour plusieurs et non pour un seul. Il gagne de la force. Il grandit. » (Latour, et al., 2006)

    La tutelle, action d’un spécialiste venant en aide à un « moins-spécialiste » que lui peut prendre différentes formes : enrôlement, simplification, maintien de l’orientation «pour éviter que le débutant ne rétrograde vers d’autres buts, étant donné les limites de leurs intérêts et de leurs capacités», signalisation, contrôle de la frustration. (Bruner).

    «L’accès au savoir est tout sauf immédiat» (Montandon, 2002). «La modélisation du milieu permet de constituer un inventaire des interactions et médiations».(Lemoigne, 1999).

    Méthodologie
    Cet article propose, à partir d’un état de l’art de la notion de plaisir dans l’apprentissage, une typologie unificatrice de ce qui se décrit comme des aspects différents d’une réaction physiologique unique, appelée Plaisir, réalisée dans une conjonction de l’environnement et une conjonction des interactions particulières où l’ensemble « conjonction systémique » peut bien être considéré comme l’énaction définit par Francisco Varela par cette concrétisation du faire émerger » de l’action d’apprendre.

    Par la modélisation et l’inventaire des différentes conjonctions menant au plaisir, Il deviendra possible de réaliser des observations de situations d’apprentissage et en particulier ce facteur plaisir . Des observations réalisées en classe au moment de l’introduction d’outils TICE et/ou ludique permettront d’éprouver ce modèle et de l’utiliser comme outil de détection de plaisir sans en passer par l’explicitation des acteurs.
    A cette occasion, il sera question de la façon dont le jeu ou les interfaces machines, reconfigurent l’environnement et interviennent en médiation. Qu’adviennent alors, les notions de distance proximale de développement et de proximité distale ? Comment les assujettissements du sujet évoluent avec l’introduction de ces nouvelles médiations technologiques ?

    Positionnement scientifique
    Dans le domaine des sciences de l’éducation, notre positionnement s’inscrit clairement dans une approche à la fois psychanalytique et interactionniste. C’est un travail de recherche fondamentale qui cherche à revisiter la représentation du plaisir pour outiller la recherche de terrain d’une modélisation opérante pour observer les situations.

    Bibliographie

    Bruner, JS. (1983). savoir faire, savoir dire. PUF, Paris.
    Buchs, C, Darnon, C et Quiamzade, A., (2008). Conflits et apprentissage. Régulation des conflits sociocognitifs et apprentissage. Revue française de pédagogie, n° 163, pp. 105-125.
    Demaugé, B. (2005). Le tétra’aide. http://bdemauge.free.fr/. [En ligne] 24 09 2005. [Citation : 30 09 2011.] http://bdemauge.free.fr/tetraaide.pdf.
    Flichy, P. (2003). L’innovation technique. La Découverte, Paris.
    Imbert, F. (1994). Médiations, institutions et loi dans la classe. ESF, Paris.
    Karagiorgi, Y et Loizos, S. (2005). Translating Constructivism into Instructional Design: Potential and Limitations. Vol. 8, 1, pp. 17-27. http://www.ifets.info/journals/8_1/5.pdf.
    Latour, B et Callon, M. (2006). Le grand Léviathan s’apprivoise-t-il? M Akrich, B Latour et M Callon. Sociologie de la traduction, textes fondateurs. Presses des mines, Paris.
    Lemoigne, J.-L. (1999). La Modélisation des systèmes complexes. Dunod, Paris.
    Levine, J et Develay, M. (2003). Pour une anthropologie des savoirs scolaires. ESF, Issy.
    Montandon, C. (2002). Approches systémiques des dispositifs pédagogiques. L’Harmattan, Paris.
    Ravenstein, j. (1999). Autonomie de l’élève et régulation du système didactique. De Boeck, Bruxelles.
    Reuchlin, M. (1993). La psychologie différentielle. PUF, Paris.
    Brossard, M. (2004). Vygotski. Lectures et perspectives de recherches en éducation.Coll. Éducation et didactique. Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq.
    Vygotski, L.S. (1933). Pensée et langage. Rééditions : La Dispute 1997, Paris.
    Winnicott D. (1975). Jeu et réalité, l’espace potentiel. Gallimard, Paris.

     

    Source : Sandrine de Monsabert
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  • Plaisir d’apprendre et technologies numériques dans l’éducation

    Premier épisode de notre Série « L’e-éducation sur le divan avec Serge Tisseron »

    Commençons par le modèle de toute relation ludique. Inutile d’insister sur le fait que le lien unissant un bébé à son adulte de référence soit, de part et d’autre, tissé de plaisirs. Si ce n’était pas le cas, l’adulte se détournerait vite de l’enfant et celui-ci aurait tôt fait de se désintéresser du monde. Le Moi en construction ne se nourrit que de plaisirs ! Plaisirs d’échanger, de se regarder, de se sourire, d’interagir de la voix et du geste, et de voir ses propositions relayées, amplifiées et transformées par l’autre.

    C’est dans cette première relation mutuelle et réciproque – cette «dyade» – que se mettent en place les fonctions mentales nécessaires au développement ultérieur de l’attention, de la concentration, de la prise de risque et du bonheur de la découverte. Et tout cela est possible parce que ce premier environnement réunit plusieurs caractéristiques.

    D’abord, il est rassurant
    La mère ne soumet jamais l’enfant à des situations émotionnelles qu’il ne peut pas gérer, et ces situations, qui sont en nombre limitée – la tétée, le change, les premiers jeux – sont prévisibles. En même temps, l’enfant vit ce premier environnement comme indestructible et transformable à l’infini. En outre, il réagit selon ses caractéristiques propres aux sollicitations de l’enfant et il le sollicite autant que celui-ci le sollicite. Enfin, il est disponible à tous moment, ce qui permet à l’enfant de le percevoir comme fidèle inconditionnellement. Ces cinq caractéristiques font du premier environnement ce qu’on appelle un «medium malléable» .

    Evidemment, l’être humain a toujours rêvé de fabriquer des objets qui lui permettent de renouer avec les illusions et les bonheurs qui président à ce stade du développement. Or c’est maintenant possible avec les technologies numériques… pour le meilleur et pour le pire.

    Pour le meilleur, ces technologies permettent de renouer avec le jeu comme support d’expérimentation et de découvertes. C’est possible parce que les espaces numériques sont d’abord rassurants. En effet, les réponses qu’ils apportent sont récurrentes et les difficultés auxquelles ils confrontent sont à tout moment adaptées aux possibilités de chaque utilisateur. Chaque élève y trouve un niveau de difficultés adapté à ses compétences. C’est ce qu’on appelle la motivation de sécurisation.

    En plus, ces mondes permettent la visualisation à tout moment des parcours accomplis et à accomplir.
    Cette caractéristique permet de sortir de la logique de l’immédiateté et de se projeter dans une temporalité plus longue. Le pilote d’un avion a besoin de connaître son point de départ et son point d’arrivée pour construire sa «feuille de route», et toute personne en situation d’apprentissage est dans la même situation. Il doit avoir conscience du parcours à accomplir et du temps dont il dispose pour le réaliser, qu’il s’agisse de l’année scolaire ou d’un trimestre. Or la virtualisation permet de visualiser au fur et à mesure quatre domaines essentiels aux apprentissages : l’état des connaissances au départ, les progrès dans les compétences,  la diversité des stratégies utilisées et enfin la nature des contacts et des liens mobilisés, notamment dans le recours aux pairs et aux bases de données.

    Ce pouvoir de réassurance est essentiel. En effet, tout apprentissage confronte à une remise en cause de ce qu’on croyait établi. Jean Piaget avait déjà repéré ce processus dans les années 1930 . Accepter la nouveauté est souvent difficile, c’est pourquoi sa découverte doit s’accompagner d’un climat de sécurité pour que la déstabilisation cognitive ne soit pas trop forte et n’inhibe pas l’apprentissage. Les technologies numériques réalisent d’autant mieux cet objectif qu’un écran ne juge pas et ne condamne pas. Elles participent ainsi à la fois au renforcement des connaissances et de la confiance en soi des utilisateurs.

    Les mondes numériques sont également indestructibles et transformables à l’infini. 
    Chacun y organise son temps comme il le souhaite et y construit son propre parcours. Ils permettent donc de s’autodéterminer. C’est la motivation d’innovation. L’utilisateur d’un espace numérique éducatif peut y consulter des documents selon son rythme et son goût (c’est l’interaction de consultation) et aussi voir apparaître des informations au fur et à mesure de ses explorations (c’est l’interaction de navigation). Ces deux formes d’interactions contribuent ensemble à entretenir le désir de s’engager dans les espaces virtuels et d’y progresser. Elles constituent ainsi un puissant levier de motivation intrinsèque.

    Enfin, les mondes numériques sont toujours accessibles et disponibles.
    Chacun peut y travailler aux moments où il le souhaite. Du coup, leurs utilisateurs ont la possibilité de s’y confronter quand ils se trouvent dans un état d’esprit favorable et pour la durée qui leur convient.

    Mais les technologies numériques peuvent aussi favoriser une activité compulsive et dissociée. C’est le cas  lorsque les premiers échanges avec le monde ont été marqués par l’insécurité et des frustrations excessives. Le risque est alors que l’usager utilise son ordinateur pour oublier sa souffrance. A la limite, il établit  avec son ordinateur une situation que j’ai appelée de dyade numérique  parce qu’elle tente de reproduire les conditions idéales d’une première relation mère bébé…. évidemment sans jamais y parvenir.

    Il dépend alors d’une présence éducative à ses côtés que l’utilisateur s’engage d’un côté ou de l’autre. Le bon usage des espaces numériques nécessite parfois un accompagnement. C’est le rôle de l’enseignant, à condition, bien entendu, qu’il ait lui même utilisé ces technologies pour apprendre, et qu’il en connaisse les plaisirs, et les impasses.

    Serge Tisseron, janvier 2012