Étiquette : Lebrun

  • Mesurer l’impact des technologies, est-ce vraiment réalisable ?

    Mesurer l’impact des technologies, est-ce vraiment réalisable ?

    La question de la mesure des effets des technologies est « déjà » une vieille question. Beaucoup de tentatives, et cela fait environ 30 années que cela dure, se sont hélas soldées par une conclusion qui tient en trois lettres : NSD.
    Ce No Significant difference a d’ailleurs été affublé d’une mention de phénomène tant les recherches en question (des centaines d’études) en étaient marquées. Mais de quoi s’agit-il ?

    Les recherches les plus fréquentes, souvent construites sur une comparaison « avec et sans technologie » et axées sur les effets en termes de « réussite » des apprenants dans un contexte limité (par exemple : école, outil particulier, discipline) ont la plupart du temps été marquées par ce no significant difference.

    Déjà, les méta-recherches pionnières de Kulik et al. (dans le domaine de l’EAO) allaient également dans ce sens, les légères différences observées étant bien souvent entachées de variance importante ou alors noyées dans un bruit de fond lié à la variété des disciplines, aux différentes méthodes encadrant les outils, ainsi qu’aux modalités d’évaluations des apprentissages réalisés (Kulik et al., 1980). Remarquons que ce résultat, désespoir des technopédagogues, est aussi présent dans les recherches qui tentent à expliquer un effet (impact positif des technologies ou d’une méthode pédagogique particulière) avec une seule variable explicative : présence ou absence des TIC.

    Or, nous l’avons dit, on peu très bien utiliser les technologies dans le cadre de méthodes transmissives (osons citer les xMOOC) ou alors dans le cadre d’un dispositif actif et interactif visant le développement de compétences. Encore une fois, l’outil seul n’explique rien ; C’est le croisement d’objectifs, de méthodes et … d’outils (et d’évaluations en cohérence) qui nous permettra de voir clair dans ces impacts (voir notre épisode 2). Pas facile !

    Ces résultats peuvent s’interpréter (le côté obscur de la force) en disant que les usages des technologies restent fortement marqués par l’enseignement traditionnel (transmissif), qu’il n’y a pas d’effets parce qu’il n’y a pas de changement profond dans les dispositifs … parce que les TIC induisent une fossilisation des pratiques : on refait ce qu’on faisait avant (sans les outils) avec les nouveaux outils.

    Cette constatation du NSD a quand même un petit côté positif (le côté clair) : l’introduction des technologies ne conduit pas à une perte dans les connaissances (les savoirs) et dans certaines compétences (compréhension, application …) des étudiants (ce qui est accessible à l’évaluation certificative de la « réussite ») mais les vraies valeurs ajoutées réelles (compétences de haut niveau, attitudes, créativité, esprit critique …) restent difficilement accessibles et discernables par la mesure.

    Pourquoi cette difficulté ?
    S’il s’agit de mesurer les valeurs ajoutées que je prétends (en esprit critique, en résolution de problèmes, en créativité …), un protocole de mesure qui s’étend sur les quelques mois d’un cours n’est pas assez ample temporellement. Une compétence se construit toute la vie durant, se mesure sur le terrain (souvenons-nous du « » de Contexte dans notre définition de Compétences) … et ne peut être approchée par un test standardisé de type QCM. Il nous faut donc des recherches bâties sur tout un programme (cohérent) voire qui s’étendent jusqu’à l’entrée dans le champ socio-professionnel (sans négliger « la vie de tous les jours »).

    Par ailleurs avec l’arrivée des MOOC, on entend l’espoir véhiculé par le Learning Analytics : 20000 étudiants (et plus) qui suivent un cours (suivre un cours, c’est passif ça !) en même temps, cela permettra de faire des études sur les profils d’apprentissage, sur les différences liées à l’interculturel, sur les difficultés didactiques de certains étudiants, sur les types de médias utilisés … bref, surtout d’étudier et d’améliorer les MOOC. Nous sommes encore loin des études amples et longitudinales que je préconise.

    Russell, T. (2001). The no significant differences phenomenon. Littleton, Colorado: IDECC.

     

    Pour de plus amples informations :
    Lebrun, M. (2012). Impacts des TIC sur la qualité des apprentissages des étudiants et le développement professionnel des enseignants : vers une approche systémique. Revue des Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation et la Formation (STICEF), 18. Disponible sur Internet à l’adresse http://bit.ly/A9AFpm (dernière consultation le 3 juillet 2013).

     

  • Isomorphisme, cohérence et variété  … vers une systémique de la technopédagogie ?

    Isomorphisme, cohérence et variété … vers une systémique de la technopédagogie ?

    Dans cet épisode particulièrement centré sur la formation des enseignants, nous présentons le principe d’isomorphisme. De quoi s’agit-il ?

    Nous partons du constat que dans pas mal de formations au niveau supérieur (pour fixer les idées, à l’université), l’accent est mis sur la formation progressive de chercheurs. Mais que fait le chercheur ?

    Au départ de situations problématiques ou d’interrogations issues d’autres travaux, il s’agit de dégager des invariants, des principes, des modèles, des théories …  permettant de comprendre les fonctionnements de différents systèmes. On remarque d’emblée, la proximité de cette approche avec des méthodes de formation basées sur des situations problèmes, des études de cas … Donner du sens, mettre en place des approches méthodologiques transversales, convoquer les savoirs, développer ces derniers encore et toujours.

    Un enseignement qui se contenterait de transmettre ces savoirs constitués et sublimés (les produits de la quête des chercheurs, que ce soit les 3 lois de Kepler ou les facteurs de la motivation de Viau ou encore la recette pour faire fonctionner une équipe de travail) éluderait le cheminement, le processus, les contextes par lesquels ces savoirs ont été inventés et dans lesquels ils trouvent du sens.

    Bien évidemment dans cette approche somme toute traditionnelle, les exercices (voir que la théorie tourne bien) et les applications (obtenir des résultats au départ des modèles) suivront. Et c’est bien là que réside le problème. « Tu verras plus tard à quoi ça sert !« .

    Selon nous, le travail de l’enseignant est davantage de replonger ces savoirs dans des situations, des contextes, de vrais « problèmes » (pas des exercices) qui donneront du sens à l’apprentissage : des problèmes contextualisés, authentiques, complexes.

    Comme disait Jérôme Bruner the current practice of teaching the conclusions of the sciences without providing a sense of the scientists’ spirit of discovery produced knowledge unrelated to the essence of the subject itself  : donner les savoirs dépouillés des contextes qui les ont vu naître (c’est qui Kepler au fait ?) ou dans lesquels ils prennent du sens (Kepler explique des choses sur les satellites artificiels ?), donner les savoirs sans faire vivre l’esprit qui anime ou animait la communauté des inventeurs, cela produit des savoirs morts, des emplâtres sur une jambe de bois.

    Le principe d’isomorphisme s’alimente de ces constats et du principe de cohérence : former les enseignants comme nous souhaiterions qu’ils forment leurs étudiants, former les étudiants en cohérence avec les objectifs. Une conférence sur les « méthodes actives« , ça fait bizarre, non ? Et malgré tout aussi, un principe de variété.

    Après la divergence induite par l’analyse du problème, un point de synthèse, de convergence peut être utile afin de ne pas laisser l’apprenant dans le doute. Un point sur les savoirs convoqués et une réflexion sur le processus mis en place peuvent être utiles. C’est en se donnant le temps de réfléchir à son apprentissage (comment ai-je appris ?) que l’on devient un meilleur apprenant pour toute la vie durant. Il faut sortir des cadres étriqués du linéaire du déterminisme : la pensée est systémique. Il n’y a pas de contradiction entre savoirs et compétences : les compétences nécessitent des savoirs (des savoirs sur l’action ?), les compétences permettent de construire des savoirs (ses savoirs). Et les cycles (comme dans le cycle de Kolb, entre observation, modélisation, expérimentation, nouvelle observation …) sont courts.

    « L’enseignant-chercheur » quant à lui est aussi un apprenant et un chercheur en enseignement. Il considère son enseignement comme un objet d’apprentissage et de recherche.

    Et les technologies ? On le sait pourtant depuis longtemps. Les TICe superposées à des formes classiques de transmission ne peuvent améliorer, à elles seules, la qualité des apprentissages pas plus que le camion qui amène les victuailles au supermarché ne peut améliorer la santé d’une communauté.

    La vision déterministe de l’impact des technologies sur la pédagogie conduit au no significant différence (pas de différence significative dans les résultats avec et sans les technologies). Ce serait trop facile ! Les technologies peuvent (il s’agit bien là d’un potentiel) contribuer à la qualité des apprentissages et de la formation si la pédagogie, les habitudes, les usages changent.

    Une question d’outils ? Oui, un peu. Une question d’usages et de méthodes ? Oui, sans doute. Surtout une question de changement de mentalités.

     

  • Refonder l’école ou la flipper ?

    Refonder l’école ou la flipper ?

    Bien que pratiquée depuis longtemps par des pionniers,  le concept, ou en tout cas l’appellation de Flipped Classrooms, est apparu vers 2007 quand deux enseignants en chimie dans l’équivalent de notre niveau secondaire, Jonathan Bergman et Aaron Sams, ont découvert le potentiel de vidéos (PowerPoint commentés, Screencast, Podcast …) pour motiver leurs élèves à préparer (à domicile ou plutôt hors classe) les leçons qui seront données en classe afin de rendre ces dernières plus interactives :

    Lectures at Home and HomeWork in Class, le slogan était lancé.

    L’air de rien, cette méthode est à la fois une petite révolution par rapport à l’enseignement dit traditionnel (le magistral, l’enseignement ex cathedra) et une piste d’évolution acceptable et progressive pour les enseignants qui souhaitent se diriger, sans négliger la transmission des savoirs,  vers une formation davantage centrée sur l’apprenant, ses connaissances et ses compétences.

    Comme nous le voyons déjà, ces classes inversées (selon la traduction française largement répandue de Flipped Classrooms) repositionnent les espaces-temps traditionnels de l’enseigner-apprendre.

    Clairement, les Flipped Classrooms évacuent, si on peut dire, la partie transmissive voire l’appropriation des savoirs de type déclaratif, hors de la classe pour redonner à cette dernière son potentiel d’apprentissage et de co-apprentissage. Il en résulte aussi une révision des statuts des savoirs (en particulier ceux de nature informelle), des rôles assumés par les étudiants et les enseignants …

    En outre, nul besoin de flipper tout son enseignement en une fois : une activité parmi d’autres, quelques semaines sur le quadrimestre. De quoi expérimenter et évoluer en douceur. Malgré l’origine initiale de la méthode, une Flipped Classrooms, ce n’est pas juste une vidéo avant le “cours” et du débat pendant le “cours”. On pourrait sommairement la décrire en un cycle à deux temps :

    (Temps 1) Recherche d’informations, lecture d’un article, d’un chapitre, d’un blog …, préparation d’une thématique à exposer, interviews ou micro-trottoirs … à réaliser seul ou en groupe avant une séance en présentiel. Le résultat des investigations peut être déposé dans un dossier sur une plateforme, des avis, opinions, commentaires, questions … peuvent être déposés sur un forum, la vidéo réalisée peut être déposée sur YouTube …

    (Temps 2) Présentation de la thématique, débat sur des articles lus, analyse argumentée du travail d’un autre groupe, création d’une carte conceptuelle commune à partir des avis, opinions, commentaires … récoltés, mini-colloque dans lequel un groupe présente et un autre organise le débat … pendant le moment (l’espace-temps) du présentiel …

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    La figure ci-dessus nous montre le « flip » à l’œuvre. (1) L’enseignement traditionnel transmissif se passe en classe, les interactions ou activités des élèves sont somme toute limitée. Les devoirs se passent à la maison ainsi que la préparation des examens. (2)

    Le « flip » va agir reconsidérant les espaces-temps de l’enseigner-apprendre. (3) La figure se complète : la partie transmissive (les nécessaires savoirs, les principes, la théorie…) se déroule à distance de la classe soit  la maison soit dans des lieux spécialement aménagés dans l’école ; l’espace et le temps de la classe (de la rencontre avec l’enseignant) est utilisé pour les activités et les interactivités. (4) L’hybridation (soutenue par le principe de variété) mélange ces différents modes d’interaction.

    Ce billet vous a fait flipper ? Twittez-le moi (@mlebrun2) ou écrivez sur mon Blog !

    Blog de M@rcel (2011). J’enseigne moins, ils apprennent mieux ici

    Rencontres Académiques du Numérique (2012). Forum@Tice, Reims (France), octobre 2012 lien ici

    The daily riff (2012). The Flipped Class : Myths vs Reality ici et How the Flipped Classroom is Radically Transforming Learning ici

     

  • La « flipped taxonomie » ou l’inversion de la taxonomie des compétences

    La « flipped taxonomie » ou l’inversion de la taxonomie des compétences

    Nous avons, dans la vidéo précédente, parler de la cohérence des objectifs, des méthodes, de l’évaluation … des outils. Les objectifs sont souvent décrits par un verbe (un savoir-faire, un savoir-agir, un savoir-être …) qui s’applique sur un nominatif (un contenu, un savoir, un savoir-faire …) : l’étudiant sera capable de « Verbe » à propos d’un « nominatif », par exemple, l’étudiant capable de citer les composantes de l’alignement constructiviste (épisode 2), l’étudiant sera capable d’appliquer la loi de Newton …
    Le « sera capable » associé au « verbe » est désigné par la notion de capacité. Cette capacité constitue encore un état potentiel … il sera capable, oui mais quand ? Comment ? Dans quel contexte ? Où ?

    La compétence veut dépasser cet état potentiel, mettre l’objectif, l’intention en état de fonctionner. C’est la capacité « être capable de … » qui s’applique sur des contenus et se concrétise dans un contexte actuel, authentique … donné.

    La compétence est donc un « CCC », une ou des Capacités, qui s’appuie sur des Contenus pour résoudre des problèmes dans un Contexte donné, ou dans des familles de contextes donnés. Tardif (2006) avait précisé cette définition en insistant sur le choix et la sélection nécessaires des contenus et des capacités pour atteindre l’objectif :

    « Une compétence est définie comme un savoir-agir complexe qui prend appui sur la mobilisation et la combinaison efficace d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations ».

    Parlons un peu des « verbes », les opérations cognitives. Benjamin Bloom propose, dès 1956, sa taxonomie (une classification) qui propose une pyramide dont

    • la base est connaître (définir, dupliquer, étiqueter, lister, mémoriser, nommer, ordonner, identifier, relier, rappeler, répéter, reproduire),
    • le niveau suivant est comprendre (classifier, décrire, discuter, expliquer, exprimer, identifier, indiquer, situer, reconnaître, rapporter, reformuler, réviser, choisir, traduire) ,
    • ensuite appliquer (choisir, démontrer, employer, illustrer, interpréter, opérer, pratiquer, planifier, schématiser, résoudre, utiliser),
    • ensuite analyser (estimer, calculer, catégoriser, comparer, contraster, critiquer, différencier, discriminer, distinguer, examiner, expérimenter, questionner, tester, cerner),
    • plus haut encore synthétiser (arranger, assembler, collecter, composer, construire, créer, concevoir, développer, formuler, gérer, organiser, planifier, préparer, proposer, installer)
    • et finalement évaluer (argumenter, évaluer, rattacher, choisir, comparer, justifier, estimer, juger, prédire, chiffrer, élaguer, sélectionner, supporter).

    L’importance du « verbe » est manifeste dans nos exemples inspirés d’un article de la Wikipédia. Cette « bonne vieille taxonomie » a été bien souvent révisée (l’article de la Wikipédia vous en dira plus), certains mettant la créativité au dôme de la pyramide à la place ou à coté de l’évaluation. D’autres ont croisé les « verbes » de la taxonomie de Bloom avec des savoirs (les nominatifs) plus détaillés : Savoirs déclaratifs (une définition), savoirs conceptuels (un modèle abstrait), savoirs procéduraux (une liste d’opérations à effectuer pour …) …

    Cette façon d’organiser les opérations cognitives, les connaissances comme socle, puis l’application et l’analyse, la synthèse, l’évaluation … au sommet est à l’origine ou est l’image de notre façon générale de voir la formation. Des connaissances révélées lors d’un cours magistral d’abord, des exercices lors des TP et TD ensuite ou encore « connaître et appliquer » en Licence et quelques projets plus créatifs en Master … Une certaine passivité d’abord, l’activité ensuite dans les années supérieures ou pire « tu verras à quoi ça sert plus tard ».

    Une autre philosophie prend progressivement (lentement mais surement) le pas sur cette méthode traditionnelle. Vous avez entendu parler des méthodes actives, des pédagogies actives (une sorte de tautologie, l’apprentissage pourrait-il être inactif ?) : apprentissage par problèmes, par projets, apprentissage collaboratif (on construit les connaissances en interaction avec les autres).

    Dans l’apprentissage par problèmes, une situation complexe, authentique, actuelle … est proposée aux élèves. Un problème n’est pas un exercice. Il ne succède pas à la présentation de la théorie, il la précède ; il ne se termine pas par un point d’interrogation … L’élève va analyser la situation, identifier les concepts en jeu et les questions qui se posent, émettre des solutions possibles … et ce n’est qu’après qu’il va convoquer les savoirs, les connaissances.

    L’avez-vous remarqué ? La taxonomie est sur sa pointe, renversée par rapport à l’approche traditionnelle. Les savoirs apportent des réponses aux questions que les élèves se posent plutôt que … d’apporter des réponses à des questions qu’ils ne se posent pas ou qui n’ont tout simplement pas de sens pour eux.

    Et les technologies ? D’abord, elles permettent d’amener ces situations authentiques, de la vie quotidienne, sociale, scientifique, économique … dans l’espace de la classe : un extrait du journal télévisé pour démarrer le débat, une interview d’un expert, le fonctionnement d’un moteur automobile pétaradant … ou même, dans les classes inversée », d’amener le contenu, la situation … avant la classe, avant le cours proprement dit pour rendre à cet espace son potentiel d’activités et d’interactivités.

    Ensuite, elles constituent un outil d’investigation (le recherche informationnelle), de simulation (pour tester les solutions imaginées), de collaboration à distance et de conservation des traces du processus, de présentation par les élèves eux-mêmes …

     

    Tardif, J. (2006). L’évaluation des compétences : Documenter le parcours de développement. Montréal : Chenelière Éducation.

    Pour une description plus complète : Lebrun, M. (2011). Les compétences et les « CCC » : Capacités, Contenus et Contextes, Learning Outcomes, apprentissage et dispositif, approche programme … Blog de M@rcel.

     

     

  • Les compétences au cœur du dispositif pédagogique

    Les compétences au cœur du dispositif pédagogique

    Dans mes études des rapports entre technologies (au sens le plus large) et pédagogies, j’utilise souvent des « fondamentaux » comme éléments structurants de ma compréhension, de mon analyse, de mes conclusions (toutes provisoires) et perspectives. Un de ceux-là est certainement le principe de cohérence.

    Il s’agit d’une déclinaison de l’alignement constructiviste de John Biggs (1) qui met en évidence la nécessaire et fertile correspondance entre les objectifs que l’on veut atteindre (plus précisément que les étudiants devront atteindre), les méthodes et activités qui seront proposées et … l’évaluation de l’atteinte des premiers. J’ai ajouté (2) à ce triplet objectifs-méthodes-évaluations les outils technologiques par leurs rapports avec, à la fois, les objectifs, les méthodes et l’évaluation.

    Banal ? Non pas tellement comme nous allons le voir !

    Depuis quelque temps déjà, un mot fait frémir les différents niveaux d’enseignement et tout autant, provoque enthousiasme ou incompréhension voire résistances chez les uns et les autres : compétences ! Malgré une cacophonie sémantique, il s’agit là aussi d’une forme de cohérence à établir ou à rechercher entre des contenus (les savoirs), des capacités (les savoir-faire) et des contextes d’application.

    Certaines se libèrent même des contenus et des contextes spécifiques pour atteindre un statut de transversalité : esprit critique, travail d’équipe, communication, synthèse, créativité … Elles sont transversales dans les sens d’être utiles et utilisées dans toutes les disciplines, de se construire toute la vie durant (de l’école à la vie socio-professionnelle et ne sont jamais achevées) et finalement d’être démultiplicatrices : leur maîtrise même partielle permet de faire d’autres choses (acquérir des savoirs, développer des aptitudes …).

    Exerçons le principe de cohérence :

    pas mal d’enseignants conscients des évolutions des « nouveaux » modes de recherche, de travail … souhaitent contribuer à « développer le travail d’équipe » : voici notre objectif. Ils mettront assez facilement en place des travaux collaboratifs soutenus ou non par les TIC : voici pour la méthode. Une belle cohérence est ainsi mise en place comme soutien d’un dispositif pédagogique.

    Oui mais, l’évaluation ?

    Bien souvent, les étudiants se retrouvent ramenés à une évaluation des contenus bien plus facile à objectiver que le développement incrémental d’une compétence intimement liée au feu de l’action entreprise par un individu tout aussi difficile à cerner.

    En outre, comment évaluer un champ de développement auquel l’étudiant n’a pas été vraiment formé (il existe pourtant des savoirs sur les savoir-faire : comment travailler efficacement en équipe ? comment conduire un projet ?) et à propos duquel les enseignants sont si peu instrumentés.

    Un autre exemple inspiré des Tweet-Classes.

    Visant la synthèse, l’écriture collaborative sur Twitter permet l’exercice de cet esprit de synthèse … 140 caractères, c’est fort peu. Mais comment évaluer cette synthèse ? Comment former les étudiants, les élèves à ce mode d’expression contraint ?  Mon avis est que la croyance initiale qu’il faut « faire pour apprendre » (l’activité, la méthode), le Learning by doing est bien évidemment nécessaire mais insuffisant pour construire la compétence … celle-ci demande formation, activité et réflexivité : en matière de compétences, réfléchir (se donner ou donner le temps de réfléchir) sur l’activité qui s’est déroulée (learning over doing) est impératif.

    On le sait depuis longtemps. Déjà en 1983, dans son livre  Reconsidering Research on Learning  from Media Clark disait : « Instructional media…are mere vehicles that deliver instruction but do not influence student achievement any more than the truck that delivers our groceries causes changes in our nutrition » (p 445).

    Un camion qui amène les victuailles au Supermarché, ça n’améliore pas à lui-seul la santé d’une population. Après les vidéos, les logiciels éducatifs (EAO), les multimédias, les cédéroms, les sites web, l’eLearning, le Web2.0 … on devrait avoir compris, non ?

    Les valeurs ajoutées proviennent de la conjonction entre ces ressources (condition nécessaire mais non suffisante) et des méthodes proches de la façon dont un individu apprend intégrées dans des dispositifs cohérents …

    Les technologies sont à la fois support, objet, moyen (media ?) des compétences transversales dont nous avons parlé. La recherche documentaire et l’esprit critique concomitant, le travail en groupe et en réseau, la communication … toutes sont marquées par les TIC. C’est cependant intégrées dans des dispositifs (ressources, activités, acteurs, finalités …) structurés par le principe de cohérence qu’elles révèleront leurs pleines valeurs ajoutées.

    (1) Biggs, J and Tang C. (2011): Teaching for Quality Learning at University, (McGraw-Hill and Open University Press, Maidenhead). Biggs, J (2003): Aligning Teaching and Assessment to Curriculum Objectives, (Imaginative Curriculum Project, LTSN Generic Centre)

    (2) Lebrun, M. (2005a). eLearning pour enseigner et apprendre : Allier  pédagogie et technologie. Louvain-la-Neuve : Academia-Bruylant. Lebrun, M. (2005b). Théories et méthodes pédagogiques pour enseigner et apprendre : Quelle place pour les TIC dans l’éducation ? 2ème édition revue. Bruxelles : De Boeck. Lebrun, M. (2007). Quality towards an expected harmony: Pedagogy and technology speaking together about innovation. AACE Journal, 15(2), p. 115-130. Chesapeake, VA: AACE. Disponible sur Internet : http://www.editlib.org/p/21024 (Consulté le 28 mai 2013).

     

     

     

     

  • Imaginaires et promesses du numérique en éducation, par Marcel Lebrun

    Imaginaires et promesses du numérique en éducation, par Marcel Lebrun

    Histoire du personnage, Marcel Lebrun

    Avant d’être enseignant en sciences de l’éducation, Marcel Lebrun a étudié la physique nucléaire et ce n’est qu’au tout début des années 80 qu’il a commencé à s’intéresser aux micro-ordinateurs.

    « Parce que l’informatique m’intéressait, j’ai commencé à développer des logiciels éducatifs et j’ai vite vu que du côté de la partie logiciels, je maîtrisais, mais côté éducatif, ça allait moins bien ».

    Marcel Lebrun s’est donc tourné vers des pédagogues qui m’ont expliqué « que les étudiants n’étaient pas des particules élémentaires et que, la croyance que le champ magnétique de l’enseignant allait les faire apprendre, n’était pas vraiment fondé ».

    Il a suivi l’évolution des logiciels éducatifs, de l’internet, des CD Roms, le Web 2.0 et maintenant les MOOC…pour devenir maintenant un professeur en sciences de l’éducation avec toujours en point de mire, « la volonté de balancer le côté obscur de la force ».

    Ce qu’inspire « Imaginaires et promesses du numérique en éducation » à Marcel Lebrun

    Il se retrouve très bien dans cette thématique car très engagé dans tout ce qui touche à l’humain, et pour lui, « la formation et la pédagogie, ce sont des affaires humaines ».

    Pour lui, l’imaginaire est bien présent lorsqu’on parle de numérique dans l’enseignement car « on essaie bien de s’imaginer comment on sera avec le nouvel outil ».

    Quant à l’idée de « promesses », cela le séduit aussi car elle tend vers des perspectives.

    Il nous propose un titre qu’il aurait envisagé et qui colle davantage à la réalité, d’après lui : « Entre péril et promesses, place à l’imaginaire » ! Et il commente son choix dans cette première vidéo.

    Il reprend une phrase de Michel Serres qui l’inspire,

    « les nouvelles technologies nous condamnent à devenir intelligents » et pour laquelle nombre de personnes rigolent alors que c’est pourtant vrai, « avec les nouvelles technologies, nous avons à créer des choses ».

    Prochain épisode à suivre  sur www.ludovia.com, la semaine prochaine !