Étiquette : Serge Tisserron

  • Le numérique, un outil de construction et de collaboration

    «Apprendre et redécouvrir, c’est renoncer à ce qu’on savait avant» ; c’est aussi par cette définition que se traduit le numérique. Notre auteur a bien conscience que ce n’est pas chose facile pour un enseignant d’entrer dans le «moule» du numérique. Mais s’il fait l’effort de le faire, il sera vite récompensé par ce que peuvent lui offrir ces outils.

    Le numérique, un environnement rassurant

    L’environnement numérique que Serge Tisseron veut nous faire partager est sécurisant, rassurant. Pourquoi ?

    Il tient à souligner que la plupart du temps, les outils numériques sont vus comme négatifs alors qu’ils peuvent apporter toutes formes d’aide.  «Avec le numérique, chacun peut se construire sa feuille de route».

    L’aide se concrétise pour l’enseignant dans le fait qu’il va pouvoir, grâce au numérique, mesurer les compétences d’un élève à un moment donné grâce à un logiciel par exemple, l’ordinateur va pouvoir faire un graphique pour visualiser cette évolution, mais aussi valoriser l’utilisation de stratégies différentes par élève et enfin se référer à des banques de données.

    Penser plus «collectif» avec le numérique

    Aujourd’hui, l’enseignement valorise l’écrit, ce que notre interlocuteur approuve ; cependant, il préconise de passer d’une culture de l’écrit individuel à une culture de l’écrit collectif, «il est important pour un élève qui apprend de pouvoir voir combien de banque de données il a utilisé, comment il a diversifié ses sources d’approvisionnement».

    Un apprentissage plus libre

    Une fois la feuille de route définie, le numérique permet à l’élève d’organiser son parcours comme il l’entend et favorise donc la prise d’initiative : «c’est beaucoup plus motivant de pouvoir décider du moment où on va faire une chose ou une autre que de se le voir imposé». Dans cette voie, nous comprenons comment se traduit le plaisir de l’élève à utiliser les outils numériques.

    Le cadre indispensable de l’enseignant

    Dans ce «nouveau monde», l’enseignant a un rôle important à jouer, c’est de ramener les élèves à la «real life», c’est à dire les aider à organiser leurs recherches, les motiver, les encourager… Et comme les mondes numériques sont très vite gratifiants, Serge Tisseron y voit aussi un intérêt pour les élèves plus timides ou plus en difficulté. Ils peuvent, en utilisant le numérique, se sentir beaucoup plus valorisés.

    Le numérique est un monde qui offre de multiples possibilités aux élèves pour se construire un environnement rassurant d’apprentissage à choix multiples et dans lequel il vogue en toute liberté… et aux enseignants, un moyen de laisser libre cours aux initiatives tout en offrant des pistes, sans pour autant se retrouver «dépassé par les évènements».

    Se décomplexer du numérique
    Pour Serge Tisseron, les adultes et donc les enseignants doivent se «décomplexer» lorsqu’il s’agit de numérique. Les raisons souvent évoquées telles que «nous ne sommes pas des digital natives» sont sans fondement.

    Il est vrai que le numérique est très chronophage. Ceux qui ont du temps pour l’appréhender doivent pouvoir le partager avec les autres. Dans ce sens, Serge Tisseron ajoute que l’enseignant qui rencontre un problème à utiliser un outil numérique ne devrait pas avoir de complexe à demander de l’aide à ses élèves. «Avec les technologies numériques on est tous dans le même bain, on apprend tous par essai-erreur».

    Coloniser les usages : un bon moyen de rentrer dans l’ère numérique
    Un outil commun et utilisé par tous : le téléphone portable. Il voit dans les smartphones un moyen facile d’apprentissage et qui remet toute la communauté éducative au même niveau «technologique». Par cet exemple, il avance l’idée qu’il faut «coloniser les usages», «s’approprier dans l’enseignement les outils que les jeunes ont sur eux».

    En guise de conclusion, l’avenir des nouvelles technologies, vu par Serge Tisseron, n’est pas dans les équipements lourds  mais bien dans l’apprentissage des usages de ce type d’outils, qui font partie aujourd’hui du quotidien… et que les enseignants pourraient facilement apprivoiser pour parler le même langage que les jeunes.

  • L’enseignant, un guide pour introduire le numérique à l’école

    Il part du constat que l’être humain a toujours inventé de nouvelles choses qui lui ont permis de se développer physiquement ou intellectuellement.  «Avec les technologies numériques, ce n’est plus seulement une capacité de notre personne qui est augmentée, mais toutes nos capacités de penser».

    Autrement dit, elles permettraient de faire les choses plus rapidement et mieux. Mais attention, autant l’esprit est capable du meilleur, comme du pire. L’école devrait donc intervenir comme le guide d’apprentissage de ces nouvelles technologies.

    «Les institutions éducatives ont aujourd’hui une responsabilité importante, c’est de montrer aux jeunes comment utiliser le numérique de la meilleure manière afin d’éviter le basculement dans des usages problématiques».

    Aider les jeunes à utiliser les technologies numériques, cela signifie également leur apprendre à formuler leur parcours. Bien souvent, la remarque est faite que les jeunes manient très bien ces outils mais sont incapables d’expliquer ce qu’ils font.
    Serge Tisseron prend l’exemple d’un enfant qui installe un logiciel pour ses parents ; lorsque ces derniers lui demandent d’expliquer la procédure, il répond que ça ne sert à rien puisqu’ils ne comprendront pas. En fait, «le jeune est incapable d’expliquer car il s’est contenté de tâtonner».

    Outre le risque social qui plane sur l’installation du numérique à l’école (entre les enfants équipés à la maison et d’autres qui ne le sont pas), le réel danger que redoute Serge Tisseron est de voir s’établir un clivage entre les jeunes qui ont du recul par rapport à leur utilisation et d’autres qui n’en ont pas.

    Le système scolaire doit jouer un rôle important pour éviter cette fracture ; dès l’introduction des technologies numériques à l’école, devrait être mis en place une forme de tutorat. L’enseignant pourrait naturellement demander à un élève un éclaircissement sur telle ou telle technologie aussi bien qu’un élève pourrait l’expliquer à un autre élève.

    «L’introduction des technologies numériques à l’école, ce n’est pas seulement faire les mêmes choses autrement, c’est une manière de repenser tout l’enseignement».

    Aujourd’hui, Serge Tisseron fait le constat d’une mauvaise approche du numérique à l’école.

    «La plupart du temps, l’enseignant utilise les technologies numériques pour contrôler les élèves, leurs performances,(…) donc le numérique est introduit par le contrôle (…) Or, un adolescent n’a qu’une envie, c’est d’y échapper».

    L’enseignant devrait être un guide dans cette découverte ; et pour que cela fonctionne, il faut laisser de l’autonomie à l’élève. L’enseignant peut tout à fait donner un objectif à la classe et laisser chacun prendre son propre chemin pour y parvenir, tout en créant ses propres contacts. C’est une des clés de Serge Tisseron pour réussir à faire accepter le numérique scolaire aux jeunes.

    Ensuite, c’est à l’enseignant de vérifier les étapes que l’élève a franchi pour atteindre le résultat, d’où l’idée développée précédemment de savoir formuler son parcours.

    «La nouveauté des technologies numériques est que l’enseignant n’est plus celui qui fixe les objectifs et qui vérifie que le même parcours a bien été suivi par tout le monde ; mais c’est celui qui fixe les objectifs et qui s’intéresse à la manière dont chaque élève va pouvoir obtenir le résultat en suivant un parcours personnel».

    L’intérêt des technologies numériques est qu’elles permettent de garder une trace du parcours personnel de chaque élève, laissant la possibilité à celui-ci de le consulter à tout moment et de le confronter à ceux de ses camarades. L’enseignant pourra ressortir de ces travaux les avantages et les inconvénients de chaque stratégie.

    Le numérique permet donc un échange entre tous les membres de la classe. 

    Nous sommes loin du modèle frontal élève-enseignant qui prédomine aujourd’hui. Serge Tisseron voit dans le numérique un bon moyen de changer ce modèle.

  • Plaisir d’apprendre et technologies numériques dans l’éducation

    Premier épisode de notre Série « L’e-éducation sur le divan avec Serge Tisseron »

    Commençons par le modèle de toute relation ludique. Inutile d’insister sur le fait que le lien unissant un bébé à son adulte de référence soit, de part et d’autre, tissé de plaisirs. Si ce n’était pas le cas, l’adulte se détournerait vite de l’enfant et celui-ci aurait tôt fait de se désintéresser du monde. Le Moi en construction ne se nourrit que de plaisirs ! Plaisirs d’échanger, de se regarder, de se sourire, d’interagir de la voix et du geste, et de voir ses propositions relayées, amplifiées et transformées par l’autre.

    C’est dans cette première relation mutuelle et réciproque – cette «dyade» – que se mettent en place les fonctions mentales nécessaires au développement ultérieur de l’attention, de la concentration, de la prise de risque et du bonheur de la découverte. Et tout cela est possible parce que ce premier environnement réunit plusieurs caractéristiques.

    D’abord, il est rassurant
    La mère ne soumet jamais l’enfant à des situations émotionnelles qu’il ne peut pas gérer, et ces situations, qui sont en nombre limitée – la tétée, le change, les premiers jeux – sont prévisibles. En même temps, l’enfant vit ce premier environnement comme indestructible et transformable à l’infini. En outre, il réagit selon ses caractéristiques propres aux sollicitations de l’enfant et il le sollicite autant que celui-ci le sollicite. Enfin, il est disponible à tous moment, ce qui permet à l’enfant de le percevoir comme fidèle inconditionnellement. Ces cinq caractéristiques font du premier environnement ce qu’on appelle un «medium malléable» .

    Evidemment, l’être humain a toujours rêvé de fabriquer des objets qui lui permettent de renouer avec les illusions et les bonheurs qui président à ce stade du développement. Or c’est maintenant possible avec les technologies numériques… pour le meilleur et pour le pire.

    Pour le meilleur, ces technologies permettent de renouer avec le jeu comme support d’expérimentation et de découvertes. C’est possible parce que les espaces numériques sont d’abord rassurants. En effet, les réponses qu’ils apportent sont récurrentes et les difficultés auxquelles ils confrontent sont à tout moment adaptées aux possibilités de chaque utilisateur. Chaque élève y trouve un niveau de difficultés adapté à ses compétences. C’est ce qu’on appelle la motivation de sécurisation.

    En plus, ces mondes permettent la visualisation à tout moment des parcours accomplis et à accomplir.
    Cette caractéristique permet de sortir de la logique de l’immédiateté et de se projeter dans une temporalité plus longue. Le pilote d’un avion a besoin de connaître son point de départ et son point d’arrivée pour construire sa «feuille de route», et toute personne en situation d’apprentissage est dans la même situation. Il doit avoir conscience du parcours à accomplir et du temps dont il dispose pour le réaliser, qu’il s’agisse de l’année scolaire ou d’un trimestre. Or la virtualisation permet de visualiser au fur et à mesure quatre domaines essentiels aux apprentissages : l’état des connaissances au départ, les progrès dans les compétences,  la diversité des stratégies utilisées et enfin la nature des contacts et des liens mobilisés, notamment dans le recours aux pairs et aux bases de données.

    Ce pouvoir de réassurance est essentiel. En effet, tout apprentissage confronte à une remise en cause de ce qu’on croyait établi. Jean Piaget avait déjà repéré ce processus dans les années 1930 . Accepter la nouveauté est souvent difficile, c’est pourquoi sa découverte doit s’accompagner d’un climat de sécurité pour que la déstabilisation cognitive ne soit pas trop forte et n’inhibe pas l’apprentissage. Les technologies numériques réalisent d’autant mieux cet objectif qu’un écran ne juge pas et ne condamne pas. Elles participent ainsi à la fois au renforcement des connaissances et de la confiance en soi des utilisateurs.

    Les mondes numériques sont également indestructibles et transformables à l’infini. 
    Chacun y organise son temps comme il le souhaite et y construit son propre parcours. Ils permettent donc de s’autodéterminer. C’est la motivation d’innovation. L’utilisateur d’un espace numérique éducatif peut y consulter des documents selon son rythme et son goût (c’est l’interaction de consultation) et aussi voir apparaître des informations au fur et à mesure de ses explorations (c’est l’interaction de navigation). Ces deux formes d’interactions contribuent ensemble à entretenir le désir de s’engager dans les espaces virtuels et d’y progresser. Elles constituent ainsi un puissant levier de motivation intrinsèque.

    Enfin, les mondes numériques sont toujours accessibles et disponibles.
    Chacun peut y travailler aux moments où il le souhaite. Du coup, leurs utilisateurs ont la possibilité de s’y confronter quand ils se trouvent dans un état d’esprit favorable et pour la durée qui leur convient.

    Mais les technologies numériques peuvent aussi favoriser une activité compulsive et dissociée. C’est le cas  lorsque les premiers échanges avec le monde ont été marqués par l’insécurité et des frustrations excessives. Le risque est alors que l’usager utilise son ordinateur pour oublier sa souffrance. A la limite, il établit  avec son ordinateur une situation que j’ai appelée de dyade numérique  parce qu’elle tente de reproduire les conditions idéales d’une première relation mère bébé…. évidemment sans jamais y parvenir.

    Il dépend alors d’une présence éducative à ses côtés que l’utilisateur s’engage d’un côté ou de l’autre. Le bon usage des espaces numériques nécessite parfois un accompagnement. C’est le rôle de l’enseignant, à condition, bien entendu, qu’il ait lui même utilisé ces technologies pour apprendre, et qu’il en connaisse les plaisirs, et les impasses.

    Serge Tisseron, janvier 2012