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  • Le numérique à l’école : on fait quoi, maintenant ?

    Le numérique à l’école : on fait quoi, maintenant ?

    Par Jacques Cool
    Image : Pixar Films

    Ces poissons d’aquarium qui rêvent de vivre librement dans l’océan, qui font tout pour y arriver. Et là, on les voit, chacun dans son sac transparent, quittant le bureau, traversant la rue pleine de voitures, sautant dans l’eau du port de Sydney et célébrant leur réussite alors qu’ils flottent allègrement à la surface de l’eau, dans leur sac.

    Et puis cette réplique savoureuse : « Bon, on fait quoi maintenant ? » 🙂

    J’aime cette scène car elle nous rappelle des situations de vie personnelle et professionnelle; nous travaillons forts pour mettre en place une initiative, convaincre des gens, dégager des ressources, planifier les actions, surmonter les défis, les oppositions et l’indifférence de ceux qui ne prennent pas trop la peine de comprendre de quoi il s’agit, faire rayonner des réalisations, etc.

    Et pourtant, ce sentiment bizarre que la montagne franchie ne fait que rendre visible de nouveaux sommets plus loin. Quelques exemples comme ça, particulièrement pour le domaine des technologies à l’école :

    –          de nouveaux appareils numériques dans une école,
    –          l’accès à des applications de qualité,
    –          une connectivité plus performante,
    –          une participation à une conférence majeure,
    –          un plan de perfectionnement pédagogique axé sur les TIC qui reçoit un go!,
    –          un accès à une plateforme afin de se lancer dans une expérience d’apprentissage hybride,
    –          la création d’un blogue de classe ouvert et accessible,
    –          une initiative AVAN (BYOD) qui est acceptée,
    –          un réseau plus ouvert pour les professionnels de l’éducation,
    –          …

    Au fond ces cibles, il faut les voir comme des phares de mer (un de mes symboles préférés) vers lesquels on se dirige et qui nous guident. Mais ces phares se déplaceront toujours plus loin (the moving beacon) et nous incitent à poursuivre, à recommencer, à se revitaliser. J’imagine que les poissons d’aquarium sont en voie de rejoindre Nemo et son père sur le corail du Pacifique. J’imagine aussi leurs efforts renouvelés pour y arriver.

    C’est la même chose en éducation. Cette école, vibrante, ouverte, connectée sur le monde, où le jeune est l’acteur principal, on commence à la voir ici et là.

    Mais il reste beaucoup à faire. Pour nous guider, je retiens cet extrait fort éloquent du Equinox Blueprint: Learning 2030, qui nous rappelle :

    Imagine if we could gaze into the future and see the implications of our present-day approaches to important challenges. What would we do differently now to help build a better world for the next generation?

    Equinox Blueprint Learning 2030

    (Equinox Blueprint: Learning 2030, page 5.)

    Car le vrai défi, pour savoir « c’est quoi qu’on fait maintenant ? » réside grandement dans notre capacité de pouvoir se transposer dans un autre modus vivendi ou modus operandi, plus en synchro avec les réalités du monde aujourd’hui (et celui que l’on peut anticiper, autant que possible), ainsi que de savoir mettre de côté nos représentations souvent axées sur un modèle, voire un monde, qui n’est plus celui dans lequel vivent nos jeunes, qu’on le veuille ou non. C’est alors qu’on s’y lance avec plus de confiance, plus éclairés.

    « Le problème avec l’école, c’est qu’on y est tous allé. » dit Ron Canuel.

    Mais, des boules de crystal, ça n’existe pas, impossible de prédire l’avenir…

    Vrai. Toutefois, il y a des développements, des usages et des indications qui peuvent guider notre vision et nos actions. Des énoncés, certaines plus audacieuses que d’autres, qui risquent de rendre obsolètes ceux qu’on énonçait il y a à peine 10 ou 15 ans (le monde a bien changé…) et qui ont le vilain défaut de perdurer dans l’esprit de nombre d’intervenants. En voici quelques-unes, compilées par des éducateurs britanniques :

    – La prochaine génération d’enseignants, plus techno, plus branchée. Le nombre d’enseignants qui « ne font pas de techno » qui diminuera.

    Soit, ils seront en classe, avec leur appareil mobile/tablette et comptes Twitter ou Facebook ou autre réseau social qui prédominera, mais je me permets ce petit bémol : attention à cette généralisation, tout comme celle des « natifs numériques » (et c’est un gars de 55 ans qui vous écrit ceci 🙂 ).

    Le vrai défi est/sera celui des facultés de l’éducation qui formeront cette génération d’enseignants et qui n’auront plus le choix que de s’actualiser à la lumière des changements en profondeur sur nos finalités, la pédagogie, le numérique, nos rapports au savoir.

    – Portabilité 

    fini les labos d’ordinateurs bien ancrés au sol. Place aux tablettes, aux mobiles, au BYOD et même le BYON (bring your own network). Les sorties en milieu naturel, aux musées, les projets partout dans l’école et dans la communauté ne s’en porteront que mieux, à mon avis (lire : apprentissages des jeunes).

    – La vitesse de l’innovation

    Un grand défi pour tous les enseignants, celui de rester à l’affût des avancées et des nouvelles possibilités sans ressentir la noyade technologique; du moins, être au courant et accepter de se placer dans un mode « bêta perpétuel ». L’enseignant est apprenant et n’apprend plus seul. Marc Prensky a déjà dit : « You don’t need to know ALL the technology but you should know ABOUT the technology. »

    – La pertinence pédagogique

    Fini les bidules ou les apps qui prétendent être LA révolution en éducation. L’enseignant saura discerner la valeur pédagogique des outils car son référentiel pédagogique aura évolué et le point d’entrée sera invariablement celui de la pédagogie. Cette force sera de plus en plus prisée et prise en considération par les concepteurs de nouveaux produits/services numériques. Du moins, on le souhaite vivement.

    – La créativité 

    Ahh, je ne peux m’empêcher que de reproduire ici cette belle phrase de Katrina Schwartz dans Mindshift et qui résume bien l’apport de la créativité à l’école transformée :

    « If it’s true, in Sir Ken Robinson’s words, that “Creativity is not an option, it’s an absolute necessity,” then it’s that much more imperative to find ways to bring creativity to learning. »

    – La fiabilité 

    Ces ordis qui prennent 12 minutes à démarrer, des piles à faible rendement, un réseau peu fiable, des filtres internet frustrants, des mises à jour qui n’en finissent plus. Les outils, la vitesse et l’infrastructure de réseau seront de plus en plus performants et fiables. Plus de temps « hands on, minds on » alors.

    – La connectivité

    pas celle des réseaux (voir le point précédent) mais bien celle des gens, des professionnels, de la communauté et des jeunes. Le partage d’idées, de créations, de débats ne se limitent plus à la classe ou au « public de 1 ». On partage, on apprend ensemble. Avec des gens d’à-côté ou de l’autre bout du monde. Le face-à-face et le virtuel se complémentent et permettent des connexions plus fortes, plus vraies, plus stimulantes. L’isolement professionnel sera un choix de l’enseignant.

    – Les coûts

    On a vu depuis 15 ans environ des coûts et des achats à grande échelle qui ont eu l’effet pervers de limiter toute nouvelle tentative de renouvellement ou de déploiement à plus grande échelle, surtout avec un contexte économique mondial et local difficile.

    Leaders, teachers and students are now seeing through this, demanding costs come down to a more reasonable level and not being hood-winked into thinking they need technology because the marketers tell them. The shift of balance will once again fall onto the schools, which will drive down costs by shopping around more sensibly. Schools will reduce their costs by encouraging pupils to bring in their own devices into lessons, with less emphasis on the school providing tech. Leaders who ‘get tech’ will be at the forefront of innovation, with many who don’t expected to leave the profession within the next ten years.”

    – La simplicité

    Ou plutôt la convivialité d’usage des outils performants. Cela contribue grandement à ce sentiment de « pouvoir d’agir », ce qui sera bénéfique pour tous les usagers, experts ou profanes. Une meilleure courbe d’adoption est à anticiper alors.

    Et plus concrètement, on parle de quoi quand il s’agit de l’école « de demain » ? (*Ouf, je n’aime pas ce terme car il sous-entend qu’on peut la remettre à plus tard…)

    En 2009, Shelly Blake-Plock identifiait 21 choses qui seront obsolètes en 2020. Nous sommes à mi-chemin entre ce billet de Blake-Plock et cette année-phare que semble devenir l’an 2020.
    –          Pupitres d’élèves
    –          Laboratoire de langue
    –          Salle d’ordinateurs
    –          Les devoirs à la maison
    –          Les résultats aux examens externes comme critères d’entrée au post-secondaire
    –          L’enseignement à « la tranche du milieu »
    –          La crainte de Wikipedia
    –          Les livres en format papier seulement
    –          Le bureau des assiduités
    –          Les casiers
    –          Les Services informatiques
    –          Les institutions centralisées
    –          L’organisation par niveaux/grades scolaires
    –          Les classes sans technologie
    –          Le développement professionnel fourni par des agences externes
    –          Le curriculum bien ancré dans le roc
    –          La soirée parents-maître
    –          La  bouffe à la caféteria/cantine
    –          Les sites web montés par services externes spécialisés
    –          L’algèbre 1 pas avant le niveau secondaire
    –          Le papier, toujours le papier

    Où en sommes-nous, réellement ? La discussion est ouverte… Mais parions que plusieurs éléments de cette liste seront toujours là en 2020…

    Et référentiel technopédagogique dans tout ceci ? Il y a des pistes, de bonnes. Notamment, l’initiative de perfectionnement pédagogique iClasse, les normes ISTE-NETS, traduites par Marc-André Girard, et le référentiel Destination Réussite, volet II, qui nous offre notamment cette vidéo :

    Et l’organisation de l’école, dans un tel paradigme ? Les exemples sont de plus en plus nombreux, heureusement…

    logos écoles

    Celui que je retiens ces temps-ci est le cas de la Science Leadership Academy de Philadelphie, une école publique dans un quartier avec défis socio-économiques.

    Son directeur, le fantastique Chris Lehmann et son équipe ont pris le soin de décrire comment TOUTES les composantes pédagogiques et fonctionnelles dans leur école (l’organisation du temps, les espaces d’apprentissage, les rubriques d’évaluation, les activités d’apprentissage par projets signifiants et engageants, le curriculum, voire même le processus d’embauche des enseignants, etc.) sont calquées, façonnées, inspirées par, reliées à, conçues en fonction du profil de l’élève-apprenant qui y vit. Inspirant. Leur conférence est un must.

    Et puis, en parlant de conférences à caractère technopédagogique, je me permets un constat encourageant : le propos de fond, et en large, est surtout d’ordre pédagogique, les outils viennent après qu’on s’installe dans un référentiel où l’apprentissage est au coeur des interventions. Clair 2014, Sommet iPad 2014, Awakening possibilities, et j’en passe… On discute, on réseaute, on apprend.

    Des outils qui permettront à nous, ces poissons d’aquarium qui visent ou qui avons atteint la mer, d’aller au large et de se rapprocher un peu plus de cette école qu’on imagine, qu’on désire pour chaque enfant.

    Avant 2030, peut-être ?

    Retrouvez Jacques Cool sur son blog : http://zecool.com

  • Le leadership en éducation : participatif et collaboratif ?

    Le premier sujet porte sur le comportement de l’élève au travers du Mobile Learning (apprentissage mobile), sans se limiter à l’environnement scolaire ; le deuxième présente le concept de « BYOD » ou « AVAN » en français qui signifie « apporter votre appareil numérique » et qui suppose de tirer profit de l’usage quotidien du numérique par une utilisation intelligente à l’école. En troisième point, il est question de la formation des enseignants à qui sont offerts ces nouveaux outils ; enfin, les questions de « leadership » et de décideurs sont abordées en guise de conclusion.

    Pour réussir le virage numérique des écoles, personne ne niera l’importance du leadership assumé par les dirigeants, qu’ils soient directeurs ou politiciens. Il faut se rendre à l’évidence, toutefois, que les meneurs sont trop peu nombreux pour la nature herculéenne de la tâche. À l’échelle nationale, l’audace de Julia Gillard, première ministre d’Australie, est rarissime. Les révolutions, heureusement, créent leurs propres leaders.

    En démocratisant les moyens de publication, les nouvelles technologies de la communication ont aussi diffusé le pouvoir. Ipso facto, l’influence, les hiérarchies et le leadership se sont disséminés. L’influence se joue désormais dans la mémétique des réseaux, la hiérarchie des hyperliens se moque des institutions, tandis que le leadership est assumé par les créateurs, les innovateurs et les acteurs bien avant les décideurs. Dans ce changement paradigmatique mu par le numérique, le leadership n’est plus pyramidal, mais rhizomatique et réticulaire.

    Avec l’avènement des réseaux, le leadership est distribué. Parfois même, il est partagé, car la collaboration permet de prendre des risques que l’individu seul ne saurait prendre. Celui qui veut changer les choses ne ciblera pas les gens, mais l’environnement dans lequel ils évoluent, de sorte qu’ils puissent changer eux-mêmes.

    Le leadership en éducation n’est plus seulement assumé par les éducateurs. Des visionnaires en nouvelles technologies ont transformé l’éducation sans préméditation pour autant. Je pense notamment à Vincent Cert (Internet) et Tim Berners-Lee (Web), Steve Jobs (Apple), Jimmy Wales (Wikipédia), Sergey Brin et Larry Page (Google), Chad Hurley et Steve Chen (YouTube), et j’en passe. Sans pour autant dénigrer les théoriciens de l’éducation, lequel d’entre eux a plus transformé l’apprentissage cette dernière décennie que Google ?

    Les jeunes sont conscients du pouvoir que leur confèrent les TIC et les réseaux. On voit bien qu’ils forcent les enseignants et les institutions au changement. Les jeunes ne sont pas seuls, évidemment. Plusieurs professionnels de l’éducation, dont des directions d’école, sont aux commandes et ne craignent pas d’innover. Le maillage des élèves, des enseignants, des gestionnaires, des chercheurs, des autres professionnels de l’éducation, voire de certains politiciens, parents et journalistes illustre bien la dissémination de l’autorité à laquelle nous faisions allusion plus tôt.

    Nous assistons ainsi à l’émergence d’une structure informelle de gestion participative en réseau que l’on pourrait qualifier de cogestion collective. Du coup, le partage du contrôle devient une évidence.

    Cette cogestion collective est bien soulignée par des auteurs tels l’américain Will Richardson (« Why school ?« ) et le canadien Michael Fullan (« All Systems Go« ). À cette cogestion, Fullan ajoute l’engagement personnel des gens en autorité, tel qu’un chef d’État, des cibles prioritaires judicieusement établies et, à la base (dans une école, en particulier), d’un engagement de tous. Il nous rappelle, fort heureusement, que le succès engendre le succès. Devant une certaine urgence de transformer le monde de l’éducation, on ne peut qu’être encouragé par de tels propos. En fin de compte, ce n’est une gestion des ressources humaines comme une gestion humaine des ressources qui saura susciter un engagement des acteurs et de leurs partenaires, pour le bénéfice direct des apprenants. La mesure de l’innovation doit incontournablement se faire en termes de leurs succès, i.e. la qualité de leur apprentissage.

    Au regard de la sclérose que manifestent certaines institutions, il n’y a pas de leadership sans audace, ni délinquance. La culture libérale qui prévaut le plus souvent dans les écoles canadiennes a assez bien servi les innovateurs et l’expérimentation pédagogique en matière de TICE. Puisque l’union fait la force, le maillage de tous ces explorateurs confère à cette communauté éparse un rayonnement qui permet non seulement de résister aux détracteurs, mais d’assumer la direction des changements à venir. Ludovia bâtit en France les mêmes leviers.

  • Le perfectionnement professionnel revu et corrigé


    Le premier sujet porte sur le comportement de l’élève au travers du Mobile Learning (apprentissage mobile), sans se limiter à l’environnement scolaire ; le deuxième présente le concept de « BYOD » ou « AVAN » en français qui signifie « apporter votre appareil numérique » et qui suppose de tirer profit de l’usage quotidien du numérique par une utilisation intelligente à l’école. En troisième point, il est question de la formation des enseignants à qui sont offerts ces nouveaux outils ; enfin, les questions de « leadership » et de décideurs sont abordées en guise de conclusion.

    Entamer la profession d’enseignant est le début d’une aventure professionnelle et non la fin d’un parcours de formation. Que ce soit sur des questions de pédagogie, de didactique ou de l’intégration judicieuse des TICE, chaque professionnel de l’éducation est interpelé à s’engager dans un processus de formation continue, car le métier, rappelons-le encore, reste en transformation constante, voire accélérée en ces années de développements technologiques importants. La formation professionnelle, somme toute, est affaire d’apprentissage. Il n’y alors aucune raison pour que les enseignants ne bénéficient des mêmes avantages liés aux technologies numériques qui contribuent tant à l’apprentissage chez les élèves.

    La vitesse phénoménale du changement concernant les technologies de l’information et de la communication a une double implication pour les enseignants. D’abord, ils s’avèrent de formidables moyens d’apprentissage sur le plan de la formation professionnelle; mais surtout, ils constituent des outils dont les affordances sur le plan de la créativité et de la coopération donnent lieu à des méthodes pédagogiques qui étaient impensables avant l’avènement des TICE. Abstraction faite du connectivisme, qui est une théorie de l’apprentissage, des phénomènes tels que l’apprentissage en ligne (e-learning), l’apprentissage nomade (m-learning), l’apprentissage bimodal (blended learning), l’apprentissage adaptatif (adaptive learning), l’instruction inversée (flipped classroom), le microlearning, les environnements d’apprentissage personnalisés, et les MOOCs permettent déjà de nouvelles applications pédagogiques malgré que nous soyons seulement à l’aube des TICE.

    L’enseignement est la seule profession dont la formation commence dès la maternelle. Dans le changement paradigmatique qu’entraînent les TICE, par conséquent, l’enseignant doit procéder à certains désapprentissages ou, du moins, à remettre en question des pratiques établies. En ces temps de changement, ce n’est pas seulement de formation dont nous avons besoin, mais de déformation.

    La formation professionnelle, si elle doit suivre le rythme de l’évolution, repose sur les réseaux électroniques. En outre, la formation aux réseaux passe indubitablement par lesdits réseaux. Aussi observe-t-on une fracture du second degré : la formation en réseaux n’est pas seulement une question de technicité informatique; c’est beaucoup une affaire de culture numérique.

    En plus de donner accès à l’information en tout temps et en tous lieux, ce qui en soi constitue une révolution, la plasticité numérique confère à l’utilisateur le façonnage de ses outils. Les environnements d’apprentissages personnalisés, puis les réseaux d’apprentissages personnalisés, permettent à quiconque d’être l’agent de son changement, agissant non seulement sur le contenu, mais sur le média, de sorte que ce dernier, comme l’avait entrevu McLuhan, s’avère le corps du message.

    Traditionnellement, la formation des enseignants se fait par le biais de l’oral et de l’imprimé (bien souvent dans des moments structurés et formalisés), tandis que les jeunes apprennent à la vitesse des réseaux. Au Canada du moins, elle mise principalement sur la formation en présence, alors que les conseillers pédagogiques ou les directions d’établissement donnent une formation sur un point précis à l’ensemble de l’équipe enseignante réunie. Cette façon très occasionnelle de former l’ensemble du corps enseignant ne suffit plus à l’énormité des besoins de formation.

    Voilà pourquoi des efforts sont faits pour varier l’offre de formation professionnelle afin de répondre non seulement à la diversité de la clientèle, mais à la panoplie des nouveaux moyens. À la formation en présentiel, dont plusieurs dépendent, des efforts sont faits pour initier les enseignants à la formation en ligne, puis à la formation en réseaux, plus informelle et en temps réel. La tendance révèle manifestement un effort pour libérer les enseignants de leur dépendance à la formation institutionnalisée, vers une autonomie d’apprentissage. Sans cette autonomie de formation, nous, les auteurs de ce texte, ne serions probablement jamais passés de la classe au ministère de l’Éducation.

    Le bénéfice est double. D’une part, on libère l’institution d’une très grande part du fardeau de la formation, laquelle de toute façon ne suffit plus à la demande. D’autre part, on transforme les enseignants de demandeurs de formation qu’ils étaient, en formateurs actifs au sein des réseaux.

    La complémentarité des stratégies de formation, fussent-elles en présentiel, à distance ou en réseaux, assure une relative harmonisation et mutualisation des besoins institutionnels et personnels. En ajoutant les élèves à l’équation, on augmentera encore la synergie de formation.

    Jamais l’expression « enseignant en tant qu’apprenant », interpelante et porteuse de potentiel, n’aura eu autant de sens pour une profession appelée à se transformer.

  • La technologie des élèves bientôt dans les classes ?

    Le premier sujet porte sur le comportement de l’élève au travers du Mobile Learning (apprentissage mobile), sans se limiter à l’environnement scolaire ; le deuxième présente le concept de « BYOD » ou « AVAN » en français qui signifie « apporter votre appareil numérique » et qui suppose de tirer profit de l’usage quotidien du numérique par une utilisation intelligente à l’école. En troisième point, il est question de la formation des enseignants à qui sont offerts ces nouveaux outils ; enfin, les questions de « leadership » et de décideurs sont abordées en guise de conclusion.

    L’accélération de l’évolution fait en sorte que les élèves ne peuvent plus continuer à dépendre des achats nationaux ou locaux. En outre, l’uniformité des appareils numériques dans les institutions scolaires sert mal les élèves, lesquels doivent apprendre à composer avec la diversité des outils numériques. La plupart des élèves, de toute façon, possèdent déjà des ordinateurs qu’ils ont personnalisés, tant sur le plan de l’environnement de travail que de la méthode, voire les compétences. L’imposition d’un appareil numérique dont l’environnement et les fonctions sont limités est perçue par les élèves non comme un moyen d’autonomisation (empowerment), mais une forme de ralentissement des possibilités (power down).

    Profitant de l’essor fulgurant des mobiles personnels, certaines écoles adoptent une nouvelle stratégie TICE qui repose sur l’utilisation des dispositifs des élèves. Le phénomène, auquel on a donné le nom « BYOD » (Bring Your Own Device), est désigné en français par l’acronyme AVAN (apportez votre appareil numérique). Au Canada comme ailleurs, malgré les hésitations des services informatiques et des directions, le mouvement gagne des adeptes. Le plus souvent, les écoles qui ont mis en place des programmes d’un ordinateur par élève se sont laissées envahir par les dispositifs des élèves. On citera, en guise d’exemples, le Centre d’apprentissage du Haut Madawaska.

    Tout utilisateur du numérique reconnaît les avantages d’un appareil qu’il s’est approprié. Dès lors que les technologies du numérique sont là pour rester, et du fait de leur indispensabilité, il importe d’éduquer les enfants à leur consommation. Par consommation, nous entendons ici non seulement l’achat et l’utilisation personnelle d’un bien, mais l’analyse critique, l’utilisation citoyenne, le partage, la préservation, l’entretien, la réutilisation et le recyclage de ce bien. Ainsi, mieux que les TICE gérées par l’institution, l’AVAN fait que les élèves apprennent à devenir des consommateurs responsables et contributeurs avertis du numérique.

    Par souci d’objectivité, l’AVAN n’a pas que des avantages pour un système scolaire. Online Colleges résume bien les avantages et les inconvénients de l’AVAN, que nous traduisons ci-dessous :

    Avantages :
    • les élèves utilisent des appareils qui leur sont familiers ;
    • économies pour les écoles qui n’ont pas à payer les appareils ;
    • les élèves sont plus enclins à prendre soin du matériel et à ne pas l’oublier ;
    • les élèves sont plus engagés et en contrôle de l’apprentissage ;
    • ils ont accès à des technologies plus d’avant-garde.

    Désavantages :
    • les TIC ne sont pas à la portée de tous les budgets familiaux ;
    • les élèves sont plus enclins aux distractions sur leurs propres appareils ;
    • les applications ne sont pas compatibles avec tous les systèmes d’opération ;
    • il peut être difficile de communiquer entre les appareils ;
    • coûts additionnels sur le plan de la sécurité et des services informatiques.

    Les désavantages de l’AVAN varieront considérablement en importance selon le contexte et les conditions d’utilisation. La stratégie fait peu de sens dans une classe où les élèves sont constamment sous l’empire de l’enseignant. L’AVAN nécessite une pédagogie particulière centrée sur l’apprenant, sur la différenciation, sur l’autonomisation et sur la collaboration, des considérations dont les spécialistes de l’éducation reconnaissent aujourd’hui l’importance.

    L’AVAN ne favorise pas nécessairement les riches. Puisque les jeunes sont aujourd’hui plus enclins à partager, ils se prêtent et s’échangent volontiers les appareils numériques, de sorte que ceux qui en sont dépourvus ont néanmoins l’occasion d’apprendre à utiliser les appareils avant d’en acquérir. Les plus fortunés jouissent déjà de l’avantage des mobiles à l’extérieur de l’école. En les admettant à l’école on permet à tous de faire certains apprentissages, ne serait-ce que par observation.

    On assiste à une plus grande ouverture face aux initiatives AVAN de la part des responsables en services informatiques. Des stratégies de gestion des appareils qui accèdent aux réseaux (liste « blanche », meilleurs points d’accès sans fil, logiciels de gestion de mobiles, concertation avec les éducateurs, politiques d’utilisation) font en sorte que les écoles s’ouvrent à cet influx d’appareils. Conséquemment, il y a une responsabilité accrue qui revient à chaque utilisateur, en soi une forme d’éducation associée à la gestion de l’identité numérique.

    Devant ces considérations pédagogiques, techniques, administratives et d’équité d’accès, il convient de lister quelques conseils (tirés de cet article en anglais) pour les instigateurs de l’AVAN en milieu scolaire :
    1.    Soyez explicites quant aux buts et aux options et affichez les bénéfices pédagogiques. Ceci aidera à la mesure de vos progrès.
    2.    Un plan clairement articulé favorisera l’engagement des autorités et des parents, ainsi que l’appui de partenaires.
    3.    Déterminez si vous permettrez les appareils en connexion wifi ou 3G/4G.
    4.    Mettez à jour (ou générez) une charte d’usages appropriés en employant un ton proactif. mais qui balise clairement les usages. Avec la liberté vient la responsabilité.
    5.    Établissez les protocoles d’appui et de soutien technique par les services informatiques de votre institution.
    6.    Accompagnez les enseignants dans leur appropriation professionnelle de l’AVAN : approches pédagogiques qui intègrent judicieusement les mobiles, soutien technique de premier niveau (troubleshooting).
    7.    Ayez un plan clair qui s’adresse aux questions d’équité d’accès : une flotte d’appui pour ceux et celles qui n’ont pas d’appareil, représentant une fraction de ce qu’un programme 1:1 coûte.
    8.    Préparez votre réseau sans fil pour l’influx d’AVAN afin que ces appareils soient dirigés vers un LAN distinct (séparé du réseau sécurisé principal, genre ‘Invité’) à bande large.
    9.    Offez une plateforme mobile, collaborative et sécurisée afin que les élèves, les parents et enseignants puissent y télécharger travaux, messages, ressources et discussions, etc.
    10.   L’AVAN est un changement énorme pour une école : soyez préparés, mais soyez flexibles. Les pépins de parcours font aussi partie du processus d’apprentissage.

    L’AVAN ne doit pas être évalué au regard de quelques difficultés actuelles, mais comme une éducation à l’avenir. Apprendre à apprendre, c’est voir à la formation continue; or, si on ne forme pas aux réseaux et à l’autonomie, alors on est en formation discontinue.

    Apprendre, ou dépendre, là est la question de l’éducation.

    Crédit image : http://www.onlinecolleges.net

  • L’apprentissage mobile, un succès garanti ?

    Le premier sujet porte sur le comportement de l’élève au travers du Mobile Learning (apprentissage mobile), sans se limiter à l’environnement scolaire ; le deuxième présente le concept de « BYOD » ou « AVAN » en français qui signifie « apporter votre appareil numérique » et qui suppose de tirer profit de l’usage quotidien du numérique par une utilisation intelligente à l’école. En troisième point, il est question de la formation des enseignants à qui sont offerts ces nouveaux outils ; enfin, les questions de « leadership » et de décideurs sont abordées en guise de conclusion.

    De tout temps, l’apprentissage a été mobile. Tous deux dans la nature de l’homme, voire nécessaires à sa survie, la mobilité et l’apprentissage sont intimement liés. Le cerveau est le fruit de sa capacité à interagir avec l’environnement, et par conséquent de l’aptitude à apprendre en fonction du lieu. Cela explique pourquoi le contexte s’avère un facteur si déterminant de l’apprentissage.

    Tout dans l’histoire tend à la mobilité de la connaissance, du papier à l’imprimerie, jusqu’aux réseaux numériques.

    Le livre  — et particulièrement le livre de poche — a longtemps constitué le principal instrument de mobile learning.

    Après plus d’un millénaire du livre, l’évolution devait inévitablement mener à une autre révolution de l’information, à laquelle nous assistons, en temps réel, depuis l’avènement d’Internet. Le code binaire, ce nouvel alphabet, offre des possibilités insoupçonnées non seulement de communication, mais de création. À la lumière d’un bouleversement si éclatant, l’absence de dispositif mobile nous rend captifs d’un savoir que l’on peut en quelque sorte qualifier d’immobile, c’est-à-dire figé dans le lieu où il est consigné. Le papier n’a fait qu’alléger la pierre.

    Le statisme de l’information, d’une certaine façon, handicape la pensée, considérant que la connaissance réside par ailleurs dans la dynamique des données et le maillage social.

    À l’empowerment que procure l’ordinateur, le mobile confère une forme de libération.

    L’apprentissage mobile, ou nomade, comme certains préfèrent l’appeler, donne lieu à deux interprétations. Soit qu’il réfère aux apprentissages informels des utilisateurs de mobiles dans leurs déplacements, soit qu’il désigne les applications pédagogiques des dispositifs mobiles dans un cadre institutionnel, notamment le milieu scolaire. Au Canada, comme dans plusieurs pays, la seconde tend à inclure la première, car les écoles reconnaissent de plus en plus les avantages d’arrimer les apprentissages scolaires à l’environnement habituel des jeunes.

    L’être humain étant fondamentalement social, on ne s’étonnera pas de la popularité des médias sociaux et des réseaux sociaux Internet. Du coup, en raison de la dimension sociale de l’apprentissage, on voit apparaître une multitude d’usages pédagogiques de ces nouveaux médias.

    Les mobiles ne changent pas seulement comment enseigner, mais quoi enseigner.

    L’avenir de l’éducation est forcément mobile et social. Malheureusement, les compétences associées aux dispositifs mobiles, parmi les plus nécessaires à l’avenir des jeunes, restent en bonne partie exclues des écoles.

    L’apprentissage mobile nous ramène à une forme naturelle d’apprentissage, augmentée par de nouveaux dispositifs. Il se produit de manière informelle chez tous les jeunes qui les utilisent, le plus souvent hors des murs de l’école. Leur interdiction par l’école n’est pas sans rappeler la censure dont certains livres ont été frappés et qui, en fin de compte, n’a fait que discréditer l’autorité, car un esprit curieux n’est point dupe.

    Plusieurs écoles et enseignants ont néanmoins commencé à explorer les possibilités du mobile learning en milieu scolaire. Les résultats sont généralement probants, dès lors que l’on sait refonder les méthodes pédagogiques en fonction des nouvelles caractéristiques des mobiles, plutôt que d’adapter les mobiles aux pratiques existantes.

    En quoi, se demande-t-on, l’apprentissage mobile est-il différent?

    • Il est centré sur l’apprenant ;
    • il est contextuel : pertinent au moment et fait sens ;
    • il permet la production de contenu (user-generated-content) ;
    • il est plaisant (voir le serious gaming, par exemple) ;
    • il est gestuel et sensitif ;
    • il est aidant (assistant personnel, maillage social, etc.) ;
    • il déborde des limites physiques de la classe.

    Non contente d’avoir raté le virage informatique, l’école risque de rater la révolution des smartphones.

    Le refus des mobiles dans les écoles, plutôt que de préserver l’équité sociale, ne fait qu’exacerber la fracture numérique entre les riches et les pauvres, ces derniers étant privés d’un environnement riche en dispositifs. Au-delà de la démystification du potentiel des mobiles pour apprendre, il reste cependant beaucoup à faire pour la formation et l’accompagnement pédagogiques des enseignants dans leur bon usage. En fin de compte, le succès d’initiatives d’intégration judicieuse des mobiles devra, comme le dit Charles Hadji, se mesurer à celui des élèves.

    Malgré le retard qu’accusent les écoles dans l’adoption du mobile learning, nous restons optimistes quant à son immixtion. Elles n’ont guère plus le choix.

    Ou l’école se fait mobile, ou les mobiles s’approprient l’école.

    Heureusement, plusieurs enseignants ont la perspicacité de faire en sorte que l’un et l’autre soient inclusifs, c’est-à-dire d’intégrer les mobiles dans les pratiques d’enseignement en misant sur les possibilités d’apprentissage liées à la mobilité.

    Source : interview réalisée par Eric Fourcaud lors de l’Université d’été de Ludovia.