Étiquette : Sociologie des réseaux sociaux

  • L’être-en-ligne : phénoménologie d’une présence. Les exemples Skype et WhatsApp

    L’être-en-ligne : phénoménologie d’une présence. Les exemples Skype et WhatsApp

    L’université d’été Ludovia aura lieu du 23 au 26 août 2016 dans l’Ariège. Au sein de cet événement le colloque scientifique vous propose une trentaine de communications que vous pouvez découvrir sur Ludomag. Peppe Cavallari vous présente « L’être-en-ligne : phénoménologie d’une présence. Les exemples Skype et WhatsApp ».

    L’être-en-ligne, cette catégorie existentielle intégrant la « quotidienneté moyenne » heideggerienne, sera assumé dans ma communication comme étant une aptitude physique aussi bien qu’un état d’esprit. L’être-en-ligne constitue la condition nécessaire pour toute forme d’interaction simultanée dans un contexte de communication numérique, là où on écrit, on lit, on répond, on parle, on regarde et on voit l’autre.

    Il s’agit d’une instantanée création de relation d’altérité : je ne peux être en ligne sans que cela se fasse par rapport à quelqu’un d’autre : en voyant qui est en ligne – donc, étant vu par ce dernier –, je me découvre moi aussi en ligne.

    Cette définition désormais routinière, propre au lexique informatique qu’on a adopté, implique par ailleurs la recherche et la production d’un espace et d’une présence. Il s’agit d’une vraie mise en scène qui, en réalité, se passe simultanément dans plusieurs scènes multitâches – évidemment interdépendantes les unes des autres – où l’espace et la présence résultent en tant qu’effets, presque de symptômes, de notre interaction avec nos outils. L’ensemble de ces espaces forme l’interface, qui se mesure alors en tant que dispositif spatiale d’abord, et corporel par la suite, avant d’être aussi visuel.

    Au prisme de l’anthropologie historique et culturelle et de la théorie de la cognition incarnée, je vais envisager la spatialité de l’interface comme facteur d’une visibilité nouvelle et ressource sociale en train de faire surgir de rituels nouveaux. Agir dans le web comporte avant toute chose l’accomplissement d’une série de mouvements et de micro-mouvements qui, étant interprétés comme dotés de sens pour la société et pour le logiciel, sont de vrais gestes.

    La routinière chorégraphie des gestes de l’être-en-ligne (allumer et ouvrir, sortir et enfiler, regarder, taper, cliquer, écrire, glisser, effleurer, déplacer, bouger, zoomer) constitue la première des transformations que les pratiques numériques apportent à notre être-dans-le-monde : Vilém Flusser, par sa phénoménologie des gestes, a montré que toute modification du Dasein est lisible dans le changement des gestes, étant donné que nous, les humains, sommes dans-le-monde à travers notre gestuelle. Loin d’engendrer le défilement, la raréfaction ou la disparition de notre corps physique, la corporéité numérique comporte l’émergence de nouvelles « techniques du corps » qui ne sont pas accessoires par rapport à la présence dite numérique, car, bien au contraire, le sentiment de présence qui se dégage en ligne dépend de tout ce que l’on fait pour y être et y agir.

    Lors d’un chat en ligne, par exemple, la première des choses créant en moi le sentiment de deux présences –celle de mon interlocuteur et la mienne – est qu’il est en train, lui, tout comme moi, de se coller à son outil en se courbant sur son écran, en écrivant comme un forcené, en cherchant à s’isoler de tout le reste pour se dédier aux mots et aux images qu’on partage, veillant – on espère – à ne déranger personne autour de soi. Je sens que son attention s’adresse à moi, exactement comme la mienne est tournée vers lui. Sa présence émerge alors dans mon empathie, un état possible grâce au fait de pouvoir reconnaître facilement son comportement, étant donné l’universalité des actions à faire et l’univocité du logiciel. Ainsi nos gestes se prolongent dans l’espace techniquement numérique où ils trouvent leur traduction et leur épiphanie, selon la propriété du logiciel, le graphisme de la page, l’ergonomie du site, etc.

    Dans ma communication, je focaliserai mon discours sur Skype et WhatsApp.

    Skype qualifie notre présence selon quatre états possibles, nous signalant aux autres comme étant « connecté », « absent », « invisible » ou « indisponible », évoquant donc notre corps. Le dispositif de la vidéoconférence, quant à lui, produit un très satisfaisant sentiment de présence, car le temps liant les deux espaces est le même : c’est pourquoi il est réel.

    L’interface de WhatsApp relève de la pure extériorité : impossible de se cacher dès qu’on y est ; l’application fait rouler sous nos doigts un carrousel de visages et de noms qui deviennent un paysage intime, le panorama de nos pensées écrites. Dès qu’on entame une conversation, on peut lire que l’autre est « en ligne » et on peut voir s’il est en train d’écrire ou d’enregistrer un message audio.

    Cette attente est représentée ici comme dans Facebook, soit par l’oscillation de quelques petites bulles, amorçant le suspense comme étant au cœur de la présence d’autrui. L’écriture devient ainsi l’instrument « autrui-scopique » qui crée un même état de conscience : bien qu’il ait le petit décalage entre enregistrement, envoi et écoute, cet écart est le même pour l’autre et moi et il nous embrasse dans un moment de présence.

     

    Références :

    1. Varela, E. Thompson, E. Rosch, L’inscription corporelle de l’esprit, Seuil, Paris, 1993
    2. Anzieu, Le Moi-peau, [1985], Dunod, Paris, 2006
    3. Flusser, Les gestes, Cahier du Midi, Al Dante Aka VI, Bruxelles, 2014
    4. R. Galloway, The Interface Effect, Polity press, Cambridge, 2012
    5. Merleau-Ponty, L’œil et l’Esprit, Gallimard, Paris, 1964

    J.-P. Sartre, L’être et le néant, Gallimard, Paris, [1943], 2012

    1. Schindler, L’image du corps, [1950], Gallimard, Paris, [1968], 2014
    2. Tisseron, Rêver, fantasmer, virtualiser, Dunod, Paris, 2012
    3. Varela, E. Thompson, E. Rosch, L’inscription corporelle de l’esprit, Seuil, Paris, 1993
    4. Vitali-Rosati, Corps et virtuel, L’Harmattan, Paris, 2009
    5. Vitali-Rosati, Egarements, Hermann, Paris, 2014
    6. Wulf, Une anthropologie historique et culturelle : Rituels, mimésis sociale et performativité, Editions Téraèdre, Paris, 2007
    7. Zumthor, Performance, réception, lecture, Le Préambule, Longueuil, 1990

     

    A propos de l’auteur

    Voir le programme du colloque scientifique LUDOVIA

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Les Open Glams : quels coefficients d’appropriation des publics dans les institutions culturelles ?

    Les Open Glams : quels coefficients d’appropriation des publics dans les institutions culturelles ?

    [callout]Le service des publics du musée du Quai Branly, ou musée des arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques ou musée des cultures[1], lors de la neuvième Nuit des musées invite les wikipédiens[2] à initier un Edit-a-thon au sein de l’espace de lecture de la médiathèque du musée.[/callout]

    L’Edit-a-thon[3] est une rencontre réelle des wikipédiens entre eux et de nouveaux publics qui écrivent, enrichissent des articles sur un sujet donné[4].

    Cet atelier est lié à d’autres activités comme la découverte d’un robot intelligent[5], plusieurs types de visites guidées des collections, des réserves avec une dimension musicale, de danse, de performances employant des technologies numériques nomades, participatives, pervasives. La Nuit des musées au musée du Quai Branly a pour thème « Les cultures dialoguent en réseau ». La présente enquête tient à discuter de la notion d’événement culturel in situ sous l’angle du numérique.

    Il y a ici un double événement la médiation numérique de la nuit européenne des musées par l’Edit-a-thon et celui-ci en tant que tel. L’événement sous le crible du numérique est à comprendre dans ses singularités spatio-temporelles. La nuit des musées est une initiative nationale du Ministère de la Culture et de la Communication à portée européenne. Wikipédia est une encyclopédie en ligne collaborative participant de la globalisation. L’atelier Wikipédia est porté par un satellite local de Wikimedia Foundation, Wikimédia France. Cette action a été impulsée par le service des publics du Musée du Quai Branly au sein de la médiathèque de celui-ci. Les effets et les représentations d’une telle initiative sont saisis ici à partir d’une approche communicationnelle.

    A la croisée de la sociologie des réseaux, de l’ethnographie, de la linguistique, l’impact d’un Edit-a-thon sur l’événement Nuit européenne des musées sous l’angle des ateliers numériques Wikipédia est questionné du point de vue de la co-construction des contributeurs de l’Edit-a-thon comme une réinvention de la transmission[6] par une expérience transmédiatique.

    Il est interrogé le coefficient d’appropriation[7] de ce dispositif de médiation qui s’étend d’Internet, aux espaces de documentation du musée, aux salles d’exposition du musée du Quai Branly. Les contributeurs sont-ils experts[8] ? Quelles productions ? Quelles expériences transmédiatiques furent créés à l’occasion ? Quelles sont les conditions de possibilité a minima de la participation (engagement, adhésion), motivations et émotions qui y sont liées ?

    La méthodologie[9], repose à la fois sur une description graphique du réseau que cet événement a tissé entre les contributeurs, la portée spatio-temporelle de celle-ci, le type de contributions des contributeurs présents à l’événement, puis d’une redocumentarisation ethnographique[10] de ces premières descriptions.

    Les résultats issus de la recherche quantitative sont enrichis par les représentations des personnes présentent à cet événement. Nous comparerons ce terrain à d’autres Edit-a-thons de Wikimédia France ayant lieu dans des institutions culturelles françaises (Open Glam). D’un point de vue méthodologique, l’apport des visualisations de données pour la recherche en sciences humaines et sociales sera discuté.

    L’objectif de cette recherche est de relever des indicateurs pour évaluer le coefficient d’appropriation de ces médiations des publics (Open Glam : hackatons ou edit-a-thons) reliés à l’encyclopédie Wikipédia dans le futur.

    [1] Marie-Hélène Fraissé, Aucune dénomination n’a résisté aux critiques envers ces institutions « Exposer l’autre ». Autour de l’essai « Au musée des illusions », Emission radiophonique France Culture. 13.09.2011.

    [2] Wikipédiens : nom donné aux contributeurs de Wikipédia

    [3] http://en.wikipedia.org/wiki/Wikipedia:How_to_run_an_edit-a-thon, http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Journ%C3%A9es_contributives

    [4] L’atelier Wikipédia est présenté dans le programme de la Nuit européenne des musées en ces termes :  » Atelier Wikipédia. Faites la connaissance de contributeurs aguerris de Wikipédia et apportez vos connaissances sur un article ou un thème défini, avec l’appui de conservateurs et de bibliothécaires au musée. Participez à une initiative inédite en France, qui se déroule simultanément sur place et en ligne! « 

    [5] Apprentissage collaboratif du robot amateur Berenson

    [6] Malinas (Damien). 2008. Portrait des festivaliers d’Avignon. Transmettre une fois ? Pour toujours ? Grenoble : PUG, p.

    [7] Ethis (Emmanuel). 2006. Les spectateurs du temps. : pour une sociologie de la réception du cinéma. Paris : L’harmattan.

    [8] Davallon (Jean), Gottesdiener (Hanna), Poli (Marie-Sylvie), « The « expert visitor » concept », Unesco 2000.

    Gimello-Mesplomb (Frédéric), Télécharger, envers et malgré tout. Une pratique cinéphile ?

    Léglise (Isabelle) et Garric (Nathalie), Discours d’experts et d’expertise. 2012. Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York : Peter Lang.

    [9] Tardy (Cécile). 2012. Représentations documentaires de l’exposition. Paris : Hermann.

    [10] Chaumier (Serge). 2003. Des musées en quête d’identité. Ecomusée versus technomusée. Paris : L’harmattan.

    Bibliographie :

    • Bausson (Samuel), Biens communs, OCIM.
    • Bénel (Aurélien), Consultation assistée par ordinateur de la documentation en Sciences Humaines : Considérations épistémologiques, solutions opératoires et applications à l’archéologie, Jean-Marie Pinon, Andréa Lacovella (dir.), Thèse de doctorat en informatique, INSA de Lyon, décembre 2003.
    • Blanchot (Maurice). 1959. Le livre à venir. Paris : Gallimard.
    • Boissier (Jean-Louis). 2008. La relation comme forme. L’interactivité en art. Dijon : Les Presses du Réel.
    • Boissier (Jean-Louis). 2009. « Expérimentation des dispositifs d’une perspective relationnelle. ». In actu. De l’expérimental dans l’art. Dijon : Les Presses du Réel.
    • Bertram (Ursula). 2010. Kunst fördert Wirtschaft. Zur Innovationskraft des künstlerischen Denkens. Bielefeld : Transcript.
    • Brun (Axel). 2008. Blogs, wikipédia, second life, and beyond. From Production to Produsage. New York : Peter Lang.
    • Chun, Wendy Hui Kyong, Programmed Visions. Software and Memory. 2011. New York : The MIT Press.
    • Déotte (Jean-Louis). 2007. Qu’est ce qu’un appareil ? Paris : L’Harmattan. De Boeck.
    • Déotte (Jean-Louis), Qu’est ce qu’un appareil ?, Benjamin, Lyotard, Rancière. 2008. Paris : L’harmattan.
    • Dewey (John). 1915. Le public et ses problèmes. Carbondale, Illinois : University press Drive MC 6806.
    • Dosse (François). 2012. Renaissance de l’événement. Paris : PUF
    • Doudin (Pierre-André), Martin (Daniel), Albanese (Ottavia). 1999. Métacognition et éducation : Ed. Peter Lang.
    • Ethis (Emmanuel), Fabiani (Jean-Louis), Malinas (Damien), 2008, Avignon, le public participant. La Documentation Française-L’Entre-temps, Paris.
    • Garfinkel (Harold), Recherches en ethnométhodologie. 2007. Paris : PUF.
    • Gentès (Annie), Hugnet (François), « Les alternatives aux réseaux sociaux : l’architecture distribuée et le design de média », Réseaux sociaux. Culture politique et ingénierie des réseaux sociaux, Paris, Fyp, 2012, p.83-106.
    • Huygue (Pierre-Damien). 1999. Art et Industrie. Paris. Circé.
    • Jenkin (Henry). 2006. La culture de la convergence. Des médias au transmédia. Paris : Armand Colin.
    • Gibbons (Joan). 2007. Contempory Art and memory. Images of recollection and remembrance. London : I.B Tauris. Le dispositif d’information et de communication, Violaine Appel, Hélène Boulanger, Luc Massou (dir). 2010, Luxembourg : De Boeck.
    • Madjid Ihadjadene, Les systémes de recherche d’informations : modèles conceptuels, Paris, Hermes, 2004.
    • Merzeau (Louise), Séminaire, Les nouvelles formes d’éditorialisation de l’IRI, 15/04/2013.
    • Moineau (Jean-Claude). 2010. Retour du futur. L’art à contre-courant.
    • Moulier Boutang (Yann). 2007. « Du design capitalism au capitalisme cognitif : art et industrie, nouveaux liens, nouvelles tensions ? ». Le design de nos existences. A l’époque de l’innovation ascendante. Paris : Milles et une nuit.
    • Parikka Jussi, What is Media Archaeology ? 2012. London : Polity.
    • Parry (Ross). 2010. Museums in a Digital Age. Leicester : Routledge.
    • Proulx (Serge). 2010. Web social. Québec : Presse Université du Québec.
    •  Talon-Hugon (Carole). 2007. Art et politique. Noesis. Nice.
    • Ricoeur (Paul). 2000. La mémoire, l’histoire, l’oubli. Paris : Ed. du seuil.
    • Zacklad Manuel, «Classification, thésaurus, ontologies, folksonomies : comparaisons du point de vue de la recherche ouverte d’information (ROI) », CAIS/ACSI 2007, 35e Congrès annuel de l’Association Canadienne des Sciences de l’Information. Partage de l’information dans un monde fragmenté : Franchir les frontières, sous la dir. de C. Arsenault et K. Dalkir. Montréal : CAIS/ACSI, 2007, http://www.caisacsi.ca/proceedings/2007/zacklad_2007.pdf
    • Zask (Joëlle). 2011. Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation. Lormont : Le bord de l’eau. http://www.iscc.cnrs.fr/spip.php?article1738, http://www.iscc.cnrs.fr/spip.php?article1738 , Wikipédia, un objet scientifique non identifié.

    Plus d’infos sur la programme du colloque scientifique sur www.ludovia.org/2015/colloque-scientifique

    A propos de l’auteur : Séverine Giordan