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  • Des nouvelles toutes fraîches de l’école des Lumières

    Des nouvelles toutes fraîches de l’école des Lumières

    En ces temps d’interdiction ferme et définitive (?) du Smartphone à l’école, selon la dernière annonce du Ministre Jean-Michel Blanquer, nous nous sommes intéressés à recueillir les avis des uns et des autres sur la toile. Le premier de cette série est l’article de Michel Guillou, bien documenté et bien argumenté que nous vous présentons ci-dessous.

    Voilà plus de vingt cinq ans que les collectivités locales, communes, départements, régions, chacune pour sa part, avec ses moyens propres et forcément inégaux, dans son domaine de compétences, équipent les salles de classe des écoles, collèges et lycées de matériels de communication numériques et les connectent à l’internet.

    Tout cela a coûté beaucoup, beaucoup d’argent. Au-delà du câblage actif ou passif, des dispositifs de connexion sans fil, des différents serveurs nécessaires à la pédagogie, quelquefois nombreux en lycée ou à l’université, ce sont des quantités massives d’ordinateurs fixes et mobiles, des tablettes plus souvent ces derniers temps avec le plan numérique à l’école et au collège, terminaux dont il est nécessaire de prévoir la garantie, la maintenance et le remplacement tous les quatre ou cinq ans, qui ont été livrés par les collectivités territoriales dans les salles de classe. Il a fallu prévoir aussi le raccordement à l’Internet à très haut débit, ce qui n’est jamais simple et bon marché dans les zones rurales.

    Les collectivités, qu’on avait poussées à investir dans le numérique, attendent alors qu’on s’en serve, de tous leurs appareils — elles appellent cela des « usages ». Oh ! elles ne vérifient pas de quoi il s’agit pratiquement, en classe, ce en quoi, à mon avis, elles ont tort, mais exigent des statistiques — combien d’élèves par ordinateur, combien de bande passante, combien de ressources distribuées… toutes sortes de chiffres abscons qui n’ont de sens que parce qu’ils finissent sur des rapports ou des professions de foi électorales. Pour rendre compte aux électeurs contribuables de… cette gabegie d’argent public. Car il s’agit bien de cela.

    La donne a changé

    Aujourd’hui, les jeunes entre 12 et 17 ans, presque tous des élèves donc, sont 97 % à posséder un téléphone mobile. Et 85 % de ces machines sont des smartphones, des ordiphones comme j’avais commencé à les appeler. Ces chiffres de référence sont déjà plutôt anciens et on s’approche très vite aujourd’hui de 100 % dans les deux cas. D’ailleurs, on ne trouve plus guère à acheter autre chose que des smartphones connectés. Quel élève de 15 ans accepterait aujourd’hui d’être équipé d’un appareil qui ne ferait que téléphone ? Pour quoi faire ? Les jeunes se téléphonent très rarement et n’utilisent la fonction téléphone que pour l’envoi et la réception très massifs des SMS, des textos.

    Ces smartphones ne sont donc pas des téléphones. Ce sont des ordinateurs. Très rapides. Très. Chaque élève possède dans sa poche une machine surpuissante et polyvalente qui lui permet d’accéder à tous les savoirs. Michel Serres en témoignait déjà en 2011 :

    « Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait. Avec l’accès aux personnes, par le téléphone cellulaire, avec l’accès en tous lieux […], l’accès au savoir est désormais ouvert. D’une certaine manière, il est toujours et partout déjà transmis. »

    Par ailleurs, l’excellent Jean-Louis Schaff fait remarquer à juste titre que la somme de la connectivité embarquée par les smartphones des élèves et des enseignants multiplie par un facteur de 15 à 20 celle de l’établissement.

    Un nouvel accompagnement des collectivités ?

    Comme les entreprises qui commencent à comprendre qu’il convient peut-être de privilégier la mobilité des pratiques professionnelles et le BYOD (AVEC en français, pour pour « apportez votre équipement personnel de communication »), ce qui perturbe beaucoup les DSI mais les libère de la gestion de lourdes infrastructures matérielles, les collectivités commencent à comprendre tous les avantages qu’elles pouvaient tirer d’une évolution radicale de l’accompagnement matériel qu’elles prodiguent aux écoles et établissements.

    Finis les lourds équipements onéreux qui demandent des moyens financiers et humains importants pour les procédures d’achat, la maintenance et l’administration ! Finies les bagarres sans fin avec les opérateurs pour tirer de la fibre en urgence là où c’est difficile d’en mettre ! Reste à réduire les inégalités, chantier sur lequel l’État central s’est engagé à aider les collectivités locales, tant pour ce qui concerne la connectivité en 4G et, bientôt, en 5G, et la disparition des zones blanches que pour ce qui concerne l’équipement personnel des élèves en permettant aux collèges d’acheter quelques smartphones complémentaires, dont la fonction téléphone pourrait d’ailleurs être désactivée, pour les quelques élèves qui n’en disposent pas…

    Et puis aussi se pencher sur la fournitures de ressources éducatives numériques disponibles, dont les manuels scolaires, qui pourraient partiellement être stockées sur ces terminaux mobiles…

    Bref que d’heureuses perspectives sur lesquelles réfléchissent les élus et fonctionnaires des collectivités en charge des écoles, collèges et lycées. Tant mieux.

    Une interdiction réaffirmée et fièrement revendiquée

    Au moment même où, à la DNE, on réfléchit à tout cela — se référer à ce que me répondait, à Ludovia, Mathieu Jeandron, sur les démarches entreprises auprès des affaires juridiques du ministère pour interpréter ou faire évoluer le code de l’éducation et, notamment, son article L511-5 —  le ministre Jean-Michel Blanquer faisait lui aussi sa rentrée en annonçant partout son intention de faire respecter à la lettre les promesses de campagne du président nouvellement élu.

    « Nous interdirons l’usage des téléphones portables dans l’enceinte des écoles primaires et des collèges. » avait alors proclamé le candidat.

    Compte tenu d’une évolution sensible des pratiques de classe à ce sujet, voir par exemple les témoignages recueillis lors du dernier Carnaval numérique, compte tenu aussi du relâchement observé de la réglementation intérieure des lycées et même des collèges à ce sujet, des dispenses et dérogations accordées çà et là pour innover, il semblait acquis que, comme d’habitude, ces promesses de campagne seraient vite oubliées, d’autant que l’école a d’autres chantiers plus importants et sensibles à mener. Que nenni ! Le ministre, qui a pas mal occupé le terrain des médias en cette rentrée, n’a pas manqué une occasion de rappeler sa détermination à « faire respecter les règles et le droit ».

    Interrogé sur les modalités pratiques d’une telle interdiction, le ministre a rappelé ce qu’il disait déjà fin juin dernier et qui m’avait permis de faire, en m’efforçant de sourire, quelques aimables « Petites suggestions pour restaurer l’autorité du chef de l’État en Conseil des ministres ».

    « Par exemple, en Conseil des ministres, il y a un casier. On y met son téléphone portable, et ensuite, on rentre en Conseil des ministres, de sorte qu’on n’est pas interrompu. »

    En prenant ainsi la décision de confirmer cette interdiction, en allant même jusqu’à envisager d”en renforcer, à brève échéance, les modalités de mise en œuvre, le ministre ne fait que flatter dans le sens du poil tous ceux, dont certains parents, qui pensent que l’école, c’était mieux avant, et ceux des professeurs qui, au mieux, se méfient complètement de ce qu’en font leurs élèves, au pire, haïssent complètement ces derniers, leurs habitudes de vauriens et la modernité aliénante. Sic.

    Pas de chance pour notre vaillant ministre, les parents de la PEEP ont protesté — on attend encore la moindre remarque de la FCPE à ce sujet, très curieusement silencieuse sur un sujet qui la concerne au premier chef — mais c’était plus pour douter de la capacité de l’institution à mettre en œuvre pratiquement l’interdiction plutôt qu’à la remettre en cause ou à s’interroger sur sa validité et son intérêt :

    « Le dépôt des téléphones portables au collège pose un problème de logistique effroyable »

    On attend aussi les réactions officielles des syndicats d’enseignants ou des syndicats d’élèves. Sur son blogue éducation, l’UNSA, sans prendre vraiment position, donne la parole à Christian Westphal qui utilise en classe les smartphones de ses élèves de collège depuis un bon moment déjà. Je vous en dis un mot plus loin.

    Un certain déni de la réalité


    Le tweet ci-dessus
    , publié par le site officiel de l’administration française, a suscité pas mal de remarques. Un certain Philippe Casier, principal de collège, réagit sur un grand réseau social :

    « Une nouvelle fois, l’Éducation nationale passe à côté d’une extraordinaire opportunité. C’est la première génération à se promener avec, dans la poche, un dictionnaire, une calculatrice scientifique, une encyclopédie, un atlas, une bibliothèque, une vidéothèque, un appareil photo, un enregistreur pour les cours de langues, une caméra… Au lieu d’apprendre à s’en servir, d’apprendre à trier et à garder un esprit critique sur les informations… on veut interdire, sans d’ailleurs y parvenir. »

    Et puis, il y a ce reportage réalisé quelques jours après ce rappel réglementaire par francetvinfo.fr. C’est à Loches, près de Tours, et on y a décidé — qui ? le règlement intérieur ? — que les téléphones portables, tolérés dans la cour du collège, ne le seraient plus. Arguments ultimes de la direction : il n’y a plus de photos prises en classe et plus de harcèlement non plus. Tout cela est totalement invraisemblable. D’abord parce que les élèves s’en contrefichent et font ce qu’ils veulent en prenant des risques, ensuite parce que les parents, dans l’impossibilité même d’envoyer un texto à leur enfant vont finir par se rebeller, enfin parce que le temps scolaire, 35 h en moyenne, dont 30 h de cours pendant lesquels les élèves sont censés en principe faire autre chose que de harceler ou d’être harcelés, ne représente pas grand chose par rapport aux plus de 110 h d’éveil hebdomadaire.

    Un jour, je ferai un billet pour dénoncer les fantasmes au sujet du harcèlement, ceux qui le lient par exemple aux pratiques numériques, ceux qui ne le voient qu’à l’école ou ceux qui en font un phénomène du moment et de la modernité.

    En clair, dans ce collège, on se fiche pas mal qu’il y en ait, du harcèlement, du moment que ça ne soit pas à l’école. En prenant des mesures d’interdiction, de rétorsion et de confiscation, contre le droit commun d’ailleurs, ce principal, ce collège, l’institution scolaire en général font exactement le contraire de la mission de service public qu’on leur a assignée. Au lieu de bâtir avec les principaux concernés les fondements d’une vie scolaire, en l’occurrence la vie collégienne, comprise parce que négociée puis longuement expliquée, ils préfèrent interdire et réprimer.

    C’est un choix.

    Que d’autres ne font pas. Sur le blogue L’École de demain, Christian Westphal, professeur de sciences physiques dans un collège du Bas-Rhin, raconte comment il utilise avec ses élèves les smartphones qu’ils possèdent. Il dit comment cela mobilise leur attention, les incite à collaborer, les met en activité.

    « Il n’y a eu quasiment aucun “dérapage” avec les téléphones. Ils sont sur la table et plus en dessous, du coup, c’est plus facile de repérer ceux qui font autre chose. Si le SMS parental “N’oublie pas que c’est Papy qui vient te chercher à 17 h” arrive en plein cours, la règle est simple : on lit le message rapidement, on n’y répond pas et on reprend le boulot. »

    Fort heureusement, il existe plein d’exemples du même type, dans des disciplines différentes et à des niveaux divers, avec l’accord tacite et parfois complice de l’administration ou des services du rectorat, où le smartphone/ordinateur est utilisé pour prendre quelques notes, faire quelques photos, consulter ce qu’en dit Wikipédia, faire un petit calcul rapide, consulter une carte, vérifier l’orthographe d’un mot, que sais-je encore…

    L’insupportable mépris pour la jeunesse

    Dans Educavox, un professeur, Viviane de Beaufort, explique :

    « Je n’interdis pas le smartphone à mes étudiants : ce n’est pas la peine d’essayer de les empêcher d’être ce qu’ils sont, il faut au contraire profiter de leurs talents. »

    En prenant les décisions d’interdiction et d’ostracisation dont on parle, les élus, les fonctionnaires apeurés témoignent, au contraire de cette professeure, de leur absolue incompréhension de ce que sont, ce que sont devenus les jeunes d’aujourd’hui.

    Incapables de voir à quel point ils ont changé, à quel point ils ont investi, avec talent, l’écosystème numérique dans lequel ils baignent, ils adoptent à leur égard, à leur encontre devrais-je dire, une attitude hautaine et méprisante. J’avais proposé, il y a plus de 4 ans déjà, dans un article appelé « Ne dirait-on pas que les jeunes, nos enfants, les élèves, ne sont plus vraiment les mêmes ? »,  en examinant et en m’interrogeant sur les pratiques numériques médiatiques massives des jeunes, quelques questionnements qui n’ont guère trouvé de réponse aujourd’hui :

    • Quand les sollicitations sociales sont permanentes, comment mobiliser l’attention des élèves, assis six heures par jour à écouter leurs professeurs ?
    • Comment concilier le travail collaboratif et coopératif avec l’évaluation traditionnellement individuelle ?
    • Comment intégrer dans les enseignements l’acquisition par les élèves d’une culture numérique, technique mais aussi et surtout sociale et citoyenne ?

    Je concluais ainsi :

    « Il nous faut cesser de rêver et d’imaginer des élèves tels qu’ils pourraient ou auraient pu être, à l’image de ce que nous étions nous-mêmes ou rêvions d’être parfois, il y a quelques dizaines d’années. »

    Au-delà du mépris que ces adultes supposés responsables manifestent ouvertement pour les jeunes et ce qu’ils sont aujourd’hui, la réaffirmation de cette stupide interdiction est aussi particulièrement méprisante pour les enseignants eux-mêmes. Comment ? Ils ne seraient pas capables de mobiliser l’attention et la disponibilité des élèves, malgré la supposée dispersion que leur occasionne, selon les dires mêmes du ministre inquiet, le machin honni ? Ils ne seraient pas capables de formuler des interdictions simples, de négocier dans le cadre de la classe les éléments fondateurs du vivre ensemble, d’une vie scolaire apaisée qui rende les élèves plus autonomes, plus responsables ? Pour ma part, je suis convaincu du contraire. À condition qu’on les aide, que se bâtisse une réelle solidarité entre les acteurs de l’école, tous les acteurs, parents compris, qu’on leur explique qu’il vaut mieux, de temps en temps, évaluer l’opportunité de traiter telle ou telle partie du programme en considération particulière d’apprentissages transversaux, ceux qui concernent l’acquisition des compétences citoyennes ou l’éducation aux médias et à l’information, par exemple…

    Oui, si on fait tout cela, je suis certain que la majorité des professeurs sont capables d’adopter à ce sujet un regard bienveillant et compréhensif. Des efforts à faire découle naturellement un résultat valorisant pour tout le monde.

    Le néo-obscurantisme des élites

    Nombreux sont ceux qui, au siècle dernier déjà, ont contribué à faire de l’école autoritaire de Jules Ferry une école ouverte, curieuse des évolutions de son temps, porteuse de valeurs, formant des citoyens éclairés et capables d’exercer leur esprit critique. Plus que jamais, le numérique, fait social et culturel global, contraint l’école aujourd’hui à renforcer cette mission, contre ceux qui voudraient en faire une machine à produire des travailleurs, en accentuant l’acquisition des connaissances et des compétences qui sont celles du jeune citoyen.

    Le jeune citoyen de l’ère numérique a changé, je vous l’ai dit. Il a acquis des compétences qui lui permettent de mieux travailler avec les autres, de renforcer, en coopérant ou en collaborant, l’intelligence du collectif. Il sait s’adapter à de nouvelles situations ou conditions de travail. Il sait aussi qu’on en veut beaucoup à ses données personnelles et il a appris à se prémunir et à se protéger. Il a appris à confronter son opinion à celle des autres, il sait s’adresser à un auditoire, argumenter, débattre. Il exerce pleinement sa liberté d’expression là où c’est possible et où ça l’intéresse. Il sait comment et où accéder aux ressources documentaires dont il a besoin, en faire le tri, les valider, extraire le meilleur, critiquer le faux et s’en débarrasser.

    Pour tout cela, il utilise les outils disponibles, à commencer par le smartphone qu’il a ordinairement dans la poche.

    Il aurait bien voulu mais voilà, il ne peut pas, on le lui interdit : le machin à acquérir des connaissances, à mettre en œuvre toutes les compétences décrites plus haut, à interagir avec sa sphère sociale, dont la famille et les amis, doit être rangé une fois pour toutes au fond de son sac.

    L’interdiction va-t-elle aussi concerner les tablettes, différentes des smartphones en ce qu’elles sont un peu plus grandes, pourtant déployées dans de nombreux collèges de France, et les objets connectés, les montres par exemple ?

    Cet immense autodafé numérique est ainsi celui qu’organise aujourd’hui une école qu’on croyait pourtant dévouée à servir les Lumières. J’ai déjà évoqué ces nouvelles pratiques moyenâgeuses il y a plus de deux ans, dans un article titré « Les nouveaux inquisiteurs des autodafés numériques ».

    C’est l’obscurantisme qui gagne l’école, celui qui interdit, qui censure, qui confisque, qui jette au feu, qui voue aux gémonies, qui occulte, qui ne veut pas savoir, qui refuse de changer. Il est ainsi mené par de nouveaux inquisiteurs, ceux qui appellent au discernement quand il s’agit d’appeler à la Raison.

    Les seuls qui peuvent nous sortir de ce piège sont, si je me rapporte aux premiers paragraphes de ce billet, les collectivités territoriales qui, je l’espère, vont bientôt prendre conscience qu’il convient de porter leurs efforts dans le sens du soutien à l’équipement personnel et ainsi contraindre l’école à évoluer et ouvrir les yeux. S’ils pouvaient disposer du soutien des élèves eux-mêmes et de leurs parents, ce ne serait pas plus mal…

    Pour aller plus loin sur le sujet, au-delà des liens déjà indiqués dans le corps du texte :

    Auteur : Michel Guillou @michelguillou, à retrouver sur son blog : www.culture-numerique.fr

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    Crédit images : TaniaVdB sous licence CC0 Public Domain via Pixabayjezaroul via photo pin cc, Di Takashi Hososhima from Tokyo, Japan – Traditional cell phone vs Smart phone, CC BY-SA 2.0, Collegamento  et « auto da fe in the Town of San Bartolomé Otzolotepec » via Wikimédia Commons.

     

    Et vous, qu’en pensez-vous ? Votre point de vue nous intéresse ! Messages et articles à envoyer à aurelie@ludomag.com

  • Le numérique éducatif : technologie ou culture ?

    Le numérique éducatif : technologie ou culture ?

    [callout]Certaines personnes avouent ne pas savoir ce que l’on entend par « culture numérique ». Qu’entend-on par cette association de mots ?[/callout]

    Pour Odile Chenevez du CLEMI de l’académie d’Aix-Marseille, elle définirait le mot culture par un environnement de savoirs qui fondent une société. Associé à cette définition, le mot numérique pointerait à la fois les canaux numériques utilisés dans cet environnement mais aussi des savoirs qui concernent le numérique lui-même.

    Muriel avoue ne pas savoir ce qu’est vraiment la culture numérique.

    Martial quant à lui se sert d’une autre association de mots, « la culture sportive » et pose la question : savez-vous ce qu’on entend par culture sportive ?
    En cela, il tient à souligner que toute la définition de la culture numérique est une question de « curseur » :

    chaque individu va placer ses limites et définir ses objectifs dans ce vaste environnement.

    Un débat très sujet à controverse et surtout sans véritable réponse « toute faite », mais que Michel Guillou, que la rédaction de LudoMag remercie pour ce débat, a tenté quand même de résumer en :

    La culture numérique, une culture générale empreinte de numérique ?

    Voir les deux premiers épisodes : Le numérique éducatif : fabrique d’experts ou fabrique d’incultes ? et Numérique : enseignement spécifique ou littératie transversale?

    Voir la vidéo du « 7×7 » en totalité : https://www.youtube.com/watch?v=VXakcQX2az0
    Veuillez nous excuser pour les petits soucis techniques de son dans les premières minutes de la vidéo.

  • Le numérique éducatif : fabrique d’experts ou fabrique d’incultes ?

    Le numérique éducatif : fabrique d’experts ou fabrique d’incultes ?

    [callout] Les intervenants passés au crible sur cette onzième édition étaient Martial Pinkowski, Muriel Epstein et Odile Chenevez (CLEMI Aix-Marseille). LudoMag a retenu 3 sujets et vous propose de les découvrir en 3 épisodes successifs.[/callout].

    Les jeunes, les élèves, les étudiants, devant le foisonnement d’informations qui s’offrent à eux et qu’ils découvrent via les outils numériques, vont petit à petit, aidés par les enseignants qui sont là pour les aiguiller, acquérir une certaine expertise de l’information.

    D’un autre côté, l’infobésité de l’information peut aussi créer l’effet inverse : une perte de repères qui pourrait conduire à fabriquer des « incultes » plutôt que des « experts ».

    C’est ainsi que le débat est posé par Michel Guillou.

    D’après Muriel Epstein, le jeune peut tout à fait devenir expert sur les sujets qui le passionnent et très inculte sur ceux qui ne l’intéressent pas du tout.
    Cela sous-entendrait, si on considère ces propos, que le jeune ne serait donc pas « noyé » dans l’info mais parviendrait déjà à en faire une sélection.

    Muriel croit que les nouvelles générations auront dans un futur proche une forme d’expertise dans la mesure où elles seront capables de faire des recherches sur un sujet donné puis de rebondir sur un autre, tout en conservant un fil cohérent.

    Pour elle, c’est en cela que le numérique peut en faire des « experts ».

    Odile Chenevez rebondit justement sur ce que vient de dire Muriel sur la notion d’expert qui est, pour elle, entrain d’évoluer.

    « Un expert n’est pas quelqu’un qui a tout de prêt dans sa tête, un certain nombre de savoirs et de connaissances ; l’expert est celui qui va savoir rassembler l’information qu’il a besoin au moment où il en a besoin ».

    Martial est très frileux sur la notion d’expert, dans le sens qu’on entend parfois à savoir : le numérique peut améliorer les résultats des élèves. Par contre, il croit beaucoup, comme ses deux voisines d’interview, à une notion d’expertise dans le sens de « tri intelligent » de l’information.

    « Nous devons travailler sur l’esprit critique des élèves ».

    Il ne croit pas que le numérique puisse conduire à fabriquer des générations d’incultes. En synthèse, on pourrait dire que les experts seraient ceux « qui ont une compétence d’apprendre à apprendre, non pas dans le contenu ni dans la culture mais dans la capacité d’adaptabilité à un nouvel environnement ».

    Voir la vidéo du « 7×7 » en totalité : https://www.youtube.com/watch?v=VXakcQX2az0- Veuillez nous excuser pour les petits soucis techniques de son dans les premières minutes de la vidéo.

  • « Il devient à la fois possible et nécessaire, grâce au numérique, d’enseigner autrement »

    « Il devient à la fois possible et nécessaire, grâce au numérique, d’enseigner autrement »


    Vous trouverez sur le site du ministère le compte rendu de l’installation du Conseil, la liste de ses membres, la lettre de mission, les premières commandes passées par le ministre et des schémas explicatifs de son fonctionnement et notamment le calendrier de ses travaux, ci-dessous.

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    On le voit, les travaux du CSP sont progressifs, très progressifs, même s’il travaille d’emblée sur l’intégralité de l’école du socle, de la maternelle au collège. Les éditeurs sont-ils la cause de l’application lente, année après année, des nouveaux programmes — voir en marge, à droite ? On attend bien sûr d’eux les merveilleux manuels innovants qui ne seront, cela va de soi, que numériques.

    Est-ce-ce pourtant bien utile d’attendre leurs productions quand on observe que nombreux sont, dans toutes les disciplines, les professeurs qui élaborent, à partir de ressources diverses, gratuites, libres, payantes… les manuels dont ils ont besoin et qu’ils utilisent ? Et que penser de l’absence de toute réflexion encore sur les programmes du lycée dont les mises à jour sont remises aux calendes grecques ? Faudra-t-il encore longtemps subir ce baccalauréat inadapté ? Faudra-t-il continuer longtemps encore à installer dans les salles d’examen des détecteurs de smartphones ?

    Invité à évoquer la stratégie du CSP à Bordeaux à l’occasion des « Boussoles du numérique », Alain Boissinot, trop occupé par le lancement des travaux, a dû renoncer. Il a pourtant bien voulu m’accorder une interview, le 27 novembre dernier, dans les locaux du CSP à Vanves.

    Vous en trouverez ci-dessous la captation vidéo (les moyens techniques sont ceux de la Maison départementale de l’éducation du Val-d’Oise, merci à eux) et la transcription intégrale.

    M. G. : M. le président, le ministre Vincent Peillon vous a confié la mission de présider ce Conseil supérieur des programmes avec une lettre de mission lourde et importante et vous a passé commande d’un certain nombre de chantiers. Si j’ai bien compris, en 2014, vous allez travailler sur les programmes de maternelle…

    Alain Boissinot : Entre autres choses, oui, tout à fait… Les commandes que le Conseil supérieur des programmes a déjà reçues du ministre portent essentiellement sur la maternelle et sur la scolarité obligatoire, l’élémentaire et le collège.

    Donc ça implique de redéfinir les missions de l’école maternelle — il y a une grande attente à l’égard d’un nouveau texte —

    ensuite l’école primaire, le collège avec une organisation d’ensemble en trois nouveaux cycles, et puis la redéfinition du socle commun également qui pose un certain nombre de problèmes, l’évaluation notamment. Donc ça fait un vaste chantier…

    M. G. : Donc, parallèlement, si j’ai bien compris, seront menées des investigations sur les programmes des collèges…

    Alain Boissinot : Tout à fait. Le socle commun couvre l’ensemble de la scolarité obligatoire et, en parallèle et en même temps, parce que l’objectif c’est justement d’articuler la définition du socle commun et les programmes d’enseignement, on va travailler dans les semaines qui viennent sur les programmes de l’école primaire et les programmes du collège.

    M. G. : Et plus tard viendra le lycée ?

    Alain Boissinot : Et dans un deuxième temps, viendra le lycée mais, pour le moment, on a déjà fort à faire…

    M. G. : Notre propos aujourd’hui est centré sur le numérique et la place importante qu’il prend maintenant dans la société et les pratiques des jeunes en particulier. L’école ne peut pas y échapper. Puisque la question d’enseigner avec le numérique ne semble plus se poser, comment pensez-vous que les programmes puissent prendre en compte l’enseignement du numérique ? Certains pensent à une nouvelle discipline…

    Alain Boissinot : Alors la question est vaste et il y a plusieurs facettes.

    Première remarque : moi, j’ai une conviction, c’est qu’on arrive à un moment où, en effet, les pratiques du numérique se développent dans les classes et où on est en mesure de franchir un seuil, à condition d’en tirer toutes les conséquences. Et là, c’est la responsabilité de l’institution, c’est-à-dire qu’on ne peut plus laisser simplement les choses se faire empiriquement sur le terrain mais il faut qu’on voie comment on accompagne ce développement. Alors ça pose un certain nombre de questions auxquelles la dernière loi de refondation de l’école tente d’apporter des éléments de réponses.

    Premièrement, il faut coordonner ce développement du numérique, l’organiser, fournir des outils ou aider à ce que les outils se développent, c’est le rôle du service public du numérique éducatif

    qui est un enjeu, je crois, important sur lequel travaille mon amie et collègue Catherine Bizot et je crois que ça permettra de mettre en synergie beaucoup de choses qui, de fait, sont en train de se développer sur le terrain. Mais on franchira un cran de plus et surtout l’institution pourra aider à ce développement.

    Et puis, la deuxième condition essentielle, c’est qu’effectivement il faut qu’on tire toutes les conséquences dans la définition des programmes et là on en vient aux missions du Conseil, des différents outils, des différentes pratiques que permet le numérique. Et je crois qu’il faut insister sur le fait que le nouveau Conseil supérieur des programmes qui débute donc ses travaux a un champ d’activités que le ministre a souhaité large, de ce point de vue, puisque contrairement aux Conseils qui avaient existé dans le passé, son décret de création comme la loi d’ailleurs elle-même de refondation de l’école, prévoient explicitement que le Conseil est légitime pour s’intéresser non seulement aux programmes, au sens le plus traditionnel du terme, c’est-à-dire les contenus d’enseignement, disons, mais aussi aux pratiques pédagogiques mises en œuvre et notamment à tout ce que permettent les nouveaux outils comme le numérique, et de la même façon, le Conseil est invité à s’intéresser à l’évaluation, ce qui est point tout à fait essentiel, et à la formation des maîtres.

    Donc il s’agit de tenter de couvrir toute la chaîne, les contenus d’enseignement, certes, mais aussi la formation des enseignants qui est au moins aussi importante que la définition des programmes et puis les outils qu’ils mettent en œuvre.

    Donc on va effectivement se poser le problème du numérique. De ce point de vue et par rapport à votre question, et en essayant d’aller à l’essentiel, il me semble que le sujet n’est pas d’enseigner le numérique en tant que tel ou de créer une nouvelle discipline — bon, on peut en débattre — mais ça n’est pas cela l’essentiel du problème.

    Le problème, il est sur deux points. Il est comment revivifier l’ensemble des enseignements actuels dans les différents domaines disciplinaires par le numérique, puisque le numérique n’est pas simplement un outil et il ne s’agit pas simplement de passer du tableau noir au tableau interactif, ça n’est pas uniquement une modification au niveau de l’instrumentation de l’enseignement, ça met en cause les pratiques, les contenus d’enseignement mêmes, et ça, il faut qu’on s’interroge là-dessus. Qu’est-ce que le développement du numérique fait bouger en français, en éducation morale et civique, en économie pour permettre d’une part de mieux enseigner ces différentes disciplines, et d’autre part pour faire en sorte que ces disciplines contribuent à rendre les élèves plus experts, à la fois en réception de tout ce qui relève de la communication par le numérique, mais aussi en matière de création ?

    Ma collègue Catherine Bizot y insiste beaucoup et à juste titre : il faut que les apprentissages des élèves aillent dans les deux sens, non seulement des consommateurs de numérique mais aussi, dans un certain nombre de domaines, des créateurs d’informations, des diffuseurs d’informations. Donc il faut que tous les programmes de toutes les disciplines témoignent de cette réflexion-là et la prennent en compte.

    Et puis il y a un deuxième axe : c’est que nous devons nous interroger sur tous les déplacements pédagogiques qu’induit le numérique c’est-à-dire sur le fait qu’il devient à la fois possible et nécessaire, grâce au numérique, d’enseigner autrement.

    Le numérique, ça modifie les conditions d’accès à l’information. Certains poussent alors assez loin le trait mais peut-être ont-ils raison d’ailleurs, en parlant de pédagogie inversée — je pense aux travaux de Michel Serres, je pense à beaucoup d’autres témoignages en ce sens — qui disent, par exemple, au fond, à l’origine le rôle du maître c’était d’apporter des informations, et puis ensuite les élèves se débrouillaient à partir de ce qu’on appelait le fameux travail personnel de l’élève, à l’école ou à la maison. Eh bien au fond, est-ce qu’on n’est pas en train de vivre par rapport à ça une révolution copernicienne ?

    L’apport d’information se fait maintenant autrement que par le maître, très largement, et donc le rôle du maître doit se repositionner, aux côtés de l’élève pour l’aider à maîtriser cette masse d’informations, pour l’aider à construire à partir de là des compétences et des connaissances. Et ça, ça déplace aussi évidemment les programmes, puisque les programmes traditionnels définissaient d’abord historiquement une somme de compétences qu’on était supposé décerner aux élèves, eh bien là il faut aussi que les programmes tirent aussi les conséquences de cette évolution rendue possible par le numérique et définissent sans doute davantage des progressions permettant aux élèves de construire progressivement leurs connaissances et leurs compétences. C’est tout ce champ qui est devant nous, il faut qu’on essaie de tenir à la fois toutes les pièces du puzzle pour, comme je le disais tout à l’heure, au fond, franchir ce point critique auquel nous arrivons actuellement.

    M. G. : Deux autres points, si vous le voulez bien. Vous avez peut-être entendu parler de François Taddéi, qui est enseignant-chercheur en biologie à Paris-Descartes, qui a créé et dirige depuis 2005 un Centre de recherches interdisciplinaires qui fait se croiser, se rencontrer les disciplines. Ce à quoi il croît, c’est que le numérique, justement, permet des échanges, des passerelles nombreuses entre ces dernières. Comment les programmes, qui seront peut-être définis discipline par discipline, peuvent-ils permettre ces passerelles ? Les champs disciplinaires sont-ils définitivement cloisonnés ou pourra-t-on ouvrir des espaces communs ou de la transversalité ?

    Alain Boissinot : Cette question du cloisonnement, des champs disciplinaires est une question qui, au demeurant, se posait avant le numérique. Il y a longtemps que de bons esprits s’interrogent sur les limites du cloisonnement excessif des disciplines et sur le risque de segmentation et de saupoudrage des savoirs. Il y a des expériences, je pense à l’enseignement intégré des sciences et de la technologie au collège, qui cherchent déjà à remédier à ça.

    Bien évidemment, c’est une des questions qui est devant nous et qui a déjà été rencontrée aussi à propos de la définition du socle commun. Lorsqu’on s’interroge sur les compétences que les élèves doivent acquérir pendant la scolarité obligatoire, on rencontre un certain nombre de compétences transversales, comme on dit, qui relèvent de différents champs disciplinaires et pas simplement d’une matière parmi d’autres. Donc on est amené à se reposer la question de ces acquisitions transversales, de ces relations interdisciplinaires et, sans doute — alors, au niveau de l’école primaire, c’est une idée qui est en général bien acceptée puisqu’elle relève de la polyvalence du maître, au niveau du collège, c’est plus difficile —

    il faudra sans doute essayer de travailler sur cette notion de transversalité plus grande des apprentissages. Et c’est vrai que là, le numérique devrait être un facilitateur dans cette approche,

    parce que, en mettant à disposition des élèves, d’une part des connaissances très nombreuses et très diverses et, d’autre part, des outils et des pratiques qui, par définition, sont transversales, qui ne sont pas propres à telle ou telle discipline, le numérique aide à construire des démarches complexes, à mettre l’élève face à un projet global, face à une problématique globale, et à aller chercher des ressources dans tel ou tel domaine disciplinaire.

    Donc, là encore, le travail, de mon point de vue, c’est de tenter de mettre en synergie les perspectives qu’on se donne en matière d’acquisition de connaissances, une démarche […] des savoirs et la mise en œuvre d’outils qui, effectivement, permettent de développer des pratiques nouvelles et, elles-mêmes, moins cloisonnées que les pratiques antérieures.

    Au fond, tout ça doit relever d’évolutions non pas en parallèle, mais d’une même évolution globale et qui, à certains égards, est un peu un changement de paradigme au sein du système éducatif. C’est une nouvelle logique qui est en train de se développer qui devrait d’ailleurs aussi permettre d’aborder différemment la question du temps scolaire, la différence entre le travail que l’élève fait pendant la classe, le travail qu’il fait dans ce qu’on appelait les CDI et le travail qu’il fait à la maison, cette différence, elle s’estompe par rapport au cadre traditionnel.

    De même, le temps de la classe et le temps que l’élève va passer devant son ordinateur et on sait qu’il devient de plus en plus important, ces temps-là, ils vont se rencontrer, ils vont se croiser au moins partiellement. Donc les cadres traditionnels de l’enseignement, le temps, l’espace, le cadre de la classe, tout ça est remis en cause à travers ces évolutions et le problème, c’est de tenter de faire en sorte que ça ne donne pas le sentiment d’une crise des apprentissages traditionnels ou d’une dispersion des élèves mais que ça débouche sur de nouvelles démarches cohérentes. Et les nouveaux programmes, tels que nous avons, me semble-t-il, à les penser, doivent intégrer toutes ces dimensions-là. C’est vraiment cela l’enjeu qui est devant nous.

    M. G. : Si vous me permettez un prolongement, M. le président, est-ce que la formation des maîtres n’est pas là un enjeu très important de ce décloisonnement, de cette ouverture-là ? Il y a quand même un certain nombre de barrières historiques, dans ces instituts de formation des maîtres, appelées aujourd’hui ESPE…

    Alain Boissinot : Oui, tous les rapports montrent, et d’une certaine manière, c’est évident, que la formation des maîtres est au moins aussi importante que l’élaboration des programmes à proprement parler. On peut faire les meilleurs programmes que l’on veut, que l’on souhaite, si ils ne sont pas acceptés par des maîtres qu’on a aidés à les mettre en œuvre, ils ne serviront pas à grand-chose. La formation des maîtres est un enjeu essentiel, le Conseil supérieur des programmes, de par son décret de création, est d’ailleurs invité à faire des suggestions en ce sens, et je crois que c’est en effet très important que la réflexion sur les programmes et la réflexion sur la formation des maîtres se rebouclent et ne soient pas menées en parallèle.

    Donc bien évidemment, il faudra que ces questions-là soient traitées dès la formation des maîtres.

    Je suis peut-être trop optimiste mais, malgré tout, ceux qui sont actuellement recrutés, les jeunes qui sont recrutés actuellement, pour devenir enseignants sont tous des jeunes de la génération du numérique et ils ont, de ce point de vue-là une culture qui est probablement plus proche de celle des élèves que de la culture de leurs aînés donc on peut penser qu’ils entreront assez volontiers dans ces logiques-là et il faut qu’on se donne les moyens de les aider en termes de production d’outils et aussi en termes de perspectives pédagogiques, de définition des épreuves d’examens.

    Par exemple, à l’heure du numérique, les procédures d’évaluation que l’institution prévoit dans les différents examens doivent, me semble-t-il, évoluer. On n’évalue pas l’orthographe de la même manière à l’époque du correcteur d’orthographe, on n’évalue pas la géographie de la même manière quand Google permet de repérer tous les sites du monde et de les regarder en relief sur l’écran de l’ordinateur. Donc il faut intégrer dans les contenus d’enseignement, dans les pratiques d’enseignement, dans les méthodes d’évaluation… Là encore, ce sont des déplacements professionnels.

    On a déjà connu ça, d’une certaine manière, quand les mathématiciens ont dû prendre en compte les effets de la présence des calculatrices entre les mains des élèves et dans les salles de classe, ça les a amenés à redéfinir ce qu’était, par exemple, l’évaluation en mathématiques et, évidemment, les épreuves de mathématiques maintenant ne sont plus de même nature que ce qu’elles étaient autrefois. Je crois que, toutes choses égales d’ailleurs, il faudra aider les enseignants à imaginer des pratiques professionnelles, des pratiques d’évaluation qui tiennent compte des nouveaux outils.

    M. G. : Ma dernière question porte, de manière plus pratique, sur les conseils que vous pourriez donner aux enseignants qui sont confrontés aujourd’hui à des difficultés. Les corrections des devoirs sont maintenant disponibles en ligne, sur des sites où l’élève paie un ou deux euros pour y avoir accès, sans d’ailleurs que le maître le sache et sans qu’il puisse vérifier les sources des travaux personnels faits à la maison. Comment faire ?

    Alain Boissinot : Je ne sais pas si j’ai des conseils à donner mais je peux comme tous les enseignants réfléchir sur les évolutions qui vont se mettre en place. Je crois qu’il y a des facettes traditionnelles du métier qui vont, effectivement, perdre de leur importance. Il est clair que la notion de contrôle de connaissances n’a plus la même signification lorsque les connaissances sont, à condition de savoir un tout petit peu s’y prendre, aisément disponibles en ligne. C’est ce que raconte quelqu’un comme Michel Serres qui dit

    « Autrefois, quand je commençais un cours devant mes étudiants, je me demandais : “qu’est-ce qu’ils ne savent pas et que je dois leur apprendre ?” et maintenant je me demande : “mais qu’est-ce qu’ils savent déjà et que je ne dois surtout pas répéter parce que je vais les ennuyer ?” ».

    Alors ça, c’est vrai pour tout le monde, c’est-à-dire un enseignement conçu d’abord comme transmission de connaissances puis ensuite comme contrôle de l’acquisition de ces connaissances, il est effectivement remis en cause par les nouveaux outils. Mais je ne crois pas qu’il faille le regretter, je crois que ça déblaie le terrain précisément pour des activités professionnelles qui seront d’autant plus intéressantes. L’exemple de l’enseignement du français : on prendra peut-être moins de temps pour vérifier la notice biographique de tel ou tel écrivain, et je ne suis pas sûr qu’il faille le regretter, en revanche on aura davantage de temps, par exemple, pour accompagner les élèves dans des travaux de production de textes, des travaux d’écriture.

    On peut, grâce au traitement de texte, grâce au numérique, faire des choses extrêmement intéressantes en matière de suivi des corrections d’un texte, d’élaboration progressive d’un texte plus achevé, voilà, de nouvelles pratiques deviennent possibles qui, effectivement, vont occuper un espace, un temps qui sont libérés par rapport aux pratiques anciennes.

    Alors tout cela modifiera sans doute les facettes de nos disciplines, je ne crois pas que ça soit du tout un déclin, je crois qu’au contraire, ça leur permet d’aller au cœur de pratiques plus intéressantes et plus riches que les pratiques traditionnelles. En tout cas, c’est notre responsabilité que d’essayer d’imaginer ces nouvelles pratiques d’enseignement.

    M. G. : Je termine, M. le président. Il y a pourtant, me semble-t-il, une sorte de collision entre les programmes, tels qu’ils sont, et ces nouvelles pratiques qui commencent à se développer. Il y a un vrai hiatus, de vraies difficultés que vivent au jour le jour les professeurs… 

    Alain Boissinot Alors il y a sans doute en effet un hiatus entre la logique ancienne qui continue à fonctionner y compris, c’est vrai, dans la lettre des programmes, même si ils ont cherché à évoluer, et puis les pratiques qui se développent quotidiennement dans les classes.

    Alors je crois qu’à ça il faut répondre de deux manières : d’abord il faut en effet que nous ayons une réflexion pour faire évoluer les programmes et nous allons le faire et c’est bien le sens des missions qui ont été confiées au Conseil supérieur des programmes. Mais il y a un autre niveau de réponse. Je crois que, de même que nous sommes sortis d’un certain nombre de pratiques traditionnelles, nous sommes aussi sortis d’une logique où l’institution pouvait prétendre fixer depuis la rue de Grenelle, en ayant consulté quelques experts, si compétents soient-ils, l’ensemble des pratiques pédagogiques que devaient mettre en œuvre tous les enseignants de France. Je crois qu’il faut apprendre à être, certes clairs sur les grands objectifs parce que tout le monde en a besoin, mais en même temps un peu plus modestes sur le détail de leur mise en œuvre, et il faut apprendre, et ça aussi les nouveaux outils y insistent, à faire confiance à un travail plus horizontal comme on dit quelquefois, plus en réseau, à laisser un espace de créativité aux enseignants, un espace d’adaptation par rapport aux objectifs qu’on leur propose et, au fond, permettre au système de s’adapter, de se réguler lui-même davantage au niveau des pratiques professionnelles des équipes pédagogiques.

    Je crois que c’est aussi un enjeu qui est devant nous. L’époque où le ministre pouvait décider du jour et de l’heure à laquelle tous les élèves de France feraient leur dictée, elle est décidément bien terminée et c’est là aussi une nouvelle logique sur laquelle nous réfléchissons beaucoup au début de nos travaux, au Conseil supérieur des programmes : comment trouver le bon équilibre entre ce qui doit être défini au niveau national parce que c’est l’expression d’une volonté collective, parce que c’est un facteur d’unité auquel tout le monde est attaché, et ce qui doit être laissé à l’initiative des équipes pour permettre une adaptation suffisamment fluide, suffisamment rapide aux évolutions des mœurs, des idées et des techniques.

    M. G. : Je vous remercie, M. le président.

     

    Source : Michel Guillou @michelguillou, blog http://gingko.neottia.net