Étiquette : ergonomie

  • Rôle de l’explication de l’enseignant sur la compréhension des fonctionnements de base du robot «Thymio II» chez l’enfant de 7-9 ans

    Rôle de l’explication de l’enseignant sur la compréhension des fonctionnements de base du robot «Thymio II» chez l’enfant de 7-9 ans

    Faire de la robotique en classe a pour fonction d’intégrer l’usage de robots à des fins pédagogiques, quelles que soient les matières enseignées. Au début des années 70, la première version sous forme de robot physique de la Tortue de Papert voit le jour. Dès les années 80, d’autres robots font leur apparition et les études se multiplient (pour une revue complète de la littérature, voir Mubin, Stevens, Shahid, Mahmud, & Dong, 2013).

    Papert (1981) défend l’idée qu’une personne apprend plus facilement lorsqu’elle est consciemment occupée à conceptualiser et construire des artefacts qui font sens pour elle, ce à quoi répond la robotique pédagogique. De plus, la robotique touche à l’aspect affectif de l’apprentissage; le robot pouvant être considéré comme un «objet de transition» [Papert, 1981 : 23].

    Enfin, le recours à la robotique à l’école permet d’offrir aux élèves un côté ludique, ce qui a pour effet d’accroître leur motivation (Petre & Price, 2004; Rogers & Portsmore, 2004). Outre le renfort à l’apprentissage des disciplines traditionnelles, l’usage de la robotique en classe permet l’acquisition d’une plus grande autonomie de l’élève puisqu’elle le conduit à devoir identifier et formuler un problème, conceptualiser une solution, créer et tester la solution retenue et l’optimiser (Rogers & Portsmore, 2004). Cette approche permet le développement chez l’enfant des compétences « expérimentales » préconisées par le plan d’étude romand (PER, 2015a, 2015b).

    L’un des objectifs de cette recherche est de comprendre comment l’objet «robot» en soi, sans explication, est approprié par l’utilisateur.

    Est-ce que l’ergonomie et en particulier l’utilisabilité (Tricot et al., 2003) du robot permet par les informations disponibles d’extraire des affordances (James J. Gibson, 1977; James J. Gibson, 1979). Est-ce que les « affordances » que l’enfant doit « percevoir » pour allumer le robot sont moins «efficaces» que les explications données par l’enseignant sur le fonctionnement de l’objet « robot »? En d’autres termes, nous nous demandons si l’explication que donne l’enseignant pour l’allumage et la mise en action du robot induit chez l’enfant des actions plus adaptées que celles qu’il ferait sans avoir reçu d’explication.

    Pour ce faire, nous avons créée deux groupes : le premier qui a reçu des explications sur l’allumage, le changement de programme, la validation d’un programme et l’extinction, le second qui n’a pas reçu d’explication. Nous avons mené une expérimentation auprès de deux classes d’enfants de 7 à 9 ans du même établissement scolaire. Ceux-ci étaient répartis par binômes soit 7 et 8 binômes par classe.

    Thymio II est un petit robot mobile destiné à être utilisé par les enseignants des écoles primaires aux écoles supérieures. Il a été conçu en 2010 par des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne en Suisse [EPFL] (Kradolfer, Dubois, Riedo, Mondada, & Fassa, 2014)

    Nos résultats montrent que tous les binômes sur toutes les tables ont réussi à allumer le robot après 15 à 20 secondes et qu’il n’y a pas de différence entre les groupes. Cela veut donc dire que le fait d’avoir reçu des explications et expérimenter l’allumage avant la phase de test n’a pas induit de meilleure performance que d’avoir « essayé » seul et sans explication. Ensuite pour activer un programme, tous les binômes ont réussi à le faire et à en activer au moins un. Comme pour l’allumage, on n’observe pas de différence entre les groupes qu’ils aient ou non reçu des explications préalables.

    Pour tous, il n’y a pas de programme qui a été plus fréquemment sélectionné ni de différence entre le début, le milieu et la fin de la session [après 5,10 et 15 min]. De même, la durée nécessaire [environ une minute] pour rendre opérationnelle Thymio la première fois, n’est pas différente entre le deux groupes. Enfin, la seule différence observée concerne l’extinction où l’on constate que le groupe qui a reçu des explications et testé avant, a eu nettement moins d’essais infructueux [52% versus 20%].

    Les analyses détaillées des vidéos de 15 binômes d’enfants qui expérimentent le fonctionnement du robot Thymio montrent qu’il n’y a pas de différence de temps, de performance ou de compréhension entre les élèves qui ont reçu des explications et ceux qui n’en ont pas eues. Nous pouvons en déduire que les affordances des actions possibles avec le Thymio sont suffisantes pour ne pas avoir besoin d’explications complémentaires. De plus, les explications données par l’enseignante, si elles sont utiles pour rassurer les élèves et leur donner une piste pour commencer l’exploration, ne permettent pas aux élèves concernés d’être plus performants. En est-il de même pour des tâches plus complexes comme la compréhension des différents comportements programmés du Thymio ?

    Positionnement Scientifique

     

    Notre contribution étudie comment des enfants s’approprient le fonctionnement d’un objet numérique particulier, le robot Thymio II.

    D’un point de vue théorique, cette recherche s’inscrit à l’intersection de trois domaines ; la pédagogie en étudiant l’impact d’une consigne, de l’affordance d’objet numérique dans le domaine de la psychologie des perceptions et enfin de l’ergonomie de l’objet « robot ».

    Pour ce faire nous avons mis en oeuvre une recherche expérimentale qui a pour but de comparer l’appropriation par des binômes d’enfant (de 7 et 9 ans) du robot, un groupe ayant reçu des explications sur le fonctionnement du Thymio, l’autre pas. Un groupe est composé de l’ensemble des élèves d’une classe qui passe simultanément les différentes phases de la prise de donnée. Ils sont répartis en binôme sur des tables munies d’une caméra.

    Pour mesurer les différences de comportement, nous avons filmé durant 20’ les interactions de chaque binôme avec le robot. Une analyse détaillée du déroulement de la séquence a permis de connaître à chaque instant les interactions entre les enfants et l’objet numérique.

    Remerciements

    Les données de cette recherche sont issues d’un subside “NCCR Robotics” obtenu grâce à une collaboration avec le Prof. Francesco Mondada du laboratoire de Systèmes Robotisés (LSRO) de l’école polytechnique de Lausanne (EPFL). Nous tenons également à remercier vivement Mmes Gaëlle Serquet et Sandrine Roche Duchesne pour leurs participations actives à cette recherche.

    Bibliographie

    • Gibson, J. J. (1977). The Theory of Affordances. In R. Shaw & J. Bransford (Eds.), Perceiving, Acting, and Knowing. Towards an Ecological Psychology (pp. 127–143). Hoboken, NJ: John Wiley & Sons Inc.
    • Gibson, J. J. (1979). The ecological approach to visual perception. Boston: Houghton Mifflin Company.
    • Kradolfer, S., Dubois, S., Riedo, F., Mondada, F., & Fassa, F. (2014). A Sociological Contribution to Understanding the Use of Robots in Schools: The Thymio Robot. Paper presented at the International Conference on Social Robotics 27th – 29th October 2014, , Sydney, Australia.
    • Mubin, O., Stevens, C. J., Shahid, S., Mahmud, A. A., & Dong, J.-J. (2013). A Review of the Applicability of Robots in Education. Technology for Education and Learning, 1(1). doi: 10.2316/Journal.209.2013.1.209-0015
    • Papert, S. (1981). Jaillissement de l’esprit, ordinateurs et apprentissage. Paris: Flammarion.
    • PER. (2015a). MSN 25 — Représenter des phénomènes naturels, techniques, sociaux ou des situations mathématiques….Retrieved 5 mars, 2015, from http://www.plandetudes.ch/web/guest/MSN_25/
    • PER. (2015b). MSN 26 — Explorer des phénomènes naturels et des technologies à l’aide de démarches caractéristiques des sciences expérimentales….   Retrieved 5 mars, 2015, from http://www.plandetudes.ch/web/guest/MSN_26/
    • Petre, M., & Price, B. (2004). Using Robotics to Motivate ‘Back Door’ Learning. Education and Information Technologies, 9(2), 147-158.
    • Rogers, C., & Portsmore, M. (2004). Bringing Engineering to Elementary School. Journal of STEM Education, 5(3 and 4), 17-28.
    • Tricot, A., Plégat-Soutjis, F., Camps, J.-F., Amiel, A., Gladys, L., & Morcillo, A. (2003). Utilité, utilisabilité, acceptabilité: interpréter les relations entre trois dimensions de l’évaluation des EIAH Environnement Informatique pour l’Apprentissage Humain. Strasbourg.

    Plus d’infos sur la programme du colloque scientifique sur www.ludovia.org/2015/colloque-scientifique

    A propos des auteurs : Morgane Chevalier et Bernard Baumberger

  • Entre visible et invisible : un dispositif mobile d’observation des usages du multimédia à l’école.

    L’évolution récente des matériels de capture numérique de l’image et du son autorise pourtant aujourd’hui la mise au point de configurations qui permettent de s’affranchir de nombreuses contraintes ayant pu, jusqu’ici, limiter le recours aux traces filmées. Libéré de ces limitations liées aux techniques, matériels et supports de prises de vues autant que de diffusion — des métrages de pellicules nécessairement courts du cinéma argentique aux supports de stockage numériques de trop faible capacité — l’enregistrement audio-visuel à caractère ethnographique permet à présent d’envisager de nouvelles perspective méthodologiques en sciences humaines. La diffusion des « observations filmiques pertinentes »  autrefois inaccessibles, rendue à présent possible grâce, par exemple, aux capacités d’hébergement en ligne, au téléchargement des fichiers, voire aux connexions IP à distance, autorise, par la diffusion large des données, une observation en direct ou différée partagée, pour des analyses descriptives et des interprétations d’autant plus riches. C’est aussi grâce à ces évolutions que sont rendues possibles des utilisations différenciées de l’audio-visuel dans le recueil de données empiriques ou expérimentales en sciences humaines, faisant dire à M. Izard  :

    « La spécificité de l’investigation ethnographique doit être cherchée dans le dispositif de l’enquête, qui donne son originalié à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « l’approche anthropologique » des phénomènes sociaux et culturels. »

    Pour illustrer notre propos, nous nous appuyons sur les travaux que nous menons en sciences de l’information et de la communication, lorsque l’interdisciplinarité amène à fréquenter l’anthropologie visuelle , les sciences de l’éducation et la psychologie cognitive, du côté de ce « peuple enfant » dont Alain aimait à dire qu’il reste à décrire .

    De la récolte des données à leur mise en lisibilité, nous présentons à travers ces lignes un « kit » d’observation, ici dédié aux TICE, du ludo-éducatif à la recherche documentaire sur internet, mais extensible à d’autres champs d’investigation des pratiques situées, assez compact pour être dit « mobile », et suffisamment facile à utiliser pour être mis en œuvre sans le concours de techniciens. Son caractère discret, autonome et paramétrable via internet, donne en outre à ce système la particularité de mieux maîtriser le biais relatif à la participation de l’observateur sur le terrain d’observation. Par la « présence invisible » de ce dernier, ce dispositif de prise de vues robotisé constitue un modèle original d’observation « télé-participante » sur lequel s’appuie une étude des usages, de l’école à l’université, mise en place par l’Équipe de Recherche en Technologies Éducatives (ERTé) « Culture informationnelle et curriculum documentaire ».

    Ici, technique et méthodologie ne positionnent plus la caméra comme un outil potentiel d’expression visuelle, limitant de facto la tentation pour le chercheur de devenir « metteur en scène » d’une production visuelle de recherche à mettre en adéquation avec un produit de communication scientifique scénarisé par avance. Au contraire, la forme désincarnée de participation qu’elles engendrent devient-elle l’occasion d’une distanciation qui, à travers une forme de garantie de moindre familiarité avec le terrain peut aider, pour le chercheur impliqué, à améliorer la transcription objective du cours d’action.

    Ce qui fonde notre démarche, au plan de l’instrumentation technique, est originairement le fait de préoccupations pragmatiques en SIC, dans un cadre où l’immersion en contexte d’usage des TICE, répétitive et pluri-localisée, a nécessité la mise au point d’un dispositif « volant ». Et si l’intérêt qu’il peut y avoir à abstraire l’observateur du contexte d’observation a été conçu parallèlement à cette volonté initiale de répondre à un besoin d’adaptation au terrain, notre propos ne sera pas, dans le présent article, de traiter de l’influence de ce modèle méthodologique plutôt nouveau sur le comportement du sujet ou de l’observateur. Les conséquences, sur nos recherches, du recours à ce dispositif, font l’objet d’un autre article.
    Il s’agit ici de présenter un matériel numérique de recueil de données ainsi que sa mise en œuvre, en faisant état du type spécifique de traces d’usages qu’elle permet de constituer, et en laissant au lecteur le soin de trouver en quoi un tel dispositif peut profiter à sa propre démarche.

    Contexte de l’élaboration du dispositif
    Ce système a été conçu dans le but de saisir les différentes composantes — comportementales, verbales, non-verbales — d’une pratique située de l’informatique en milieu scolaire, notamment en pratiques multimédia et recherches documentaires sur internet. Enseignants, aides à l’enseignement, stagiaires professeurs des écoles, sont, avec les élèves de classes de maternelle et d’élémentaire concernés par cette étude test, les figurants de ces enregistrements qui se déroulent dans une salle dédiée à l’informatique (fig. 2). Cette pièce est contigüe à une salle de bibliothèque — BCD — devant être, elle aussi, observée (fig. 3). L’une des préoccupations de notre ERTé étant de dresser un état des lieux des pratiques informationnelles, de l’école à l’université, il s’agit ici de rendre compte des stratégies de recherche d’information et de documentation mises en œuvre par les élèves et enseignées par les maîtres, entre salle informatique et bibliothèque traditionnelle, entre écran d’ordinateur et support papier, entre support multimédia ludo-éducatif et web sémantique.

    L’objectif est donc, au cours de séances d’enseignement d’une cinquantaine de minute, menées deux fois par semaine durant plusieurs mois, et figurant sur un planning régulièrement bouleversé pour des questions de transversalité de projets, de voir, entendre et tracer :
    – Les faits d’écran témoignant des processus cognitifs mis en œuvre dans la virtualité informatique et les documents hypermédias
    – Les discours-comportements de type verbal, non-verbal, para-verbal, kinésthésique de l’élève devant l’écran
    – Les comportements de voisinage et les déplacements des élèves dans la salle informatique
    – Les migrations salle informatique / BCD
    – Les discours-comportements de type verbal / non-verbal / para-verbal du professeur en situation d’enseignement

    Cahier des charges
    L’axe méthodologique principal reposant sur le fait que les sujets-élèves ne sont pas informés de la présence de caméras — après accord/contrat écrit passé avec les parents — l’essentiel des contraintes techniques s’est exercé sur l’aspect « invisibilité » du système, et en conséquence prioritairement sur la dimension des composants techniques, mais aussi sur la possibilité de leur mise à distance. Au plan de l’utilisabilité, ce « kit » étant voué à circuler géographiquement et à être mise à la disposition de tous les membres de l’équipe, les qualités assurant une mise en œuvre aisée et une exploitation facile et confortable des données récoltées ont été privilégiées.

    Globalement, la mise en contexte spécifique de ce dispositif a demandé que notre modèle d’observation réponde à l’ensemble des critères suivant :
    – Discrétion : l’ensemble du matériel doit être, sinon totalement invisible, au moins très rapidement « oublié » par le sujet
    – Adaptabilité : en cas d’impossibilité d’installation du matériel à proximité du poste observé, l’enregistrement doit pouvoir être fait à bonne distance de la capture audio-visuelle, par voie HF (sans fil)
    – Portabilité : ce système ayant une vocation nomade, il doit être facilement transportable par une seule personne
    – Gestion à distance : le contrôle des fonctionnalités — re-programmation, paramétrage… — doit pouvoir être réalisé à travers un réseau internet ou intranet
    – Facilité d’installation : le matériel doit pouvoir être installé et utilisé par chaque membre de l’équipe, sans nécessiter le recours à un technicien audiovisuel
    – Ergonomie : le paramétrage de l’installation doit être accessible à l’utilisateur accoutumé à la programmation d’un matériel vidéo de salon
    – Qualité d’image : la définition des images produites doit permettre une description fine, en particulier concernant les captures d’écran
    – Autonomie : le matériel doit pouvoir être programmé et fonctionner sur de longues périodes sans nécessiter d’intervention
    – Accessibilité directe aux données : édité sur un support standard facile à échanger et à partager, l’enregistrement doit être directement et immédiatement visualisable, sans nécessiter de traitement de post production
    – Coût réaliste : le financement de l’équipement doit pouvoir correspondre aux possibilités budgétaires d’un laboratoire de recherche

    Quelles données, sous quelle forme ?
    Notre kit d’observation nous a permis de rassembler un corpus de données conséquent, échelonné sur plusieurs mois : une quarantaine d’heures de vidéo ont ainsi été enregistrées entre début mars et fin décembre 2007. Douze heures se sont révélées être exploitables en termes de richesse de comportements observables.
    Plusieurs situations-type se sont présentées et ont été enregistrées. Représentatives des thématiques les plus courantes justifiant le recours à l’outil informatique à l’école, elles témoignent de la conduite de séances mettant l’enfant en situation de découverte de cédéroms et de sites web ludo-éducatifs, d’initiation à l’utilisation de l’ordinateur, de travail sur logiciel de traitement de texte, de visionnage de photos, et de recherche documentaire sur internet. Elles ont été, pour la plupart, le prétexte à une observation à but inductif, qui a eu pour objet de permettre que soient dégagées des pistes pour un travail de réflexion à mener avec les enseignants dans la perspective d’un ajustement des pratiques pédagogiques.

    Les données vidéo recueillies ont pris la forme de plusieurs DVD sur lesquels ont été gravées les vidéos des séances retenues montées en incrustation ou en mosaïque, suivant l’intérêt de l’observation, en sortie directe du DVR. Deux axes d’observation principaux ont été dégagés dans le cadre de notre étude : les comportements sémio-cognitifs à l’écran et les déplacements entre poste informatique et BCD. Les points suivants présentent un éventail d’images obtenues avec ce dispositif en guise de corpus.

    Vers quels résultats
    Les analyses actuellement en cours permettent déjà de tracer quelques lignes directrices susceptibles d’alimenter une réflexion didactique. Elles tournent pour la plupart autour de la métaphore constitutive de l’univers virtuel présenté à l’écran, tant au niveau des interfaces ludo-éducatives consacrées aux apprentissages autonomes qu’au sein des pages web consultées dans un cadre documentaire. De nombreuses observations pointent le lien à établir entre réalité et virtualité modélisée à partir de ce réel. Ainsi, il apparaît que la faculté de dessiner à l’écran à l’aide d’outils virtuels, pour les élèves observés et aux dires des enseignants interviewés, se développe à l’image exacte de l’avènement des capacités à mener à bien les mêmes tâches « manuellement » sur support traditionnel papier. Les pratiques modélisées à l’écran semblent n’être envisageables pour l’enfant qu’après qu’il en soit passé par les pratiques manuelles correspondantes.

    On verra par ailleurs que, pour l’élève, le choix des documents référents pour un recueil d’information sur internet peut sembler privilégié en fonction de ce qu’il adopte une forme plus proche — mise en page, couleurs, images… — de la page du document papier de même vocation en bibliothèque — encyclopédie, dictionnaire… — et peut conditionner, en élémentaire, une nécessité à entretenir un lien kinésthésique avec l’objet-livre.

    Se manifestent également avec insistance les collisions sémantiques qui témoignent des différences de représentations en jeu dans l’univers métaphorique de l’écran, selon qu’il est vu par l’un ou l’autre enseignant et imposé à l’élève. Ainsi, l’icône figurant sur le « bureau » de l’ordinateur pouvant passer du « petit endroit privé où je mets mes affaires à l’abri des autres » au « dossier à mon nom où je vais classer et trier mes documents » ; ainsi également, lorsqu’il s’agit de nommer le dossier, et qu’il faut « taper », « écrire »,  « inscrire », « copier » son nom dans la « fenêtre », « l’étiquette bleue », la « case », le « rectangle », en appuyant sur les « touches » ou les « boutons »… Les mines déconfites des utilisateurs novices filmés en situation d’initiation nous montrent l’intérêt qu’il peut y avoir à interroger les représentations de chacun relativement à la métaphore de l’interface homme-machine, comme préalable à tout projet d’apprentissage— fût-ce à l’autonomie ! — afin de stabiliser une terminologie trop souvent mouvante.

    Plusieurs autres pistes, restent à encore développer, qui sont en cours d’évaluation par l’équipe de recherche.

    De la maternelle à l’université
    Au delà du terrain de l’apprentissage chez les plus jeunes, les possibilités offertes par ce dispositif nous permettent également, dans une optique curriculaire et moyennant une adaptation du protocole à des sujets plus âgés — eu égard, par exemple, au droit à l’image — de poursuivre nos observations en milieu universitaire, ainsi qu’en collège et en lycée. La mise en œuvre prévue dans le cadre de cette étude devra permettre d’apporter, là aussi, un éclairage fin sur les pratiques situées de navigations, apprentissages et recherches documentaires sur le web, en bibliothèque universitaire ainsi qu’en centre de documentation et d’information.

    Conclusion
    La présentation de ce kit mobile d’observation des usages ne représente bien entendu qu’un « instantané » technologique, tant les progrès des outils multimédia sont rapides et rendent rapidement obsolètes les performances de tout matériel vidéo ou informatique à l’instant même de sa mise sur le marché. Néanmoins, il apparaît que, dans son principe technique et méthodologique, ce dispositif peut répondre, en l’état, à un vrai besoin de la recherche en sciences humaines, là où parfois ces dernières prêtent le flanc à la critique épistémologique, par insuffisance de corpus ou de rigueur empirique, par exemple. Notre objectif sera atteint si cet article éveille en l’un ou l’autre chercheur, ici soucieux de mieux rendre compte de ses observations déductives, là de solliciter dans de meilleures conditions une inductivité créative, l’envie de dépasser l’un ou l’autre a priori sur l’utilisation de tels dispositifs, hier encore très complexes à mettre en œuvre, aujourd’hui rendus réellement accessibles.

    Communication Scientifique LUDOVIA 2008 par Louis-François Claro  (extraits)
    Laboratoire GERIICO
    Université Lille 3
    EA 4073