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  • Meeting Scientifique Ouvert au Public : les chercheurs s’ouvrent aux lycéens

    Meeting Scientifique Ouvert au Public : les chercheurs s’ouvrent aux lycéens

    Ils sont 4 ou 5 jeunes assis en cercle autour du chercheur et l’écoutent attentivement, lui posent des questions , s’informent du sujet de ses travaux mais aussi avec des questions plus prosaïques et parfois plus  personnelles du pourquoi et du comment ce métier, cette passion lui est venue.

    Et puis au bout de 12 minutes, au son d’une clochette que leur professeur fait tinter, le chercheur les quitte pour rejoindre un autre groupe aussitôt remplacé par un collègue à lui. La même permutation circulaire se poursuit au cours de ce speed meeting, de sorte qu’en une heure et demie chaque groupe s’entretient avec sept chercheurs.

    En fait par un ou une collègue car parmi les intérêts de cette démarche on mesure combien les femmes sont bien présentes dans la recherche fondamentale en France.

    Les jeunes ainsi assemblés autour d’eux sont lycéens : il s’agit d’une soixantaine d’élèves de 2nde, première et terminale plutôt scientifiques du lycée Jean AICARD d’Hyères, volontaires pour cet évènement plutôt rare qui leur fait rencontrer des équipes de recherche et toute la gamme des métiers qui s’y rattachent , du directeur de laboratoire au technicien en passant par le chargé de recherche ou l’ingénieur de recherche.

    Nous sommes dans la presqu’île de Giens et l’opportunité de cette rencontre exceptionnelle c’est le 31ème French Drosophila Meeting , une rencontre scientifique qui réunit plus de 80 chercheurs, venus ici, comme d’ailleurs c’est le cas dans tout meeting scientifique pour confronter leurs travaux et leurs résultats et faire ainsi avancer la recherche.

    Ils travaillent tous sur la Drosophila melanogaster , cette petite mouche du vinaigre qui est l’un des organismes modèles les plus étudiés en recherche biologique, en particulier en génétique et en biologie du développement, et qui valut à Thomas Hunt Morgan le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1933 « pour ses découvertes sur le rôle joué par le chromosome dans l’hérédité.

    Mais l’idée de profiter de ce moment particulier au cours duquel un grand nombre de spécialistes d’un sujet sont rassemblés au même moment, au même endroit et où ils sont plus disponibles que d’ordinaire, pour organiser et promouvoir des actions de médiation scientifique, revient au cercle FSER ( Fondation SCHLUMBERGER pour l’Education et la Recherche ) et à sa directrice Héloise DUFOUR.

    Car les chercheurs , affirme dette docteure en neuro-biologie, “doivent interagir avec le public sur leur travail pour mobiliser son soutien à la recherche.”

    En créant le label MSOP (Meeting Scientifique Ouvert au Public), le cercle FSER s’engage pour encourager les congrès scientifiques à offrir des sessions d’ouverture vers le public, pour favoriser le rapprochement de la science et de la société !

    Et on le voit , cela marche !

    Car, sans perturber aucunement le déroulement du meeting, qui y consacre deux à trois heures sur trois à quatre journées de travaux, le label MSOP crée un lien direct avec le grand public pour discuter et l’informer de l’importance de la recherche, donner plus de visibilité médiatique au meeting, et influencer certainement d’autres meetings à s’engager pour interagir avec le public.

    Le public peut être très varié mais il est plus fréquemment scolaire.

    Outre le fait que ces rencontres personnalisées participent à leur information sur l’orientation vers l’enseignement supérieur , les modalités de construction des savoirs portées par la recherche constituent également des sujets de réflexion sur la différence entre une information et une opinion, sur la méthode expérimentale qui conduit à l’élaboration d’une vérité scientifique, sur  cette posture intellectuelle nécessitant curiosité et distanciation qui, par le débat et l’argumentation permet de développer une pensée critique.

    Ce n’est pas le premier MSOP organisé par le Cercle FSER et le protocole s’adapte à chacune des situations spécifiques en particulier au nombre de chercheurs, au nombre et au type de public.

    Le public peut en effet être scolaire, ou simplement constitué d’adultes de tous âges et professions comme ce fut le cas lors du congrès « Young Researchers in Life Science », organisé par des jeunes chercheurs pour les jeunes chercheurs (étudiants, doctorants et post-doctorants), qui a eu lieu à l’institut Pasteur du 18 au 20 mai 2016,

    Il est de plus possible de proposer alternativement une session “posters” dédiée au public en parallèle au speed meeting, ce qui permet d’accueillir deux fois plus d’élèves, comme ce fut le cas à Giens.

    Partagés en deux équipes d’une trentaine de jeunes et pendant que la première participe au speed meeting décrit précédemment, la seconde équipe elle même constituée de sept groupes d’élèves circule devant les “posters” réalisés par chaque chercheur qui leur présente son objet de recherche.

    Mais que sont ces posters ?

    les drosophilistes Seuls quelques chercheurs pouvant s’exprimer en séances, dans les meetings scientifiques, ces “communications affichées” sont destinées,  lors de sessions prévues à cet effet, à la présentation par chacun d’eux, aux collègues intéressés, des méthodes de travail et des résultats obtenus.

    Ainsi , là encore ce média facilite la communication personnalisée avec chaque élève et la médiation scientifique.

    On le voit, les élèves trouvent là sous des formes plus originales que la conférence traditionnelle, des chercheurs proches d’eux susceptibles d’échanger simplement et directement sur leurs travaux et sur leur métier.

    La recherche comme la science devient ainsi plus intelligible au public.

  • La révolution numérique : conférence débat avec Serge Miranda près de Toulouse

    La révolution numérique : conférence débat avec Serge Miranda près de Toulouse

    Que vont faire les hommes des nouvelles technologies de l’information et de la communication ?

    En quoi les nouvelles technologies transforment la vie des hommes sur la planète ?

    En quoi le Smartphone- qui est aujourd’hui dans la main et dans la poche d’un homme sur deux- modifie notre quotidien, notre relation aux autres et notre manière de penser le monde ?

    En quoi la révolution numérique ouvre un horizon illimité de créativité, de partage et de services pour les hommes ?

    Ce en quoi Serge Miranda, originaire de Beaumont de Lomagne, professeur et chercheur à l’université Sophia Antipolis de Nice où il conduit des recherches pionnières sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, répondra à toutes vos questions.

    Plus d’infos :
    Conférence le vendredi 08 avril à 21h à la Maison de la culture de Larrazet
    Renseignements : 06 82 49 12 04

    Source image : Serge Miranda

    Un compte rendu de la soirée par Emilie BROUZE du site Rue 89 , Nouvel Obs

    et par Jean Paul Damaggio de la Brochure

  • Numérique éducatif : faut-il désespérer des politiques publiques ?

    Numérique éducatif : faut-il désespérer des politiques publiques ?

    Par Jean-François Cerisier – Directeur du laboratoire TECHNE (EA 6316) –
    Université de Poitiers

    [callout]Que retient-on de ces trente dernières années de notre histoire des technologies éducatives ? Posez-vous la question et complétez cette expérience introspective en interrogeant votre entourage ! Je l’ai fait.[/callout]

    Les réponses varient bien sûr selon les âges et le positionnement socioprofessionnel de chacun. Pourtant, c’est presque toujours aux différents plans d’équipement que l’on se réfère et non aux transformations des pratiques pédagogiques ou à l’évolution des missions, objectifs et responsabilités que l’immanence des technologies numériques impose à l’École.JFCerisierphoto_art1recherche_230215

    Alors qu’un nième plan d’équipement est annoncé par le chef de l’Etat lui-même, on peut s’interroger sur son intérêt et espérer que la concertation nationale sur le numérique pour l’éducation qui prendra fin le 9 mars prochain donnera un deuxième souffle à la « stratégie pour faire entrer l’École dans l’ère du numérique ». Initiée par Vincent Peillon en 2012, elle misait sur une approche ambitieuse et systémique qui articule les différentes dimensions éducatives mais aussi les différents acteurs publics et privés concernés .

    Parmi d’autres, les travaux de recherche conduits par les chercheurs du laboratoire TECHNE questionnent la pertinence des politiques publiques dans ce domaine. Les problématiques relatives à l’équipement systématique des élèves avec des matériels informatiques mobiles ne sont pas nouvelles.
    On se souvient bien sûr des projets « Un collégien, un ordinateur portable » dans les Landes et « Ordina 13 » dans les Bouches-du-Rhône lancés dès 2009. Plus tôt encore, il y avait eu les programmes internationaux « Magallanes » et, surtout, « One Laptop Per Child » initié par le Media Lab du MIT en 2005 et qui perdure aujourd’hui encore.
    Des chercheurs de TECHNE ont été impliqués dans tous ses projets.

    Aujourd’hui, nous travaillons dans le cadre du projet TED, en Saône-et-Loire, mais aussi du projet Edutablettes 86 dans la Vienne et nous venons de démarrer l’accompagnement scientifique du projet Living Cloud du Lycée Pilote Innovant International (LPII) en janvier. Les questions de recherche qui motivent notre participation à tous ces projets sont diverses mais, portent d’une façon ou d’une autre sur l’appropriation des matériels et des ressources par les élèves et les enseignants.

    En règle générale, nous ne cherchons pas à évaluer l’impact des programmes d’équipement sur les apprentissages des élèves mais à comprendre ce que les différents acteurs font des matériels et ressources disponibles, pourquoi ils le font et comment et en quoi la médiation opérée par les technologies numériques modifie les activités et leurs acteurs.

    Le numérique joue plusieurs rôles à l’Ecole et la réflexion gagne à les distinguer clairement. Le numérique représente un moyen d’apprentissage, un objet d’apprentissage mais aussi le contexte actuel de l’École.

    Enseigner avec le numérique constitue une obligation de moyens

     

    Le plus souvent, c’est la mobilisation du numérique pour des apprentissages tiers, c’est-à-dire dans toutes les disciplines et pour tous les thèmes qui est mise en avant. C’est bien sûr légitime et, de ce point de vue, l’École se trouve à l’évidence devant une situation d’obligation de moyens. Comment pourrait-elle ne pas recourir aux technologies numériques quand elles augmentent l’efficacité et parfois l’efficience des dispositifs d’apprentissage ? La question centrale est celle de l’activité des élèves, exprimées en termes d’ensembles de tâches à réaliser, scénarisés par les enseignants avec l’ensemble des ressources dont ces derniers disposent : équipements, services et documents numériques, bien sûr, mais aussi locaux, mobiliers, compétences professionnelles …

    Pour l’essentiel, les pratiques pédagogiques avec le numérique restent à inventer alors que les orientations données aux enseignants par l’institution se précisent sans constituer pour autant un cadre d’action clair et rassurant.

    Si cette ingénierie pédagogique relève bien des compétences et responsabilités des enseignants, ceux-ci l’exercent dans un contexte très incertain et changeant.

    Les enseignants ont besoin de plus de formation et l’on attend beaucoup des ÉSPÉ à cet égard. Ils ont aussi besoin de plus d’accompagnement et d’une véritable dynamique collective pour développer ces nouvelles pratiques à l’articulation de la pédagogie de terrain, des attentes institutionnelles et des apports de la recherche. Il leur faut pouvoir agir au sein d’un cadre organisationnel exigeant mais bienveillant, favorable à la prise d’initiatives. Cela va de l’existence d’un projet d’établissement structuré et porté par l’équipe de direction jusqu’à l’accompagnement soutenu des corps d’inspection relayant une politique nationale et locale réaliste mais audacieuse, entreprenante mais suffisamment pérenne dans ses grandes orientations.

    La fréquence d’utilisation n’est pas un indicateur d’efficacité permanent

     

    Si l’efficacité de l’instrumentation numérique de certaines activités d’apprentissage institue la responsabilité de l’École à s’approprier ces technologies (au même titre que bien d’autres artefacts), elle n’en fait pas pour autant la réponse unique à tous les besoins d’apprentissage.
    De ce fait, la fréquence d’utilisation du numérique ne constitue pas un (bon) indicateur de son efficacité.

    Y recourir parcimonieusement pour des activités qui en exploitent réellement le potentiel est bien préférable à la fuite en avant du tout numérique.

    Il convient de se méfier du stéréotype qui pourrait s’installer et qui exigerait des enseignants qu’ils mobilisent fréquemment les technologies numériques pour être considérés comme de bons enseignants. On observe aujourd’hui beaucoup de pratiques pédagogiques où le numérique instrumente des activités préexistantes, sans que cette médiation instrumentale soit véritablement mise à profit pour en améliorer l’efficacité. Il faut probablement accepter l’idée qu’il s’agit d’une étape inéluctable compte tenu de ce que l’on sait des processus d’appropriation. Pour autant, il nous appartient de réduire ces phases d’appropriation qui sont très inconfortables pour les enseignants et potentiellement nuisibles aux apprentissages des élèves.

    L’enseignement du numérique est une impérieuse nécessité sociale

     

    Apprendre avec le numérique n’est finalement que la partie émergée de l’iceberg, celle que l’on appréhende le mieux mais aussi celle qui masque d’autres dimensions de la plus grande importance. L’École porte aussi la responsabilité de la formation des jeunes au numérique. Différents travaux montrent depuis une dizaine d’années combien le prêt-à-penser qui leur attribue de grandes compétences numériques est faux.

    Le mythe du digital native, par lequel Marc Prensky a très judicieusement attiré l’attention du plus grand nombre sur l’ampleur des transformations opérées par la disponibilité permanente des technologies numérique a vécu. Les adolescents développent des compétences numériques dont certaines ébahissent parfois (légitimement) leurs aînés. Ils le font essentiellement par l’expérience, seuls ou dans l’interaction avec leurs pairs.

    Pour autant, ce contexte ne leur permet pas de construire toutes les compétences requises aujourd’hui pour devenir des citoyens autonomes et responsables, termes centraux du projet et des promesses de l’École républicaine.

    Des activités d’apprentissage explicites sont indispensables. Comment se résoudre à ce que seuls les jeunes ayant la chance de grandir dans un environnement familial particulièrement favorable puissent espérer accéder à cette émancipation citoyenne ?

    Le principe de nécessité posé, reste à imaginer ce que pourrait être un enseignement efficace du numérique. Les questions sont nombreuses. Elles s’expriment en termes de contenus (quel socle de connaissances et de compétences numériques), de méthodes (quelle didactique ? code / pas code … ), de stratégie et de moyens (qui le fait et quand, quelle évaluation et quelle prise en compte dans les cursus … ). Elles ont déjà suscité beaucoup de travaux et d’autres sont en cours. L’équation à résoudre est simple.

    Peut-on renoncer à enseigner le numérique dès aujourd’hui au motif que les différentes recherches et expérimentations de terrain n’ont pas encore permis de s’accorder sur la conduite à tenir ?

    À ce compte, je pense que l’École n’aurait jamais dû décider l’enseignement de la lecture … Il faut se lancer !

    Il faut refonder l’Ecole sans attendre pour l’adapter aux évolutions sociétales

     

    Finalement, la partie principale de l’iceberg n’est peut-être ni le recours au numérique pour des apprentissages tiers, ni l’apprentissage du numérique mais l’impact du numérique sur la forme scolaire et ces corollaires que sont les contrat didactique et pédagogique qui organisent le rapport de l’élève à l’École.

    L’immanence du numérique, particulièrement vraie pour les plus jeunes de plus en plus équipés de matériels personnels, mobiles, puissants et connectés, bouleverse leur rapport au monde et singulièrement à l’institution scolaire. Ces transformations portent sur les principales dimensions qui définissent l’École : leur rapport à l’information et aux savoirs, au temps et à l’espace, à autrui, aux normes sociales et aussi et peut-être surtout à la possibilité d’agir, seul ou collaborativement.

    L’Ecole, comme toutes les autres institutions (à commencer par la famille) est mise sous pression et l’on ne saurait imaginer qu’elle puisse résister sans une adaptation assez radicale qui lui permette de faire face à cette nouvelle donne culturelle pour remplir son rôle sans rien abandonner de sa mission.

    Si l’on prend en considération les autres évolutions sociétales d’ampleur auxquelles l’Ecole doit faire face, et en particulier à l’augmentation des inégalités sociales, c’est à une véritable refondation de l’Ecole qu’il est nécessaire de procéder.

    L’Etat s’y est engagé dans le discours par la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’Ecole. Le chantier semble piétiner …

    L’équipement massif en tablettes est une solution périmée

     

    La question de l’équipement ne saurait se réduire à celle de l’actualité commerciale des fabricants, intégrateurs ou distributeurs de matériels. Le deuxième marché que constitue l’éducation pour les tablettes a déjà généré des projets de grande ampleur.

    Pour autant, nos travaux montrent que les programmes d’équipement systématique des élèves et de leurs enseignants avec des tablettes tactiles, que celles-ci soient livrées avec un environnement scolaire complet (SQOOL, Bic Education … ) ou non (Edutablettes 86, Living Cloud … ), représentent une option pédagogique très spécifique dont l’intérêt est très limité.

    La qualité des tablettes et des environnements (applications, services et ressources) qu’elles embarquent éventuellement n’est pas en cause. Les tablettes présentent des caractéristiques très intéressantes qui ne sont pas toujours exploitées : démarrage très rapide, encombrement et masse très faibles, interface tactile, mobilité, connectivité, équipement natif avec micro, caméras, gyroscope, GPS … ). D’autres sont une gêne, voire un obstacle pour certaines activités. Il est difficile de tracer une figure géographique avec un doigt, de produire un texte avec un clavier virtuel …

    Bref, la tablette est un assez bon équipement de consultation de documents mais n’est qu’un piètre outil de production quand les apprentissages reposent justement en grande part sur l’activité productive des élèves.

    De ce point de vue, un plan d’équipement systématique des élèves et des enseignants serait un contresens pédagogique. S’il fallait généraliser un équipement individuel, on gagnerait à envisager des matériels plus polyvalents comme des portables éventuellement dotés d’une dalle tactile ou d’une interface leap motion.

    Le BYOD vient renouveler fondamentalement le débat sur l’équipement des élèves

     

    L’équipement des élèves ne pose pas seulement la question du choix des bons matériels, tablettes ou autres, mais celle de l’opportunité de les équiper alors que les élèves sont de plus en plus nombreux à s’équiper eux-mêmes. Cette situation n’est pas nouvelle. L’École a déjà dû faire face à ce type de question à partir de la fin des années 70 avec l’arrivée des calculatrices.

    Doit-on équiper les élèves systématiquement lorsqu’ils le sont déjà tous ou qu’ils le seront presque tous sous peu ? Doit-on leur proposer un deuxième équipement ?

    Si l’on observe les données d’équipement, telles qu’elles sont publiées régulièrement, notamment par le CREDOC, on constate que l’équipement des adolescents s’accroît rapidement et que l’âge moyen du premier équipement personnel diminue. Les lycéens et le collégiens sont nombreux à apporter leurs équipements à l’École. C’est le BYOD (Bring Your Own Device).

    Les stratégies publiques d’équipement ne peuvent ignorer cette situation avec ses implications techniques, pédagogiques et sociales. Il semble essentiel de prendre en compte ces équipements personnels autant qu’il est possible de le faire et de les compléter par des équipements plus spécialisés, notamment pour faciliter les interactions entre les élèves et les activités collaboratives, tout en ayant le souci de mettre des matériels à la disposition des élèves qui ne sont pas équipés à titre personnel.

    Cette approche qui s’impose à l’Ecole sans qu’elle l’ait choisi, n’est pas une solution de facilité. Mettre en œuvre le BYOD pose à la fois des questions techniques pour assurer la connectivité de tous les équipements dans un environnement sécurisé, des questions de responsabilité portant à la fois sur l’intégrité des matériels et sur la nature des usages réalisés depuis l’enceinte de l’établissement, des questions sociales pour garantir l’équité entre les élèves et des questions pédagogiques.

    Prendre en compte un parc d’appareils disparates suppose non seulement une ingénierie technique complexe et nouvelle mais aussi une transformation de l’attitude des enseignants quant à la conduite des activités qu’ils organisent. Il leur faudra apprendre à travailler avec des groupes classes où tous les élèves seront équipés de façon différente. Il faudra sans doute aussi imaginer l’équipement de quelques salles et/ou classes mobiles afin de pouvoir organiser les activités qui requièrent un matériel particulier configuré de façon spécifique (EXAO, laboratoires de langue … ).

    Les ressources numériques restent encore à inventer

     

    Les ressources et services numériques actuellement disponibles restent finalement assez insatisfaisants. L’exemple du manuel scolaire est emblématique. Il reste pourtant une ressource centrale plébiscitée par les enseignants pour l’organisation des activités d’apprentissage et par les élèves et leur parents à la recherche de documents structurants.

    Pour autant, les manuels numériques actuels ne conviennent pas. Il ne suffit manifestement pas, même si c’est important, de découper un manuel en « granules », voire de l’enrichir avec des enregistrements sonores, des vidéos, des animations ou même des QCM et autres tâches du même ordre pour disposer de ressources pleinement exploitables dans ce nouveau contexte technopédagogique.

    On lit tous les jours ou presque dans la presse, les attentes des éditeurs qui ont raison de souligner qu’ils agissent dans le cadre d’un marché en cours de maturation et donc très incertain. Pour autant, un saut qualitatif est indispensable et la logique de marché a fait la preuve qu’elle n’était pas suffisante pour y parvenir.

    L’institution scolaire doit devenir un bon client, c’est-à-dire un client qui sait exprimer clairement ses besoins avant de faire confiance aux capacités d’innovation des entreprises, un client qui sait évaluer l’efficacité et l’efficience des services et des biens qu’il acquiert afin de mieux piloter ses futurs investissements.

    Autrement dit, il ne suffit pas de contribuer au financement des projets éditoriaux des entreprises du domaine. Il est indispensable de contribuer, financièrement mais pas seulement, à l’élaboration de dynamiques de recherche-innovation qui associent les usagers, les entreprises, les services et grands établissements de l’Etat, les collectivités territoriales et les laboratoires de recherche.

    L’intelligence territoriale doit prolonger l’action structurante de l’État

     

    Finalement, c’est la question de la conduite du changement ou, pour le dire autrement, des conditions de l’innovation qui est soulevée. Les observations sont concordantes, l’appropriation efficace des technologies numériques par les acteurs de l’Ecole suppose :

    – de la confiance pour libérer les initiatives ;
    – de l’exigence pour la qualité de ces initiatives ;
    – un pilotage politique fort ;
    – une mobilisation coordonnées de tous les acteurs ;
    – une démarche systémique qui articule les problématiques pédagogiques et éducatives avec les questions de filières eEducation, de création de richesse et d’emplois.

    Certains territoires ont bien compris que de telles stratégies étaient pertinentes à la fois pour contribuer à l’évolution et l’amélioration des services éducatifs dont ils ont la charge et pour créer de véritables filières eEducation avec de significatives retombées en termes de création de richesse et d’emplois.

    C’est d’ailleurs le cas de la Région Poitou-Charentes qui a inscrit la eEducation comme l’une de ses stratégies de spécialisation intelligente et qui travaille efficacement à l’animation de cette filière. Le laboratoire TECHNE est bien sûr pleinement associé à cette démarche.

    C’est ainsi et ainsi seulement que nous pourrons dépasser les échecs et les désillusions que nous connaissons depuis 30 ans.

    Rien ne condamne le numérique éducatif à la malédiction des Danaïdes et la promesse de la corne d’abondance continue de nous faire rêver.

     

    JFCerisier_art1recherche_230215Les Danaïdes, William Waterhouse, 1903

    Les Danaïdes sont les cinquante filles du roi Danaos.
    Pour aider leur père qui fuit les cinquante fils d’Egyptos, ses neveux, elles proposent une réconciliation, épousent leurs cousins et les assassinent le soir des noces.

    Elles sont condamnées, aux enfers, à remplir indéfiniment un tonneau sans fond.

     

    JFCerisier2_art1recherche_230215Hadès tenant une corne d’abondance, détail d’une amphore attique à figures rouges, v. 470 av. J.-C

    Un jour, Zeus empli de colère, et voulant jouer, jeta la chèvre Amalthée contre les parois de la grotte qui l’abritait. Amalthée y perdit une corne.

    Pour se faire pardonner, Zeus prit la corne et lui conféra des pouvoirs magiques.

    La corne fût nommée Corne d’abondance car elle se remplissait de fruits de toutes sortes au fur et à mesure qu’elle se vidait.